Les récents soubresauts économiques empêchent de nombreux salariés de quitter un travail qui ne les satisfait plus. Gonflés d’un ressentiment profond à l’encontre de leur employeur et désemparés face à leur avenir professionnel, ils incarnent un nouveau phénomène particulièrement en vogue aux États-Unis, le « résentéisme ». Quelle est cette nouvelle tendance et quelles en sont les conséquences du résentéisme pour les entreprises ? Découvrez ces employés qui ne « veulent » plus de leur travail et qui le font savoir sans détour.
Les laissés pour compte de la Grande Démission
Démissions massives et inattendues, employés qui abandonnent subitement leur poste de travail par millions, ces phénomènes, qui ont frappé les États-Unis dans le sillage de la crise du Covid-19, forment ce qu’on appelle désormais la Grande Démission.
Une onde de choc qui n’a pas épargné la France, au point de plonger certains secteurs dans de véritables pénuries de main-d’œuvre, à l’instar de l’hôtellerie-restauration.
Oui mais voilà, tous les employés n’ont pas pu, et ne peuvent toujours pas, s’offrir le luxe d’une démission. C’est plus particulièrement le cas de ceux travaillant dans des domaines d’activité où le retournement de la conjoncture économique et l’inflation galopante interdisent de claquer la porte de son entreprise. Les salariés des entreprises technologiques sont tout particulièrement touchés. Aux États-Unis, des licenciements massifs ont ainsi succédé aux démissions généralisées, réduisant presque à néant les moyens de pression des collaborateurs.
Ces actifs, contraints de conserver un emploi qu’ils estiment sous-payé et obligés de rester dans une entreprise au sein de laquelle ils ne se sentent pas valorisés, nourrissent un profond ressentiment à l’égard de leur employeur. L’entreprise britannique de logiciels de gestion RotaCloud a alors a décidé de baptiser ce nouveau phénomène resenteeism (résentéisme). Ce néologisme, basé sur l’anglais to resent (littéralement « éprouver du ressentiment »), traduit un sentiment de mécontentement profond qui concerne de plus en plus de salariés en manque d’épanouissement professionnel.
Résentéisme : un symptôme significatif de souffrance au travail
Le quiet quitting décrit la tendance qu’ont un nombre croissant d’employés à ne pas faire plus que les missions listées dans la fiche de poste. Un désengagement silencieux de son travail, nourri par une démotivation viscérale qui a émergé ces dernières années. Le résentéisme n’est rien d’autre que son successeur naturel, marqué par une grande frustration, un manque de motivation au travail, une irritabilité exacerbée et une angoisse dévorante. Le résentéisme est lié à une sombre amertume qui dissimule, en réalité, un sérieux mal-être.
Tout comme le présentéisme, qui consiste à rester ostensiblement sur son lieu de travail sans être productif, le résentéisme est un véritable burn-out larvé. Ces collaborateurs, soucieux pour leur avenir, inquiets d’être victimes d’un licenciement inopiné, se sentent piégés dans un emploi qu’ils estiment mal rémunéré, condamnés à accomplir des tâches qu’ils jugent dénuées de sens. L’absence d’horizon, la peur du lendemain et l’inquiétude permanente les plongent dans un état de détresse particulièrement aiguë, affectant leur équilibre psychologique sur le long terme.
L’incapacité de partir, combinée à une surcharge de missions et un quotidien dégradé au sein de l’entreprise, est un ensemble d’éléments qui détériorent considérablement la santé physique et mentale de ces collaborateurs. Le bien-être des salariés n’est plus au rendez-vous. Ils nourrissent une colère qu’ils partagent plus facilement à leur entourage, et notamment à leurs collègues, propageant ainsi le résentéisme et ses conséquences à l’ensemble de l’entreprise.
Le résentéisme, source de conflits et de contre-performance
Le résentéisme est contagieux et puissant et peut rapidement concerner l’ensemble des salariés de l’entreprise. Le moral en berne des employés qui en souffrent contribue à augmenter le climat anxiogène régnant dans les entreprises concernées, impactant la QVCT de manière générale. Mais si les quiet quitters se désengagent de leur travail en toute discrétion et en silence, les travailleurs atteints de résentéisme font part de leurs états d’âme sans le moindre filtre.
Parlant franchement et ouvertement de leur souffrance et de leur angoisse, ces employés entrent rapidement en conflit avec leur hiérarchie, perçue comme une menace. La dégradation de la communication entre les acteurs de l’entreprise instaure un climat de tension qui aggrave le sentiment d’insécurité et d’oppression des salariés dépourvus de perspectives et d’options professionnelles.
Il en résulte une baisse de la productivité, des entraves à la communication entre les acteurs de l’entreprise et un risque accru de contre-performance. Absentéisme, burn-out, arrêts maladie qui s’enchaînent sont autant de conséquences d’un tel degré de frustration. Bien entendu, les salariés en situation de “résentéisme” deviennent également les contre-ambassadeurs de leur propre entreprise, nuisant ainsi à sa réputation. On assiste alors à un cercle vicieux particulièrement néfaste pour la marque employeur.
Résentéisme : des rapports de force musclés entre employés et employeurs
Dans un contexte de vagues de licenciements frappant le milieu de la tech outre-Atlantique, et face aux inquiétudes de ceux qui sont encore en poste, les salariés s’organisent. Entre conseils juridiques prodigués sur les réseaux sociaux, dénonciations publiques de méthodes managériales toxiques ou des licenciements abusifs, les salariés incarnant le résentéisme n’hésitent pas à se montrer cyniques envers leur entreprise.
Puisque leurs conditions de travail sont insatisfaisantes et leur avenir incertain, ces derniers ont décidé de hausser le ton face à leur employeur et de muscler les négociations. C’est notamment le cas de ceux en passe d’être remerciés ou de voir leur salaire diminué – question d’autant plus délicate à l’heure où la santé financière des collaborateurs est mise à mal par les conséquences de l’inflation. Plus question pour eux d’en accepter davantage sans se défendre et faire valoir leurs droits. En conséquence, les relations avec les supérieurs hiérarchiques, devenus des adversaires, se transforment en rapport de force où aucune concession n’est permise.
Le résentéisme marque une nouvelle étape dans l’évolution du marché du travail dans le monde post-Covid. Ce phénomène, largement tributaire des aléas économiques globaux, représente également la volonté ferme des salariés de repenser les conditions de travail et d’avancer vers une culture d’entreprise plus saine et sereine. Une tendance qui n’est pas sans rappeler les exigences d’un nombre croissant de salariés français, bien décidés à tisser de nouveaux rapports avec leur employeur et leur entreprise.