Un certain nombre d’entreprises éprouvent aujourd’hui des difficultés de recrutement d’une part, des difficultés à fidéliser les collaborateurs d’autre part. Comment faire en sorte que les collaborateurs ne quittent pas le navire ? Quelles stratégies déployer pour favoriser la fameuse rétention des talents ?
Lors du salon SRH 2023, Christophe Patte, CEO de myRHline, a reçu lors d’une conférence dédiée Mariana Machado, Responsable People & Culture chez Etam, Julien Huelvan, CEO de Beedeez et Anaïs Georgelin, fondatrice de somanyWays investie sur les questions liées à la quête de sens au travail. Objectif : échanger ensemble sur ces questions clés pour la fonction RH en 2023.
Fidéliser les collaborateurs : la conséquence de l’engagement
L’engagement employé au coeur des enjeux de fidélisation
Fidéliser les collaborateurs est étroitement lié à la question de l’engagement collaborateur. Selon Mariana Machado, il s’agit de bénéficier de salariés qui ont “envie de faire plus que leur job, envie de faire mieux que ce qu’ils font aujourd’hui.” Et cet investissement est étroitement lié à la quête de sens en entreprise.
Mais la fidélisation n’est pas le sujet. J’encourage toujours les organisations à se poser plutôt la question de l’engagement. La possibilité pour la personne d’exprimer son plein potentiel dans la boîte. Je n’ai pas forcément envie de retenir mes collaborateurs pendant X années. Je veux qu’ils puissent apporter de la valeur et que lorsqu’ils partent, ils partent bien. La fidélisation est une conséquence de l’engagement.
Dans un monde où les carrières sont de moins en moins linéaires, on ne pourra pas fidéliser les collaborateurs pendant des années, soutient Anaïs. Il s’agit donc de créer les meilleures conditions d’expérience collaborateur et de offboarding possibles. D’autant plus que, comme le rappelle Christophe Patte, CEO de myRHline, les collaborateurs restent en moyenne 3 ans dans une entreprise.
Selon Julien Huelvan, lorsque l’on s’intéresse à la notion d’engagement, il y a une connotation d’investissement personnel, une connotation de conviction, de sens lié à la question “Pourquoi je me lève le matin ?”. “Pentagonia, avec ce côté militant, c’est assez génial en termes d’engagement”, affirme-t-il avant d’ajouter que dans les entreprises, il y a un spectre assez large du “job alimentaire” à l’investissement effectif d’un salarié.
Transformer sa culture d’entreprise pour fidéliser les collaborateurs ?
Face à la “grande démission”, on voit que les organisations professionnelles se dirigent vers cette question du sens pour fidéliser les collaborateurs, mais aussi aussi pour des questions sociétales. Si on s’intéresse à la notion d’engagement pure et dure, il s’agit d’avoir un très fort alignement entre les valeurs, la culture d’entreprise et les valeurs du collaborateur. C’est précisément cela qui crée de l’investissement selon le CEO de Beedeez.
Pour embarquer ses équipes, Mariana Machado a utilisé la formation en entreprise pour avoir une communication plus globale au niveau des collaboratrices du groupe Etam qui doivent pouvoir « porter » la marque. Selon Mariana, le secteur du retail est différent des autres industries : on travaille le week-end, on a une culture de la performance, etc. Et les collaboratrices qui travaillent chez Etam peuvent aussi s’en aller chez Zara. Pour être engageant et fidéliser, il faut déjà que les collaboratrices aient une vision de Etam en tant que marque différenciante.
Dans cette logique, Etam a choisi d’orienter sa communication ainsi : Est-ce que vous aimez travailler pour accompagner les femmes ? Aujourd’hui, qui êtes-vous pour accompagner ces femmes ? L’enjeu est de changer le métier de la vente, changer les techniques de la vente, « faire valoir les personnalités des collaboratrices alors qu’elles étaient assez cachées par le passé ». Le but : livrer une vraie promesse de marque. Il s’agit de dire aux collaboratrices : “On vous aide à être engagée dans cette valeur d’accompagnement des femmes”. Mais pour cela, Etam avait besoin d’un outil qui permette de donner un accès d’apprentissage à chaque femme à titre individuel.
Or, la formation est souvent quelque chose de lourd. C’est pour cela que Etam s’est tournée vers la solution Beedeez, où chaque femme a son propre accès personnel d’apprentissage et elle est libre de choisir ses moments pour se former. Elles deviennent véritablement actrices de leur développement. Et c’est précisément là qu’on a commencé à changer cette trajectoire, à changer la culture d’entreprise d’Etam qui est en transformation.
Fidéliser les collaborateurs avec la formation ?
Oui, à condition que les salariés en aient envie
Si la formation peut fidéliser les collaborateurs, ces derniers doivent néanmoins être volontaires et enthousiastes pour le faire. Chez Beedeez, un certain nombre de clients sont passés de la formation pure à la plateforme d’engagement collaborateur et cela a démultiplié le taux de compression, le nombre de capsules créées, etc. C’est donc aussi une solution-clé pour l’investissement des équipes. Cela permet d’ailleurs de décloisonner le travail, de créer du lien par la connaissance.
On sent bien en effet que c’est à nous de s’adapter. Les personnes viennent aussi pour apprendre, évoluer intellectuellement (tout de suite, et pas dans un ou deux ans). Il faut aussi que j’aie accès à tout tout de suite. On est assez allergique à la formation cloisonnée où tout est accessible pour tout le monde même si on peut individualiser la formation (via les algorithmes, la recommandation pair à pair, etc.) On sent que l’apprentissage est très important pour répondre à ces besoins-là.
Mais attention, les dispositifs d’apprentissage à eux seuls ne saurait suffire. Les salariés peuvent remplir leurs missions, mais ne vont pas forcément rester. Encore moins aujourd’hui. Pour Mariana Machado, il faut penser mobilité interne, perspectives d’évolution… En bref, donner une vision aux salariés : pour Mariana, la nouvelle génération veut être rassurée et les professionnels des ressources humaines jouent en cela un rôle fondamental. Cette génération voudrait que “quelqu’un puisse la guider sur quelque chose qu’elle ignore. Le rôle des RH, aujourd’hui, c’est de montrer le chemin. Et ça pose aussi question au niveau du management. Comment moi, comme entreprise, je peux rassurer les personnes ? Je dois leur assurer qu’ils ont quelque chose à gagner”, explique Mariana Machado.
En outre, si fidéliser est important, recruter l’est tout autant. Mais avant de faire valoir sa marque employeur auprès de potentiels candidats, il faut d’abord transformer sa propre réalité en interne, rappelle Mariana Machado : “On ne peut pas vendre quelque chose si ce n’est pas vrai. Il faut d’abord travailler avec les personnes qui sont là, afin que dans notre culture cela soit réellement ancré chez nous et que l’on puisse dire de façon légitime : c’est comme ça que ça marche, venez chez nous.”
Fidéliser les salariés : l’importance de la communication
Il y a parfois des belles choses qui se créent au sein des organisations professionnelles. Pour autant, on ne communique pas (bien) dessus. Mariana prend l’exemple de son ancienne boîte, qui proposait un “programme talent génialissime. Le problème, c’est que personne ne le savait”.
Il y a donc un réel enjeu de communication à cet égard. Comment espérer fidéliser les collaborateurs sans cela ?
Anaïs évoque l’exemple des programmes managers que les employés vont suivre sans forcément avoir envie d’être managers car on n’a pas communiqué avec eux sur ce qu’ils veulent vraiment. Alors qu’à l’inverse, il y a de supers programmes liés à l’intrapreunariat par exemple. “On a des dispositifs, mais on ne met pas forcément les bonnes personnes dedans”.
Selon Julien Huelvan, “C’est aussi une question de mentalités. Des dispositifs d’apprentissage se construisent par le siège et sur le terrain les gens se disent : ok c’est comme l’école – ou ne se sentent pas légitimes.” D’où l’importance de la communication.
Le sens au travail, au coeur de la “rétention des talents”
Une notion polysémique
Comme le rappelait Christophe Patte sur la base d’un sondage Opinionway (septembre 2022) mené auprès de 1 400 étudiants âgés de 21 à 25 ans, 61 % d’entre eux définissent un travail qui a du sens par celui qui conduit à être motivant et stimulant. “On ne parle pas de job, mais bien de mission. Aujourd’hui, la plupart des candidats recherchent une mission à remplir, pas un job”, explique-t-il.
Selon un récent baromètre myRHline et CCLD, 72 % des salariés interrogés disent être prêts à quitter leur travail actuel pour un nouveau job qui aurait plus de sens pour eux.
Selon Anaïs Georgelin, c’est ce qui crée de l’engagement. Il pourrait donc fidéliser les collaborateurs. Mais il s’agit d’une notion polysémique, derrière laquelle se cache une existe une pluralité de définitions. Dans son parcours professionnel, Anaïs Georgelin a longtemps cherché du sens au travail. D’ailleurs, c’est en le cherchant auprès d’une entreprise sociale engagée qu’elle l’a précisément perdu. Paradoxal, n’est-ce pas ? Anaïs Georgelin s’est rendue compte que la plupart des gens ne savaient pas ce qu’était vraiment le sens.
Les modes de rapports au travail qui “donnent du sens”
Durant ce salon SRH 2023, Anaïs Georgelin rappelle qu’il existe 5 façons pour les collaborateurs de donner du sens à leur travail (importants pour fidéliser !) :
- Le mode ascension : opportunités d’évolution du collaborateur, moyen d’acquisition d’une position sociale ;
- Le mode équilibre : mon travail ne prend pas trop de place dans ma vie ;
- Le mode impact : le travail comme moyen d’avoir une utilité sociétale ;
- Le mode transformation : la possibilité de “mettre sa patte” au développement de l’entreprise, avoir un impact à son échelle ;
- Le mode introspection, lié au développement personnel (se développer personnellement à travers la formation, avoir la possibilité d’exprimer sa singularité en entreprise, etc.)
Mariana rappelle que la transformation du rapport au travail a eu lieu dans la douleur chez Etam. Car avec la crise sanitaire, “on a pu ensuite observer qu’une cliente qui arrivait dans notre magasin cherchait quelque chose d’autre”. C’est précisément là que l’on a dû réfléchir à l’expérience femme à femme (codes de reconnaissance entre femmes).
Quand on fait ça, on se dit : ça a du sens pour moi. Je suis plus qu’une vendeuse. Mais on ne peut pas faire ça avec toutes les vendeuses à la fois, c’est sur la base du volontariat.
Ce sont elles qui vont aller porter les sujets envers d’autres collaboratrices, en tant qu’ambassadrices, coachs.
Selon Anaïs Georgelin, dans une logique de “sens collectif”, il faut pouvoir décliner cette raison d’être. “Tous les 3 mois, il faut trouver le moyen de redonner cette vision-là en toute transparence” et pas à l’année par exemple.
Fidéliser les collaborateurs en tenant compte du “sens individuel”
Anaïs évoque aussi l’importance du sens individuel pour fidéliser les collaborateurs. Car en effet : « Un salarié peut vibrer pour ta mission, mais ça ne sera pas le cas de tout le monde. Tout le monde ne va pas raisonner pour le sens collectif. »
Ce genre de situation, Anaïs connaît : elle nous raconte l’histoire d’un collaborateur qui ne “vibrait” pas pour l’engagement RSE de sa boite. Ce qui le faisait vibrer, lui, c’était son cœur de métier : le marketing. Ce qui donne à réfléchir : n’avons-pas trop souvent tendance à penser selon le “sens commun”, partant du principe que tout le monde adhèrera au même niveau ? Pour retenir les salariés, ce sont des questions qui doivent se poser.
Chez somanyWays, on mise sur le job crafting : il s’agit de l’art de refaçonner son quotidien de travail, de le réinventer, de modeler son métier à son image personnelle. Il s’agit de transformer son rapport au métier de façon à ce qu’il nous corresponde davantage. Le but ? Renforcer la motivation au travail et l’investissement du salarié. Selon Anaïs, “le job crafting, on en fait tous”.
Mais si on embarque pas les managers on va créer de la friction. Il faut leur donner des clés concrètes, activables pour qu’ils puissent comprendre comment ils vont jouer sur cela. Le sens est une coresponsabilité entre l’individu, le manager et l’entreprise. Le défi : standardiser la personnalisation à grande échelle. Ça se construit. C’est penser autrement les dispositifs d’organisation du travail. Exemple : la semaine de 4 jours. Certaines entreprises appliquent cela à tout le monde. Mais peut-être que tout le monde n’adhère pas à la semaine de 4 jours. Il faut sonder les salariés et réfléchir à ce qui les anime.
Selon Christophe Patte, la semaine de 4 jours reste “l’outil marketing du moment”. Il nous parle de la CNAV qui laisse la possibilité à chaque salarié d’adapter son mode de travail (semaine de 4 jours, hybride). Il s’agit de se demander : “Qu’est-ce que vous préférez ? La CNAV a complètement revu sa façon d’écouter les salariés. La problématique, c’est de réussir à répondre à des besoins individuels tout en répondant aux objectifs globaux de l’entreprise », explique le CEO de myRHline.
Dans notre baromètre candidat 2023 (myRHline x CCLD), il est ressorti que 55 % des jeunes pensent que le travail doit s’adapter à eux. Pour les 18-35 ans, à 89 %, le travail doit s’adapter à eux. Des données à ne pas prendre à la légère lorsque l’on ambitionne de fidéliser les collaborateurs.