Réorganiser son temps de travail sans diminution de salaire grâce à la semaine de 4 jours : la clé pour vivre et produire mieux ?
Si en France elle peine encore à se développer, la semaine de 4 jours vient d’être adoptée en Belgique. Et pour cause, elle n’altèrerait en rien la performance, bien au contraire.
Des expérimentations menées à l’étranger semblent prouver ses bénéfices. Alors, qu’en est-il vraiment ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? Quelles sont les entreprises ayant adopté ce dispositif ?
37% des salariés sont en faveur d’une semaine de travail de 4 jours, sans diminution de salaire
En 1926, Henry Ford a bouleversé le modèle d’organisation du travail dans le monde de l’industrie américaine. Le fondateur de la Ford Motor Company décida de réduire le temps de travail des salariés à 40 heures par semaine de 5 jours, sans diminution de salaire.
En mettant en place le week-end de deux jours pour ses employés, il souhaitait augmenter la productivité des équipes en leur offrant ainsi plus de temps libre à consacrer à leurs activités.
En 2023, où en est-on ? Selon la dernière enquête ADP “People at Work 2023”, 37 % des salariés français préféreraient travailler 4 jours par semaine, en conservant la même rémunération, mais avec des journées plus longues.
- Ce chiffre atteint 41 % chez les jeunes de 25-34 ans, contre 32 % des 18-24 ans,
- 40 % chez ceux qui pratiquent le travail hybride (contre 31 % chez ceux en 100 % télétravail),
- 39 % chez les femmes – contre 35 % des hommes- et les parents, contre 34 % chez ceux qui n’ont pas d’enfant.
Les secteurs dans lesquels le télétravail semble impossible à pratiquer pour la majorité des effectifs sont particulièrement demandeurs, c’est le cas des salariés travaillant dans le commerce (44 %), l’hôtellerie-restauration (43 %) et les transports (41 %).
Toutefois, le maintien d’une rémunération identique reste un critère important dans la mise en place de cette initiative, car seuls 9 % des interrogés accepteraient d’adopter ce rythme de travail pour une rémunération moindre.
À contre-courant des mesures en faveur du pouvoir d’achat récemment adoptées par le parlement (défiscalisation des heures supplémentaires et monétisation des RTT), le « travailler moins pour vivre mieux » séduit de nombreux salariés et jeunes actifs qui aspirent à plus de flexibilité et à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.
Ppour résumer, l’objectif est de favoriser le work-life balance en condensant ses heures sur une semaine de 4 jours, afin de profiter au mieux de son week-end d’une journée supplémentaire.
Quels sont les avantages de la semaine de 4 jours ?
Des bénéfices à différents niveaux
Ce dispositif offre aux salariés un confort précieux en termes de flexibilité et d’organisation.
Les bénéfices que l’entreprise peut en tirer ne sont pas non plus négligeables. Tout d’abord, le groupe LDLC a réalisé une progression de 40% de son chiffre d’affaires en instaurant la semaine de 4 jours (32 heures), sans réduire leur rémunération.
En Islande, une expérience concluante a démontré un impact positif sur le bien-être des salariés, ainsi qu’une augmentation de la productivité.
Enfin, au Royaume-Uni, des chercheurs de l’université de Cambridge ayant collaboré avec le Boston College ont annoncé les résultats d’une expérimentation grandeur nature menée auprès de 61 entreprises. Les résultats sont sans équivoque : amélioration du bien-être des équipes et de la fidélisation.
En effet, proposer ce type d’initiative représente à la fois un levier de motivation au travail et d’engagement collaborateur.
Selon l’étude Robert Half “Ce que veulent les candidats en 2023”, la semaine de 4 jours (mêmes horaires en 4 jours, pour la même rémunération) arrive en tête des avantages en termes de flexibilité souhaitée par les salariés.
La réduction ou l’aménagement du temps sont également sollicités, avec un attrait pour des initiatives comme la possibilité de partir plus tôt le vendredi après-midi (28 %), ou des journées de travail plus courtes pour une rémunération équivalente (26 %).
Un levier de fidélisation ?
Lorsqu’on demande aux personnes interrogées les raisons pour lesquelles elles souhaitent rester dans leur entreprise actuelle, c’est le bon équilibre entre pro/perso qui est privilégié par 70 % d’entre elles.
Ensuite, elles citent une ambiance de travail bienveillante (58 %) et la bonne entente avec son manager/son équipe (44 %).
Par ailleurs, selon l’enquête ADP 2023, 18 % des travailleurs français (contre 33 % au niveau mondial) considèrent que, d’ici cinq ans, la norme dans leur secteur d’activité sera de bénéficier d’une flexibilité totale des horaires, à condition qu’ils parviennent à remplir leurs missions au regard d’indicateurs de performance et de résultats.
Les salariés les plus nombreux à le penser sont ceux issus des secteurs de la finance (27 %), des médias et de l’information (24 %) et de l’industrie (23 %).
La qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) semble donc primer de plus en plus chez les collaborateurs, à la recherche d’un lieu proposant des services adaptés à leurs attentes (hybride, service de places en crèche, flexibilité, etc.).
Répondre aux attentes des collaborateurs vous permet ainsi de faire rayonner votre marque employeur et d’éviter le quiet quitting ainsi que l’absentéisme et évidemment, le turnover.
Pourtant, la semaine de 4 jours peine à faire des émules parmi les employeurs français : seuls 2,4 % des actifs français à temps complet bénéficient, en 2021, d’une durée hebdomadaire comprise entre 32 et 35 heures, selon les indicateurs de la Dares.
Alors, quels sont les risques pour l’entreprise ?
Quels sont les inconvénients de passer à 4 jours de travail par semaine ?
Pour profiter des bénéfices de cette réorganisation, l’employeur doit être en mesure de répartir la charge de travail global équitablement, tout en garantissant l’ouverture de sa structure aux horaires habituels. Les salariés présents à tour de rôle doivent être formés afin de pouvoir répondre aux demandes de leurs collègues et/ou des clients.
Une telle expérimentation ne s’improvise pas. La complexité de la réorganisation et de la répartition des effectifs doit être envisagée en amont afin d’éviter de surcharger les équipes et de transformer leur quotidien en course contre la montre. Veiller à la santé mentale et physique des salariés notamment en réduisant au maximum les risques psychosociaux (RPS) et les TMS est crucial.
Pour finir, proposer la semaine de 4 jours aux équipes ne correspond pas à une recette miracle. Pour être efficace, votre stratégie de fidélisation doit s’inscrire au sein d’une politique de gestion des talents et de QVCT plus large.
Les attentes des salariés ne se résument pas à la flexibilité, bien que cet aspect prenne de plus en plus d’importance à leurs yeux. Selon le baromètre CCLD et myRHline 2023, les 5 facteurs qui motivent les candidats à dire oui à une entreprise sont les suivants :
- Adéquation entre ses valeurs et celles de l’organisation
- Management
- Rémunération
- Cadre de vie professionnel
- Proposer des solutions
Quels sont les pays qui testent la semaine de 4 jours ?
La Belgique opte pour la semaine de 4 jours
La semaine de 4 jours fait de nombreux adeptes dans le monde. En Belgique, la réforme baptisée le « deal pour l’emploi » a été approuvée par la chambre des représentants belges le 29 septembre 2022. Nos voisins offrent ainsi aux salariés du public et du privé la possibilité de travailler 4 jours par semaine, sans changement de rémunération.
Avec la mise en place de ce dispositif, le nombre d’heures hebdomadaires ne change pas pour autant. Les employés qui choisissent d’en bénéficier devront donc trouver le moyen de condenser une durée de 38 heures en 4 jours. Ce changement équivaut tout de même à des journées de 9:30 de travail, contre 8:00 avant cette réforme.
Toutefois, cette organisation pourra être modulée en fonction des périodes. Pourquoi ? Ce jour off en plus doit permettre une plus grande flexibilité aux parents séparés qui s’occupent de leurs enfants en garde alternée.
Ainsi, un salarié pourra choisir de travailler 42 heures lorsqu’il dispose de plus de temps à consacrer à sa vie professionnelle, et 34 heures lorsqu’il a d’autres impératifs à respecter.
Chaque salarié sera en mesure de renouveler, ou non, son choix tous les six mois.
Néanmoins, il faut remplir certaines conditions pour bénéficier de ce dispositif. Tout d’abord, la demande doit être validée par l’employeur. Ce dernier est en droit de la refuser. Dans ce cas, il dispose d’un mois pour se justifier par écrit afin de déterminer la compatibilité de ce dispositif avec l’organisation de l’équipe et les missions à effectuer. Pour finir, le bénéficiaire n’est pas autorisé à faire d’heures supplémentaires le cinquième jour ou après sa journée de travail.
L’Espagne a entamé une phase de test
Le gouvernement espagnol, lui aussi, va tester ce dispositif, un budget de 50 millions d’euros pour aider 150 entreprises volontaires va y être alloué. L’objectif est d’augmenter la productivité des collaborateurs tout en respectant le work-life balance. Le tout, en maintenant un salaire égal.
Desigual a voté en faveur de sa mise en application pour tous les salariés. Désormais, ils travaillent 34 heures par semaine, contre 39,5 heures auparavant. À noter que les collaborateurs perdent moins de 6,5% de leurs revenus avec cette mesure selon les chiffres de FranceInfo.
L’entreprise espagnole Telefonica, de son côté, a déployé l’initiative pour 10% de ses effectifs.
Islande, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande…
En Islande, un test n’impliquant aucune diminution de rémunération a été réalisé à grande échelle entre l’année 2015 et l’année 2021. Verdict ? Une expérience très concluante selon le rapport de l’Alda (Association for Democracy and Sustainability) qui annonce un effet positif sur le bien-être des salariés, leur santé mentale ainsi qu’une augmentation de la productivité. Depuis, ce sont près de 90 % des actifs islandais qui bénéficient d’une réduction du temps ou d’autres aménagements.
De son côté, l’Angleterre a lancé un modèle similaire entre juin et décembre 2022 auprès de 3 000 actifs issus de 60 entreprises. Les résultats sont très positifs puisque cette initiative favorise le bien-être et la fidélisation des collaborateurs.
Enfin, en Nouvelle-Zélande, 81 collaborateurs travaillant chez Unilever participent à un essai d’un an tout en conservant la même rémunération.
Exemples d’entreprises qui l’ont adoptée
Cette initiative n’est pas encore popularisée en France, bien qu’elle existe déjà au sein de certaines organisations qui ont décidé de casser les codes.
La société spécialisée dans le recyclage Yprema a permis à 80% de ses collaborateurs de profiter de la semaine de 4 jours en 1997. Le choix de proposer une journée supplémentaire de week-end a été motivé par la loi Robien qui donnait la possibilité aux entreprises de réduire le temps de travail des salariés en échange d’un allégement de leurs cotisations pendant sept années. 23 ans après le passage vers ce dispositif, Yprema reste ouverte 5 jours par semaine grâce à la rotation du jour de repos des salariés.
Plus récemment, au début de l’année 2021, le groupe LDLC a opté pour la semaine de 32 heures réparties sur 4 jours d’activité. Le président du directoire a précisé que l’idée d’une journée de repos supplémentaire était inspirée d’une étude menée par Microsoft au Japon. Cette dernière révèle que ce dispositif a été bénéfique puisque depuis le mois d’août 2020, les salariés japonais de Microsoft ayant adapté ce modèle ont vu leur productivité augmenter de 40%.
Quelque temps après être passée à la semaine de 4 jours, la société a connu une croissance de 40 %, selon Laurent de la Clergerie, président du directoire du groupe. Le taux d’absentéisme a par ailleurs été réduit de moitié.
L’explication serait simple : un meilleur work-life balance favoriserait l’efficacité et la motivation. Enfin, cela serait propice à la priorisation des tâches, des missions donc à une meilleure organisation. Au niveau du recrutement à prévoir, le groupe n’a « presque pas eu besoin d’embaucher ».
D’autres initiatives en ce sens voient le jour en France. Par exemple, au sein de la CNAV, un nombre significatif des salariés occupant des postes non télétravaillables, vont avoir la possibilité d’expérimenter la semaine de 4 jours. Ainsi, deux formules sont expérimentées, l’une de 37h sur 4 jours, avec le maintien de 8 jours RTT, l’autre de 35h sur 4 jours et le renoncement aux RTT.
La métropole de Lyon propose à ses agents de participer à une expérimentation à partir de septembre 2023 et pour environ 1 an. Elle a choisi de maintenir la durée hebdomadaire de présence en la répartissant sur 4 jours voire 4 jours et demi. Ce dispositif pourrait concerner 5 500 personnes parmi les 9 600 agents publics de la métropole.
L’expérimentation vise ainsi à développer l’attractivité, diminuer le taux d’absentéisme et faciliter les recrutements, alors que la collectivité est confrontée à des difficultés de recrutement.
La semaine de 4 jours : un moyen de créer des emplois ?
En 1996, la loi n°96-502 (Code du Travail) du 11 juin 1996 dite « Robien » testait déjà le passage de 39 à 32 heures sur une semaine de 4 jours en allégeant les cotisations patronales de sécurité sociale. Les entreprises qui optaient pour cette formule devaient alors augmenter leurs effectifs de 10 à 15 %. Avec l’arrivée de la loi Aubry et des 35 heures, la mesure est peu à peu tombée en désuétude.
Pour Andréa Garnero, économiste au département de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, diminuer le temps de travail tout en maintenant les salaires engendrerait par ailleurs un coût supplémentaire qui ne permettrait pas l’embauche. « Si on veut créer de l’emploi, c’est le mauvais outil : toutes les études menées en France et dans d’autres pays n’ont montré aucun effet positif dessus », confiait-elle à BFMTV en 2021.
De son côté, la société Yprema a pu faire bénéficier ses équipes de 35 heures sur 4 jours et leur PDG, Claude Prigent, est parvenu à doubler ses effectifs en à peine dix ans.