Congés illimités, salaires transparents, Radical Candor : Qu’est-ce-que c’est l’innovation RH ? Lors du salon HR Technologies 2023 s’étant déroulé à Paris, Pierre Monclos, DRH et Expert en Digital Learning chez Unow ainsi que Michel Barabel, Directeur des publications du LabRH et Directeur de l’EMRH – SciencesPo Executive Education ont présenté leur vision de l’innovation RH en mettant en perspective différents cas d’entreprises.
La fonction RH, en constante évolution
La fonction Ressources Humaines (RH) est apparue à la fin du 19e siècle, en pleine révolution industrielle au sein des grandes usines. À une époque où le taylorisme bat son plein, les “services du personnel” devaient alors assurer la gestion des effectifs et gérer le taux important de turnover.
Le 28 décembre 1910, en France, les députés adoptent la Loi « portant codification des lois ouvrières » et consacrant un droit nouveau : le Code du travail. Véritable innovation RH, le « Livre 1er du code du travail et de la prévoyance sociale » porte sur les « conventions relatives au travail » (contrats d’apprentissage, contrat de travail, salaire et placement). Le dernier livre est adopté le 25 février 1927. La fonction Ressources Humaines (RH), ses processus et ses outils ont depuis beaucoup évolué, tout comme le management et le rapport au travail.
Véritable innovation RH, le mouvement des start-up datent des années 1995 et a été au début perçu comme un disrupteur de la gestion RH. Depuis 5 ou 6 ans, les start-up et scale-up réinventent leurs politiques RH pour leurs collaborateurs.
Pierre Monclos, DRH et Expert en Digital Learning chez Unow s’est volontairement livré à un exercice caricatural destiné à prendre du recul sur les RH traditionnelles et les RH de certaines start-up. Il a ainsi opposé les RH qui existent depuis longtemps et se sont construites sur un contexte sociétal et professionnel particulier :
- Opacité
- Rigidité des process RH (pas de flexibilité…)
- Micro-contrôle
- Style directif (respect des règles de télétravail et des accords en place)
- Contraintes
Avec les innovations RH clivantes de certaines scale-up et start-up :
- Transparence
- Ultra flexibilité des modes de travail
- Démonstration de confiance
- Posture de coach
- Bienveillance
Les politiques RH innovantes impactent directement l’attraction et la fidélisation des talents, tout en répondant à des enjeux de performance et de croissance.
Congés illimités : une innovation RH ?
Certaines start-up et scale-up ont choisi de ne plus suivre le cadre légal des congés payés. Cette mesure ultra flexible vise à proposer un équilibre vie professionnelle vie personnelle optimal. Sous réserve évidemment que les collaborateurs atteignent leurs objectifs professionnels.
Le second enjeu de cette innovation RH en faveur d’un meilleur work-life balance consiste à promouvoir et démontrer la confiance de la direction envers les salariés. Le dernier est d’attirer davantage de candidats à soi, en faisant de l’inbound recruiting à la manière de l’inbound marketing et en fidélisant les talents.
En effet, ces entreprises ne peuvent pas toujours être plus attractives au niveau de la rémunération que les grands groupes. Alors, pour donner envie aux talents de travailler dans leur start-up, celles-ci se tournent souvent vers des processus de ressources humaines innovants.
Les bienfaits des congés illimités peuvent être multiples :
- Responsabilisation des équipes
- Meilleure QVCT
- Fidélisation et développement de l’attractivité (au bénéfice de la marque employeur)
- Amélioration de la productivité
- Diminution du taux de turnover et d’absentéisme
- Le saviez-vous ? Les entreprises Alan, Anikop, Indeed, Netflix ou encore LinkedIn ont adopté cette innovation RH.
Cependant, il est essentiel que l’entreprise propose des conditions culturelles de succès pour cette mise en place. Quelles sont ces conditions de réussite ?
- Assertivité
- Exemplarité des managers (si le manager prend peu de congés, on risque un découragement des équipes)
- Habitudes culturelles
- Outils à disposition
En effet, Emmanuel Boulade, le porte-parole d’Alan, affirme que la grande majorité des salariés “prend en moyenne cinq jours de plus que les cinq semaines habituelles, ce qui n’est pas très éloigné de la moyenne des Français (33 jours environ, soit plus de 6 semaines de congés, RTT comprises)”. Quant à Indeed France, en moyenne, les salariés prennent sept jours de congés de plus que les congés légaux (Challenges, “Ces entreprises qui offrent des vacances illimitées à leurs salariés“).
Par ailleurs, selon l’étude “The State of American Vacation 2017”, 35% des femmes de la génération Y interrogées affirment qu’elles ne prennent pas de congés car elles se sentent coupables, contre 25% des hommes.
Mais à quoi est-ce dû ? Avoir droit à un nombre précis de jours de congés payés offre un côté très rassurant à de nombreuses personnes. Sans un tel cadre, certains collaborateurs pourraient se montrer hésitants à adopter une nouvelle gestion. De plus, la pression du groupe peut être dissuasive par peur du regard des autres ou de bénéficier de plus de CP que ses collègues.
Voici pourquoi dans certains cas, cette innovation RH s’est transformée en une fausse bonne mesure. Bien que très séduisante au premier abord, la gestion de la politique de congés illimités doit être encadrée pour éviter les dérives, les tensions en interne et susciter l’adhésion des équipes. La culture d’entreprise doit être compatible avec ce changement. Car si les conditions culturelles ne sont pas réunies, cette liberté pourrait conduire à des inégalités, à la privation et la peur d’oser.
Les solutions et alternatives possibles selon Pierre Monclos et Michel Barabel peuvent consister à proposer un package de congés supplémentaires ou bien à instaurer une semaine de 4 jours, payée 5. L’entreprise peut également demander leur avis aux collaborateurs, en proposant un système d’évaluation ou de questionnaire.
Du règne de l’opacité à la transparence des salaires
L’opacité dans la gestion des ressources humaines concerne les primes, les salaires, l’état des finances et les décisions de l’entreprise. Elle peut provoquer des conséquences néfastes : manipulation, abus de pouvoir, discrimination, rétention d’informations…
En ce sens, la transparence permet de responsabiliser les équipes, de leur montrer de la confiance sans les infantiliser. Tout en leur offrant de la visibilité à propos de leurs perspectives d’évolution ou de mobilité.
La transparence des salaires peut s’illustrer à 3 niveaux au sein des start-up :
- Une grille de rémunération transparente (en fonction de l’ancienneté, de la fonction, du niveau de responsabilité hiérarchique de chacun)
- La liste des salariés par métiers, niveau de responsabilité et une colonne indiquant les salaires. Si ce document était présenté à chaque candidat lors de l’entretien de recrutement, il l’aiderait sûrement à davantage se projeter dans l’entreprise. De plus, ce document représenterait une aide à la prise décision notamment lors de l’entretien d’évaluation ou de demande de mobilité.
- La publication du montant des salaires en externe. Ce dernier niveau d’innovation RH est très peu utilisé.
La culture française est-elle prête à adopter ces innovations ? En France, nous sommes plus habitués à l’hyper compétition et la non transparence. Surtout en matière de recrutement. Le salaire est même souvent un sujet de discussion tabou.
Au Danemark, la culture est très différente. Elle se base plutôt sur l’hyper transparence et l’hyper collaboration. Depuis une loi de 2006, les entreprises de plus de 35 salariés doivent publier les écarts de rémunération des salariés par genre.
De son côté, la Grande-Bretagne impose aux entreprises de plus de 250 personnes de publier leurs statistiques salariales depuis 2018. Selon la journaliste Léa Lejeune “En Allemagne, les employés des sociétés de plus de 200 personnes ont le droit de connaître le salaire médian d’un groupe d’employés comparables.”
La transparence des salaires permet-elle de réduire les inégalités de rémunération au sein de l’entreprise ? Une étude résumée par Harvard Business Review démontre que la formation d’écart des salaires entre hommes et femmes a diminué de 18,9% à 17,5% au Danemark. Autre effet bénéfique : la mesure a permis d’augmenter de 5% le nombre de femmes recrutées. Enfin, un autre fait intéressant démontre que, pour que l’initiative RH soit efficace, les niveaux de revenus n’ont pas besoin d’être connus par le grand public mais simplement par les collaborateurs de l’entreprise.
Mais pour mettre en place de telles innovations RH, les entreprises doivent construire une politique salariale objective, mettre à jour leurs référentiels de compétences et chaque manager doit assumer ses décisions. Ainsi, la transparence responsabilise et apporte de la confiance au service de la performance de l’entreprise.
Innovation RH : Radical Candor, c’est quoi ?
L’approche Radical Candor ou “franchise radicale” est une stratégie de communication qui s’appuie sur l’ouvrage de Kim Scott. Celle-ci correspond à une innovation RH car elle promeut une culture de la sincérité. Ce processus passe par le fait de dire à ses collègues ce qui ne fonctionne pas, au niveau de leur comportement ou de leur travail. Pourquoi ? Des retours constructifs favorisent l’amélioration, le développement des compétences (hard et soft skills) et démontrent que nous nous soucions des autres.
On ne doit pas choisir entre bienveillance et exigence.
Mais selon le DRH de Unow, parfois sous couvert de bienveillance, le manager ne fait pas suffisamment de feedbacks à son équipe, ce qui empêche toute progression ou expérience de remise en question. De l’autre côté, trop d’exigence donne facilement lieu à de l’agressivité et de la compétitivité chez les collaborateurs. L’impact de ce type de communication est donc négatif autant sur la performance que la stratégie à long terme de l’organisation. Evidemment, les risques concernent aussi la santé mentale des salariés. Ces pratiques se font donc au détriment du collectif.
En effet, il indique : « La bienveillance c’est savoir dire les choses pour favoriser la progression. Ce qui consiste à défendre l’idée de faire attention à l’autre, de dire les choses pour qu’il ne se prenne pas un mur. »
L’important pour réussir la mise en place de cette innovation RH est donc selon lui de définir clairement les ambitions de l’entreprise, son projet et les objectifs professionnels du collaborateur. Le tout, en mettant en place une culture du feedback. “Chaque retour constitue une opportunité de progresser et de faire progresser.” Évidemment, il est inutile et contre-productif de corriger des erreurs dans le simple but de réprimer ou de mépriser autrui. Le but est de réussir à tendre vers cet équilibre entre bienveillance et exigence. Ce qui a demandé “18 mois pour que le processus de transformation soit effectif chez Unow” affirme t-il.