Nathalie Forestier est une des premières Chief Happiness Officer, CHO, en France. Pourtant son parcours ne la prédestinait pas au métier de responsable du bonheur en entreprise. Des études en droit des affaires, quelques années comme juriste, un passage en Australie, puis à son retour en France, elle intègre l’entreprise Allo Resto comme responsable grands comptes.
Comment est-elle devenue Chief Happiness Officer ? Cette opportunité, c’est elle qui l’a insufflé à son dirigeant qu’elle a su convaincre. C’était il y a 8 ans. Mais aujourd’hui à l’ère des Big Quit, Quiet Quit, crise de la motivation au travail, quête de sens et autres questionnements professionnels qui concernent beaucoup de collaborateurs, les CHO peuvent aussi avoir envie de se reconvertir.
Après 16 années d’ancienneté et 2 fusions dans son entreprise, Nathalie tire sa révérence et se prépare au métier de coach en entreprise, « C’est dans la continuité de mon parcours : faire de l’humain » s’enthousiasme t-elle.
Intervenant dans une école de commerce auprès d’étudiants en master RH à Aix en Provence, j’ai été à la rencontre de Nathalie avec le sentiment que son intervention était non seulement une façon de partager mais aussi passer le flambeau à une nouvelle génération.😊
Tu as été l’une des premières C.H.O en France, comment expliques-tu que ton poste ait été un succès ?
Nathalie Forestier (N.F) : J’ai façonné mon poste au fil du temps, j’ai pris des initiatives mais incontestablement le soutien du C.E.O a été la clé de voûte de l’orientation collaborateur dans l’entreprise. Sa vision, ses valeurs, ses mots étaient à l’unisson de la démarche que j’insufflais au quotidien.
Lorsque je suis passée du poste de Responsable Grands Comptes à celui de CHO, il n’y avait pas de fiche de poste, j’ai construit les fonctions au fur et à mesure. Rattachée directement au C.E.O, j’avançais avec son soutien.
- Retenez : Le CHO ne peut pas agir seul en matière de Qualité de Vie au Travail (désormais QVCT). Il a besoin du soutien de la direction, du relais des managers et de l’implication des collaborateurs qui impulsent la dynamique.
Le CHO est à mon sens que celui qui sème les graines à tous les étages, charge à chacun d’y contribuer et …. d’y croire. Une des étudiantes présentes ce jour, nous a dit « Je n’ai pas envie de faire un travail dont les autres se moquent ». La nouvelle génération a, selon moi, le choix : renoncer ou se battre pour défendre la fonction stratégiquement humaine des métiers de RH.
Au terme de 7 ans comme C.H.O, de quel résultat es-tu la plus fière ?
N.F : La culture d’entreprise a toujours été très forte dans notre organisation mais nous avons vécu un virage important en passant de 80 collaborateurs à 160 en moins d’un an. Nous sommes ainsi passés d’une ambiance familiale de PME à une entreprise intégrant beaucoup de nouveaux.
Ce virage s’est très bien passé car nous avons maintenu notre façon de travailler avec sérieux et convivialité. Grâce aux managers, aux collaborateurs présents qui ont intégré les nouveaux et grâce aux recrutements qui s’inscrivaient totalement dans notre ADN. Ensemble, nous avons maintenu la culture de la convivialité et de la transparence. C’est une belle fierté d’avoir vu grandir l’entreprise sans qu’elle ne se dénature humainement parlant.
- Retenez : C’est ensemble que ce conduit le changement culturel dans l’entreprise, l’intégration des nouveaux par exemple, autrement appelé Onboarding. C’est la manière dont chacun va se comporter et transmettre les valeurs, l’esprit positif, l’entraide, la reconnaissance. Ce n’est pas seulement un sujet RH avec le déjeuner offert le jour d’arrivée, l’attribution d’un buddy, les goodies offerts et l’entretien après 1 mois de retour d’expérience, l’intégration est le sujet de tous.
Que suppose le métier de CHO dont les gens n’ont pas connaissance ?
N.F : Le métier de CHO c’est aussi une question posture, il faut à la fois communiquer avec bienveillance et enthousiasme mais aussi poser les limites lorsque cela est nécessaire. Je me suis autorisée à dire à des collaborateurs que leurs comportements ou leurs propos manquaient de recul. Ce n’est pas simple d’être un médiateur mais les collaborateurs n’ont pas tous les droits non plus. Je suis pour la justice et l’équité. Qu’on se le dise, le bonheur au travail ce n’est pas les avantages que l’entreprise offre mais les valeurs que partagent les Hommes et les Femmes qui y travaillent.
- Retenez : Dans le métier de CHO, il y a la communication interne et la communication en off qui exige disponibilité et écoute attentive mais aussi tact, sens de la persuasion et leadership positif.
- Le CHO sait trouver les mots pour aborder les sujets avec chacun de ses interlocuteurs.
- Il œuvre à proposer des conditions adaptées aux besoins et attentes collaborateurs.
- Il est capable d’argumenter et de tempérer les salariés récalcitrants ou sur la défensive.
Le CHO de demain devra être bienveillant mais non complaisant. Animé de conviction, il devra surtout oser. Oui, oser aller au front pour défendre ce en quoi il croit auprès de la direction, des managers et des collaborateurs aux attentes grandissantes.
L’intitulé de ce poste C.H.O est-il toujours approprié ?
N.F : L’intitulé de poste C.H.O fait polémique depuis son apparition. Responsable du bonheur en entreprise n’apparait pas comme un poste sérieux. Le bonheur est un sujet clivant, personnellement j’y crois, mais l’avenir serait en effet un intitulé plus pragmatique.
Avec le Collectif Humain des Organisations, nous avons réfléchi à une nouvelle appellation du CHO qui interpellerait davantage les dirigeants et les inciteraient à légitimer le poste. Nous avons interrogé notre communauté sur LinkedIn et statué sur le nouvel intitulé de Responsable de l’Expérience Collaborateur. Ainsi, nous espérons décentraliser l’attention mise sur le bonheur et dépasser les sujets de baby foot, yoga ou salle de sieste, au profit des pratiques managériales, de l’équilibre vie pro/perso, des valeurs, de la confiance au travail.
- Retenez : le CHO est à la croisée des chemins entre la direction dont il est le médiateur, le management dont il est le facilitateur et les collaborateurs dont il est le porte-parole. Pourtant, force est de constater que l’intitulé de poste fait débat, finalement on produit plus de papier sur la terminologie du mot bonheur que sur les actions concrètement mises en place.
Le véritable sujet à défendre n’est pas l’usage ou non du mot bonheur mais comment travailler à l’équilibre entre la performance de l’entreprise et l’engagement des collaborateurs.
Parlons donc des missions du Responsable Expérience Collaborateur qui pourraient convaincre un CEO
- Accueillir les nouveaux collaborateurs, veiller à leur intégration en y associant les équipes
- Identifier les irritants du parcours collaborateur et les solutionner
- Mesurer la satisfaction des équipes et surtout communiquer les résultats et proposer des actions correctives
- S’assurer de pratiques managériales qui favorisent une communication ouverte dans l’entreprise
- Fédérer les équipes et proposer des activités contribuant à la culture de la convivialité (événements sportifs, détente, calendaires, anniversaires, séminaires…)
- Animer des ateliers de co-développement pour contribuer à l’apprentissage entre pairs
- Veiller à l’aménagement des espaces et des outils de travail
- Modérer les exigences des collaborateurs et capitaliser sur les actions menées
- Eviter le turn-over, réduire l’absentéisme, contribuer à l’engagement
- Retenez : Le CHO n’est ni un GO, ni un responsable des apéros ! Sa principale mission est de favoriser le dialogue entre les équipes et la direction pour répondre aux attentes de tous.
On pense à tort que la qualité de vie au travail demande d’y consacrer un budget de fou mais la qualité de vie au travail ça commence par la manière dont on se parle : reconnaissance, encouragement, assertivité.
Nous avons dépassé le sujet du baby-foot depuis la pandémie de Covid
N.F : Oui le Covid a servi la démarche de Qualité de Vie au Travail. Depuis la pandémie, il ne s’agit plus d’un sujet cosmétique, on l’associe volontiers aux thématiques de santé psychique, santé mentale, RPS, équilibre de vie pro/ perso, pratiques managériales.
Avant cette pandémie, le baby-foot était une occasion pour ne pas donner de légitimité au sujet de Qualité de Vie au Travail. Alors qu’installer un baby-foot c’est autoriser le lâcher prise, en passant le message « Chez nous, tu as le droit de te détendre, sans qu’on te juge ». De nombreux baby-foot ont été installé dans les open space, mais ce choix d’emplacement est une injonction, il n’invite pas les collaborateurs à y jouer. Les gens n’osent pas jouer devant ceux qui bossent ! Chez nous, il n’était pas rare de voir le CEO prendre lui-même un moment pour une partie de baby-foot.
- Retenez : Inutile d’avoir un baby-foot en entreprise si les collaborateurs, les managers ou la direction sont capables de dire des choses comme « Ah ben, y’en a qui ont le temps de s’amuser ! », « ça va, le boulot avance comme vous voulez ? », « Si vous ne savez pas comment vous occupez, passez me voir à la compta, j’ai des choses à vous faire faire ».
D’après moi, on peut “Work hard and play hard” comme dissent les Américains. Depuis des années, on nous rabâche que l’entreprise doit être bienveillante, qu’il faut pratiquer la reconnaissance mais les collaborateurs ont aussi besoin de fun ! Amusement, convivialité, rire au travail ne sont pas incompatibles.
Quelles actions étaient particulièrement appréciées des collaborateurs Just Eat ?
- Les conférences 1 fois par mois par des entrepreneurs, des personnes au parcours inspirants : une manière de sortir la tête du guidon et cultiver l’optimisme, l’espoir, la résilience face aux difficultés
- La boite à idées où chacun pouvait poser des questions au CEO qui y répondait une foispar mois avec transparence sans avoir consulter au préalable le contenu de la boite.
- Les événements calendaires avec des thématiques, dress code : cela correspondait vraiment à notre culture d’entreprise jeune, festive et fun.
- Les séminaires 2 fois par an : une manière de s’extraire du FAIRE pour PARTAGER, FEDERER et proposer aux équipes de mieux se connaitre en les sortant du bureau
- La newsletter avec un ton éditoriale décalée : ça parait simple mais c’était l’occasion de mettre en valeur des collaborateurs, annoncer les bonnes nouvelles, les recrutements, les départs, les événements et les résultats
Que peut-on te souhaiter après ces 16 années d’ancienneté et ce nouveau départ ?
NF : Je viens de commencer ma formation de coach et j’ai hâte d’ouvrir ce nouveau chapitre. J’ai envie de faire profiter les entreprises de mon expérience, pour qu’elles soient moins frileuses concernant les fonctions qui gravitent autour du bonheur en entreprise et plus largement de la QVT et de l’expérience collaborateur.
CONCLUSION
Si la fonction de CHO tend à se généraliser, pour autant elle n’est pas toujours considérée. Elle est souvent confiée à des juniors ou parfois à des stagiaires, pour qui œuvrer, convaincre et défendre des sujets humains avec tact et fermeté n’est pas possible.
Est-ce une question de dénomination ? CHO ou responsable de l’expérience collaborateur ? Quoiqu’il en soit, le futur est en marche, une nouvelle génération arrive sur le marché des ressources humaines. Rappelons que 70% des métiers de 2030 sont à inventer et n’existent pas. Tous ces métiers ne seront pas orientés digital et intelligence artificielle.
Pour ma part, j‘ai l’impression que la nouvelle génération affirme tout haut ce que les générations précédentes pensaient tout bas, mais acceptaient sans broncher. Ils veulent de l’autonomie, de la confiance mais ils ont aussi besoin d’un cap, d’une vision et d’un dirigeant charismatique.
En écoutant Nathalie Forestier et ces étudiants en master RH qui interagissent, je me dis que l’avenir pour le candidat ne sera peut-être pas de chasser un poste, ni de chasser un salaire ou une entreprise en particulier mais de chasser un CEO, un dirigeant qui les inspire et leur donne envie de s’engager par sa posture, sa vision, ses mots et ses comportements.