Nadine REGNIER ROUET, Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit social, nous apporte son expertise et son regard sur l'actualité du droit social.
Cette règle résulte d’un arrêt du 29 juin 2011 (n° 09-67492) de la Cour de cassation.
Les faits
Un différend oppose un salarié « Directeur exécutif chargé de clientèle » et son employeur, lesquels avaient signé ensemble en juillet 2001 un contrat de travail prévoyant une rémunération annuelle du salarié par un fixe de 900.000 francs (environ 137.200 euros) et une partie variable pouvant représenter jusqu’à 40 % du fixe.
En vertu du contrat de travail du 23 juillet 2001, la partie variable était définie comme suit :
« partie variable pouvant atteindre 40 % de la rémunération brute en fonction des objectifs convenus annuellement, le montant du bonus étant calculé selon l'atteinte des objectifs individuels, dans le domaine financier, pour 60 %, qualité pour 30 % et individuel pour 10 %, un document chiffré devant être remis chaque année ».
Pour les années 2002, 2003, 2004 et 2005, l’employeur a remis au salarié un document définissant ses objectifs individuels mais non la rémunération variable corrélative (notamment, le montant du bonus à objectifs tous atteints ou le sort du bonus si seuls certains objectifs étaient atteints).
D’autre part, l’employeur a versé aux débats des documents en anglais définissant chaque année au niveau du Groupe, de façon générale, la politique de fixation des rémunérations variables des cadres. Ces documents avaient été remis au salarié en anglais et l’employeur soutenait qu’ils s’appliquaient à la relation de travail et déterminaient les bonus effectivement versés au salarié.
Suite à son licenciement le 23 mars 2005, le salarié a contesté l’opposabilité desdits documents au motif que ceux-ci étaient rédigés en anglais et qu’en vertu des dispositions de l’article L. 1321-6 du code du travail l’employeur ne peut se prévaloir à l’encontre du salarié des obligations que contiendraient ces documents. Il a demandé des rappels de bonus pour les années 2002 à 2005.
La décision
La Cour de cassation suit la motivation du salarié et vise expressément les dispositions suivantes de l’article L. 1321-6 du code du travail :
« Attendu qu'il résulte de ce texte que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français ».
Alors que les juges d’appel avaient cru bon de fixer eux-mêmes la rémunération variable du salarié à partir de ces documents rédigés en anglais, pour un montant global de 32.000 euros, montant contesté par le salarié, la Cour de cassation les désavoue :
« Les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle étaient rédigés en anglais, en sorte que le salarié pouvait se prévaloir de leur inopposabilité », en vertu de l’article L. 1321-6.
Les documents en anglais étant écartés, comme le demandait le salarié, les juges de la cour d’appel de renvoi devront calculer à nouveau le bonus des années litigieuses en se basant uniquement sur les documents rédigés en français et sur les termes du contrat de travail, lequel a précisé que la rémunération variable pouvait représenter jusqu’à 40 % de la rémunération brute du salarié (soit près de 55.000 euros par année).
Conseil RH
En raison de la généralité de la décision de la Cour de cassation, les employeurs seront bien inspirés de revoir très rapidement leurs pratiques internes de fixation des objectifs, notamment s’ils appartiennent à un groupe étranger qui a l’habitude de fixer les objectifs de ses collaborateurs par un document rédigé en anglais à l’attention de l’ensemble de ses filiales.
Dans un tel cas, la filiale française devra informer sa Direction étrangère qu’il lui incombe
(1) de traduire ce document en français pour ses collaborateurs soumis au droit français et
(2) de justifier que la version française leur a bien été remise, par exemple, sous la forme de la signature d’un reçu dûment daté.
Les risques encourus ?
En cas de litige, voir écarter par le juge le document uniquement rédigé en anglais et, surtout, voir le juge déterminer en leur lieu et place le montant du bonus à verser au salarié.
En tant que de besoin, et dans le même ordre d’idée, rappelons aussi au passage les termes de l’article L. 1221-3 du code du travail (alinéas 1 et 4) :
« Le contrat de travail établi par écrit est rédigé en français.
L'employeur ne peut se prévaloir à l'encontre du salarié auquel elles feraient grief des clauses d'un contrat de travail conclu en méconnaissance du présent article ».