Après le quiet quitting et le conscious quitting, un nouveau néologisme fait son apparition et impacte la sphère RH : le loud quitting.
Cette tendance, qui consiste à dire haut et fort son insatisfaction et pouvant déboucher sur une démission effective, cumule plus de 11 millions de vues sur le célèbre réseau social TikTok, très prisé des jeunes talents.
Qu’implique cette tendance pour les entreprises ? Quels leviers actionner pour réengager les collaborateurs sur le point de démissionner ?
Éclairages.
Loud quitting : plus de 11 millions de vues sur TikTok
Le loud quitting, ou démission bruyante est un phénomène qui a fait beaucoup parler de lui sur TikTok récemment. Cumulant plus de 11 millions de vues sur le réseau social sous le hashtag #loudquitting, en quoi consiste cette tendance, symptomatique des nouveaux rapports sociaux au travail chez les jeunes ?
- Notons que les personnes issues de la génération Z et arrivant sur le marché du travail ont baigné dans l’utilisation de telles plateformes sociales, qui se déploie dans une logique d’affirmation de valeurs individuelles. Avec le loud quitting, de nouvelles formes d’expression émergent, à l’instar du mouvement #BalanceTonSalaire sur Twitter.
Comme son nom l’indique, le loud quitting consiste à faire du bruit : il peut s’agir de faire valoir ses droits en tant qu’employés, de dire haut et fort son insatisfaction, de remettre en cause le lien de subordination existant entre le salarié et le manager… En bref, le mouvement s’apparente à l’expression de revendications liées aux attentes des salariés.
Selon un rapport de l’institut Gallup, 18 % des travailleurs Européens sont concernés par le loud quitting, qui se traduirait par le fait que la confiance entre l’employé et l’employeur se trouve gravement mise à mal et que les actions des salariés nuisent directement à l’organisation et à ses objectifs.
State of the Global Workplace : 2023 Report, Gallup
Marine Parnet-Geille, coach professionnelle, décrit ce phénomène comme « Une manière théâtrale de se faire entendre », qui cacherait, en réalité, un certain besoin de reconnaissance. Il ne s’agirait donc pas nécessairement d’un véritable « aveu de démission », mais bien de tirer la sonnette d’alarme. La coach souligne que lorsque les salariés pensent devoir faire « beaucoup de bruit » pour exister auprès de leur employeur, c’est qu’ils souhaitent en réalité que leur travail soit reconnu, afin de montrer qu’ils méritent davantage.
Ainsi, le loud quitting ne conduirait-il pas toujours par une démission effective ? Avant d’en arriver à la démission, une discussion ouverte peut être engagée à l’initiative du salarié, débouchant sur une négociation. Les raisons invoquées peuvent être diverses et variées selon les besoins des collaborateurs (gagner un jour de télétravail, toucher une augmentation de salaire, etc.) En définitive, le loud quitting pourrait aussi se définir comme une stratégie de la part du salarié (celle de la dernière chance ?) pour obtenir certains avantages au travail, pour améliorer sa QVCT, sa motivation au travail, sa productivité, etc.
Mais comme nous l’avons vu, le loud quitting peut être aussi le symptôme d’un mal-être au travail débouchant sur le point de non-retour qu’est la démission.
Loud quitting et autres néologismes en ING : comment s’y retrouver ?
Loud quitting, conscious quitting, quiet quitting… Quel est le dénominateur commun de ces néologismes en ING qui n’en finissent plus ? Ils sont tous liés à un défi RH en particulier : celui de l’engagement collaborateur.
Comprendre ces tendances permet de mieux saisir les défis auxquels sont confrontés les professionnels des ressources humaines et les entreprises aujourd’hui, en France comme ailleurs. Pour mieux comprendre le loud quitting, il semble nécessaire de revenir sur deux phénomènes en particulier que sont le quiet quitting et le conscious quitting.
- Le quiet quitting équivaut en français à la « démission silencieuse ». Il s’agit de faire le strict minimum dans son travail, notamment pour préserver sa santé mentale. Les collaborateurs ne souhaitent plus sacrifier leur équilibre vie professionnelle vie personnelle pour leur emploi et se contentent d’exécuter les missions qui leur sont affectées, autrement dit, celles qui figurent dans leur fiche de poste. D’après le Guardian, le quiet quitting s’inspirerait du #TangPing des réseaux sociaux chinois, symptomatique des revendications de la nouvelle génération de travailleurs chinois luttant contre la culture du rythme de travail effréné, consistant à travailler 6 jours par semaine de 9 heures à 21 heures.
- Le conscious quitting, quant à lui, signifie « démission consciente ». Dans un baromètre 2023 « Net Positive Employee Barometer », Paul Polman tisse les contours des enjeux RH liés à ce phénomène, dans un contexte où les employés d’aujourd’hui veulent consacrer leur temps et leurs compétences à des organisations à impact, dans l’optique de réinjecter du sens au travail (d’où la nécessité d’établir une stratégie RSE, entre autres). D’autant plus que l’écoanxiété impacte certains collaborateurs. Pour 9 sur 10 d’entre eux, la situation environnementale et le contexte social sont jugés préoccupants, peu importe le secteur d’activité ou le profil des répondants (Imagreen, Institut Kantar, 2022).
En définitive, qu’il s’agisse de conscious quitting, de quiet quitting ou de loud quitting, la problématique sous-jacente à ces tendances consiste à tenir compte des attentes et besoins des talents pour réengager et fidéliser les collaborateurs.
À cet égard, les récents chiffres avancés par l’Institut Gallup témoignent de la nécessité de réenchanter les collaborateurs : seulement 7 % des employés français se disent engagés dans leur travail. En matière d’engagement collaborateur, la France se situe en 36e position sur 38 pays européens (cf. State of the Global Workplace, Institut Gallup, 2023).
Le groupe américain spécialiste du sondage indique que les Européens s’estimant désengagés sont 72 % à être concernés, contre 59 % à l’échelle mondiale, et que la part des employés activement désengagés (en situation de loud quitting) atteint 15 % en Europe, 18 % à l’échelle de la planète.
- Le saviez-vous ? Le manque d’implication des salariés peut entraîner d’importantes dépenses pour les entreprises, d’après une étude de Gallup. Le coût du désengagement silencieux pour l’économie mondiale, par exemple, s’élèverait à près de 9 000 milliards de dollars.
Comment refavoriser l’engagement ?
La nécessaire prise en compte des attentes des salariés
Qu’il s’agisse de loud quitting, de quiet quitting, voire de conscious quitting, l’enjeu reste le même : il est nécessaire de rétablir le dialogue et de comprendre les attentes des collaborateurs.
Et si ces attentes sont propres à chacun, on voit certaines tendances se dessiner, comme l’importance de la santé financière des employés.
Selon une récente enquête Robert Half, parmi les raisons qui poussent les salariés à vouloir changer d’entreprise, figure en tête de liste l’augmentation de salaire, suivie de près par la nécessité d’améliorer le work-life balance (équilibre des temps de vie), et celle consistant à faire évoluer sa carrière.
Facteurs de risques de démission, selon l’enquête Candidats de Robert Half (2023)
Mais ce n’est pas tout, puisque la quête de sens ou le manque de flexibilité sont également cités, ainsi qu’une culture d’entreprise qui ne répond pas aux aspirations des collaborateurs ou encore le manque d’actions de l’entreprise face à la crise énergétique et à la Diversité, l’Équité et l’Inclusion.
À cet égard, dans une étude menée par l’EDHEC et parue en début d’année sur les aspirations professionnelles de la nouvelle génération, il semblerait que les jeunes aient besoin d’être alignés avec les valeurs de l’entreprise, ainsi que le soulignait Manuelle Malot.
La génération 1968 adressait sa révolution sociétale au monde politique. La nouvelle génération compte sur l’entreprise, qu’elle considère comme redevable des enjeux actuels, sociétaux et environnementaux, pour mener la sienne.
Le dénominateur commun de ces attentes ? Le mieux-être au travail, une attente qui concerne notamment la jeune génération, à l’heure où la santé mentale de celle-ci semble fragilisée en France.
Selon une étude menée par JobTeaser, 30 % des 18-30 ans confient se sentir mal, voire très mal moralement dans le contexte actuel, ce qui impacte leurs premiers pas dans le marché de l’emploi.
Rétablir la communication entre salariés et entreprises
L’essor du phénomène de loud quitting renforce la nécessité pour les entreprises et les salariés de réinjecter du dialogue et de s’accorder des moments d’échanges privilégiés, à l’instar de l’entretien annuel d’évaluation, qui se doit aussi d’être un moment propice à cela.
Pierre-Henri Multon, consultant RH et coach certifié, conseille les PME sur les problématiques qui ont trait aux salariés désengagés. Selon lui, il faut d’abord que le dirigeant d’entreprise accepte que son organisation ne soit pas parfaite, « et qu’il doit écouter les employés sur ce sujet. » Après avoir mené une enquête d’engagement collaborateur en interne, le consultant est en mesure de remonter aux facteurs de démotivation chez les salariés, afin d’établir des leviers d’action, puis de travailler sur les facteurs motivationnels. C’est ainsi qu’il explique qu’un « super team building » n’aura aucun effet si l’ambiance au travail est mauvaise. Pire, cela pourrait même engendrer « de l’ironie » chez les salariés, appuie-t-il.
De manière générale, il est nécessaire de rétablir la communication avec ses collaborateurs afin que les non-dits ne s’accumulent pas jusqu’au point de non-retour.