Réorganiser son temps de travail sans diminution de salaire grâce à la semaine de 4 jours : la clé pour vivre et produire mieux ? Si en France elle peine encore à se développer, la semaine de 4 jours vient d’être adoptée en Belgique. Et pour cause, elle n’altèrerait en rien la productivité, bien au contraire. Des expérimentations menées à l’étranger semblent prouver ses bénéfices. Alors, qu’en est-il vraiment ? Faut-il opter pour une réduction du nombre de jours de travail en France ?
La semaine de 4 jours : une utopie ?
En 1926, Henry Ford a bouleversé le modèle d’organisation du travail dans le monde de l’industrie américaine. Le fondateur de la Ford Motor Company a décidé de réduire le temps de travail des salariés à 40 heures par semaine de 5 jours, sans diminution de salaire. En mettant en place le week-end de deux jours pour ses employés, il souhaitait augmenter la productivité des équipes leur offrant, ainsi plus de temps libre à consacrer à leurs activités.
En Espagne, où en est la semaine de 4 jours ? Le gouvernement espagnol a instauré une phase de test auprès de 200 entreprises volontaires pendant trois ans à partir de 2022. L’objectif de ce dispositif est d’augmenter la productivité des collaborateurs tout en respectant l’équilibre de temps de vie interrogé durant la crise sanitaire. Tout en maintenant un salaire égal. Parmi les entreprises volontaires, Desigual a voté en faveur de la mise en place de la semaine de 4 jours pour tous les salariés. Désormais, ils travaillent 34 heures par semaine, contre 39,5 heures auparavant. À noter que les collaborateurs perdent moins de 6,5% de leurs revenus avec cette mesure selon les chiffres de FranceInfo. L’entreprise espagnole Telefonica, de son côté, a mise en place la mesure pour 10% de ses effectifs.
La semaine de 4 jours n’est pas encore popularisée en France, bien qu’elle existe déjà au sein de certaines organisations qui ont décidé de casser les codes. L’entreprise spécialisée dans le recyclage Yprema a permis à 80% de ses collaborateurs de profiter de la semaine de 4 jours en 1997. Le choix de proposer un « jour off » a été motivé par la loi Robien qui donnait la possibilité aux entreprises de réduire le temps de travail des salariés en échange d’un allégement de leurs cotisations pendant sept années. 23 ans après ce passage vers la semaine de 4 jours, l’entreprise reste ouverte 5 jours par semaine grâce à la rotation du jour de repos des salariés. Plus récemment, au début de l’année 2021, le groupe LDLC a opté pour le passage à la semaine de 32 heures réparties sur 4 jours d’activité. Le président du directoire a précisé que l’idée d’un jour de repos supplémentaire était inspirée d’une étude menée par Microsoft au Japon. Cette étude révèle que ce dispositif a été bénéfique pour l’entreprise puisque depuis le mois d’août 2020, les salariés japonais de Microsoft sont passés à la semaine de 4 jours et leur productivité a augmenté de 40%.
La Belgique opte pour la semaine de 4 jours
La réforme baptisée le « deal pour l’emploi » a été approuvée par la chambre des représentants belges le 29 septembre 2022. La Belgique offre ainsi aux salariés des entreprises du public et du privé la possibilité de travailler 4 jours par semaine, pour le même salaire. Avec la mise en place de ce dispositif, le nombre d’heures hebdomadaire ne change pas pour autant. Les employés qui choisissent de bénéficier de la semaine de 4 jours devront donc trouver le moyen de condenser une durée de 38 heures de travail en 4 jours. Ce changement équivaut tout de même à des journées de 9:30 de travail, contre 8:00 avant cette réforme. Toutefois, cette organisation pourra être modulée et s’équilibrer en fonction des semaines. Pourquoi ? La mise en place de ce jour de repos en plus doit permettre une plus grande flexibilité aux parents séparés qui s’occupent de leurs enfants en garde alternée. Ainsi, grâce à la semaine de 4 jours, un salarié pourra choisir de travailler 42 heures lorsqu’il dispose de plus de temps à consacrer à sa vie professionnelle, et 34 heures lorsqu’il a d’autres impératifs à respecter. Chaque salarié sera en mesure de renouveler, ou non, son choix tous les six mois.
Néanmoins, les collaborateurs belges doivent remplir certaines conditions pour bénéficier de la semaine de 4 jours. Tout d’abord, la demande doit être validée par l’employeur. Ce dernier est en droit de la refuser. Dans ce cas, il dispose d’un mois pour se justifier par écrit afin de déterminer la comptabilité de la semaine de 4 jours avec l’organisation de l’équipe et les missions à effectuer. Enfin, le bénéficiaire de la semaine de 4 jours n’est pas autorisé à faire d’heures supplémentaires le cinquième jour ou après sa journée.
Réduction du nombre de jours de travail : elle fait ses preuves à l’étranger
À l’étranger, la semaine de 4 jours fait de nombreux adeptes. En Islande, un test, sans aucune diminution sur la fiche de paie des salariés, a été réalisé à grande échelle entre l’année 2015 et l’année 2021. Verdict ? Une expérience très concluante selon le rapport de l’Alda (Association for Democracy and Sustainability) qui annonce un effet positif sur le bien-être des salariés (réduction du stress et du burnout), ainsi qu’une augmentation de la productivité. Depuis, ce sont près de 90 % des actifs islandais qui ont adopté la semaine de 4 jours, trouvant donc une qualité certaine à un « day off » supplémentaire.
De son côté, dans un contexte post-Covid19 où le recrutement devient difficile, l’Angleterre lance elle aussi un modèle similaire : depuis le mois de juin dernier et jusqu’en décembre prochain, 3 000 employés issus de 60 entreprises adoptent la semaine de 4 jours, également sans modification du revenu mensuel.
Enfin, comme nous l’avons vu au début de cet article, le gouvernement espagnol va tester la semaine de 4 jours. Comment ? Un budget de 50 millions d’euros pour aider 150 entreprises volontaires a été alloué a ce dispositif.
Semaine de 4 jours, une nouvelle tendance en France ?
La semaine de 4 jours peine à faire des émules parmi les employeurs français : seuls 2,4 % des employés français à temps complet bénéficiaient, en 2021, d’une durée hebdomadaire de travail comprise entre 32 et 35 heures, selon les indicateurs de la Dares.
Pourtant, à contre-courant des mesures en faveur du pouvoir d’achat récemment adoptées par le parlement (défiscalisation des heures supplémentaires et monétisation des RTT), le « travailler moins pour vivre mieux » séduit de nombreux salariés et jeunes actifs qui aspirent à plus de flexibilité et à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. L’idée ? Favoriser la QVCT en condensant ses horaires sur une semaine de 4 jours, afin de profiter au mieux de son week-end d’un jour supplémentaire, un véritable levier de motivation au travail.
Une nouvelle perception que semble confirmer l’enquête People at Work 2022, menée par le centre de recherches ADP en novembre 2021, à la fin de la pandémie de Covid19 : « 3 salariés sur 5 aimeraient plus de flexibilité sur leurs horaires de travail, comme la possibilité de condenser leurs heures en une semaine de 4 jours ». Par ailleurs, 53 % d’entre eux seraient même prêts à accepter « une baisse de salaire si elle impliquait un meilleur équilibre travail/vie privée ». La qualité de vie et des conditions de travail semble donc primer de plus en plus chez les collaborateurs, à la recherche d’un lieu de travail proposant des services adaptés (travail hybride, semaine de 4 jours, parentalité (service de places en crèche, garde d’enfant)…).
La semaine de 4 jours pour créer de l’emploi ?
En 1996, la loi n°96-502 (Code du travail) du 11 juin 1996 dite « loi Robien » testait déjà le passage de 39 à 32 heures sur une semaine de 4 jours en allégeant les cotisations patronales de sécurité sociale. Les entreprises qui optaient pour cette formule devait alors augmenter leurs effectifs de 10 à 15 %. Avec l’arrivée de la loi Aubry et des 35 heures, la mesure est peu à peu tombée en désuétude.
Pour Andréa Garnero, économiste au département de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, diminuer le temps de travail tout en maintenant les salaires engendrerait par ailleurs un coût supplémentaire qui ne permettrait pas l’embauche. « Si on veut créer de l’emploi, c’est le mauvais outil : toutes les études menées en France et dans d’autres pays n’ont montré aucun impact positif sur l’emploi », confiait-elle à BFMTV en 2021.
De son côté, grâce à loi Robien, la société Yprema a pu faire bénéficier ses employés de 35 heures sur 4 jours et leur PDG, Claude Prigent, est parvenu à doubler ses effectifs en à peine dix ans.
Travailler moins pour travailler mieux
Si l’emploi ne pèse pas toujours dans la balance, le bien-être et la productivité des salariés feraient eux le poids. L’exemple du groupe LDLC le montre bien : quelques semaines seulement après être passée à la semaine de 4 jours, la société a connu une croissance de 40 %, selon Laurent de la Clergerie, président du directoire du groupe. L’absentéisme a par ailleurs été réduit de moitié.
L’explication serait simple : un meilleure équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle favoriserait efficacité et motivation. La fatigue et le stress seraient également beaucoup moins importants. Enfin, un temps de travail plus court serait propice à la priorisation des tâches, des missions donc à une meilleure organisation des employés. Finalement, le groupe n’a « presque pas eu besoin d’embaucher ».
Si la semaine de 4 jours sans perte de salaire ne permettrait pas réellement de créer plus d’emplois, elle serait en revanche un levier de performance pour l’entreprise et jouerait en la faveur de la marque employeur. Car la réduction des jours de travail serait un atout indéniable pour attirer et fidéliser les talents.
Laurène BOUSSÉ