Jacques Coffinières est responsable du développement SIRH groupe chez Cerba Healthcare. L’entreprise, dont le cœur de métier est la biologie médicale, compte une cinquantaine de sociétés réparties dans 22 pays. Ainsi que 15 000 collaborateurs, dont près de 9000 en France.
La rédaction myRHline est partie à la rencontre de Jacques pour qu’il nous explique comment les projets digitaux RH ont permis de sécuriser, rationaliser, améliorer la productivité et le service aux salariés.
Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet de digitalisation RH au sein du groupe Cerba Healthcare ?
Je suis arrivé dans le groupe il y a 6 ans avec pour mission de proposer une roadmap traitant de l’expérience collaborateur de bout en bout, c’est-à-dire du préboarding à l’offboarding avec des jalons intérieurs digitalisés encore inexistants à ce moment-là.
Il faut savoir qu’à l’époque nous étions 4500 avec une paie et plusieurs gestions des temps en France. Mais aussi, à l’échelle internationale, un patchwork d’outils dû aux acquisitions structurelles faites au fur et à mesure. De fait, il y avait aussi un enjeu de rationalisation, de structuration et d’harmonisation de ces processus très, trop, fragmentés.
La priorité a donc été d’absorber dans les outils existants la croissance en France, puis j’ai pu dérouler la roadmap en intégrant d’autres briques essentielles. C’est un projet au long cours qui ne cesse d’évoluer en raison des nombreuses acquisitions réalisées par l’entreprise.
En effet, depuis plusieurs années, la croissance du groupe est constante. Désormais, nous avons triplé le volume de nos effectifs, l’évolution de notre approche RH devait donc obligatoirement évoluer en conséquence. Mais c’est une réalité qui a été anticipée dès 2019, année durant laquelle toutes les grandes directions — DSI, achats, finance, RH — ont été sollicitées pour dessiner la trajectoire de demain, ce qui a permis de déployer nos différents modules SIRH.
Quels étaient les enjeux clés qui ont motivé la digitalisation de vos outils RH ?
Notre stratégie de digitalisation s’est construite autour de plusieurs axes. Elle devait répondre à un enjeu de massification d’une part, et d’optimisation, d’autre part, de nos processus RH qui jusqu’alors manquaient d’efficience. Ceci en plus d’être chronophages.
Je vais prendre un exemple très concret : l’utilisation des datas inhérentes aux entretiens annuels. Au sein d’un groupe tel que le nôtre, nous réalisons chaque année des milliers de ces entretiens. Humainement, il est donc impossible d’effectuer l’analyse des synthèses associées. À l’inverse, la digitalisation permet d’en extraire des informations et d’y accéder en quelques clics, facilitant ainsi une utilisation efficace de nos datas RH.
Autre objectif de notre cahier des charges : simplifier et rationaliser les tâches administratives de nos équipes. Ceci dans l’objectif de fluidifier les process. Mais également d’aligner notre gestion interne aux pratiques numériques que nos collaborateurs peuvent vivre au quotidien.
Car c’est un fait : aujourd’hui, on peut difficilement demander à un collaborateur de poser ses congés sur un post-it alors que partout, tout le temps, il accède à des services dématérialisés.
Nous sommes en 2024 et, pourtant, le workflow des congés est très récent dans notre entreprise. Avant, nos collaborateurs devaient encore écrire leur demande de congés sur papier, puis la faire signer à leur manager avant de la faire suivre au service RH. Un procédé fastidieux, engendrant de la perte de temps, qui n’était plus en phase avec les standards de nos environnements de travail.
Par ailleurs, le workflow digitalisé offre une meilleure visibilité des plannings et insuffle de l’équité au sein des entreprises. En effet, toujours en prenant l’exemple des congés, dans la mesure où chacun peut accéder en temps réel aux disponibilités et/ou absences planifiées des autres. Cela permet aux managers de valider ou refuser les demandes de manière éclairée, selon les besoins de l’activité. Tout en ayant l’avantage de réduire les tensions au sein des équipes.
Nous l’avons vu, l’harmonisation des processus au sein du groupe était un autre de nos objectifs. Qu’il s’agisse d’opérations quotidiennes ou annuelles, nous souhaitions apporter une certaine cohérence à toutes nos entités. Et sur tous nos territoires. Ceci afin que chaque collaborateur puisse bénéficier des mêmes outils et processus, quelle que soit sa localisation. À l’est, à l’ouest, au nord, au sud. C’est une dimension très importante pour une business unit aussi stratégique que Cerballiance où les salariés peuvent bénéficier d’une mobilité interne.
En dernier lieu, nous avions un vrai enjeu de recrutement. Car nous évoluons dans un secteur très concurrentiel où les métiers sont en tension. Avec des centaines de personnes à recruter chaque mois, il n’était plus possible que les équipes continuent de gérer cette tâche de manière isolée. J’entends par là en utilisant Excel et leur téléphone. Il était donc important qu’on trouve un partenaire pour nous accompagner à massifier et automatiser la chaîne du recrutement : de l’offre à l’onboarding, jusqu’à l’expérience collaborateur en elle-même.
Quelles étaient vos attentes vis-à-vis de votre partenaire Neocase ?
Nos attentes vis-à-vis de Neocase étaient très basiques, mais nombreuses.
D’abord, il était primordial de simplifier et de sécuriser les échanges entre nos dix DRH et les services centraux. Avant cela, les interactions se faisaient par e-mail, par téléphone, par fichiers partagés avec, bien entendu, tous les risques d’erreurs et de pertes d’informations que ça impliquait. Aujourd’hui, chaque échange est sécurisé, daté et tracé. Ce qui garantit que les informations sont correctement transmises, reçues et protégées. Et ce, sans risque d’effacement ou d’erreur.
Nous avions aussi besoin de déployer une base documentaire. L’enjeu étant d’apporter aux collaborateurs un moyen d’accéder à l’information via un portail et, de ce fait, de limiter les questions directes à la DRH pour les sollicitations les plus courantes et récurrentes.
Car si chaque collaborateur pose une question, à partir d’un certain volume d’effectif — 9000 en l’occurrence —, cela fait beaucoup de demandes à traiter. Alors que celles-ci sont, très souvent, les mêmes pour la DRH du sud et la DRH du nord.
Mais, dans le même temps, nous voulions aussi que les collaborateurs puissent poser des questions. Et, surtout, qu’ils aient une réponse dans tous les cas de figure. C’est-à-dire qu’ils disposent d’un accès RH même s’ils sont en poste sur un territoire éloigné. Même s’ils ne se sentent pas à l’aise. Même si l’organisation fait qu’il n’est pas possible de la joindre facilement (travail de nuit ou en décalé, par exemple). Et même s’ils sont absents.
Par ailleurs, nous avions un autre besoin très important : la continuité du service. Comme partout, il y a des absences et parfois du turnover au niveau du CSP central et de la paie. Pourtant, il est essentiel de garantir que les dossiers ne soient pas laissés en suspens et que des salariés n’attendent pas 15 jours pour le traitement d’une demande. Il fallait donc que nous puissions gérer ces absences, sans que ce soit invasif pour les RH.
La possibilité de créer un lien fluide et régulier était vraiment une attente forte. Au même titre que le déploiement du workflow pour la signature, également nouveau dans notre culture d’entreprise où il n’y a encore pas si longtemps nous arrivions avec notre parapheur, le document signé par qui de droit, etc.
Comment avez-vous piloté le déploiement de vos outils digitaux RH ?
La mise en œuvre de notre projet de digitalisation RH s’est déroulée de manière assez rapide et structurée. En collaboration avec Neocase et un intégrateur externe, nous avons d’abord travaillé sur la conception des différents modules. De mémoire, je pense qu’il nous a fallu à peu près six mois pour construire une première version opérationnelle de l’ensemble des outils concernés. À cette phase du projet, la ligne de conduite était simple : validation des modules, finalisation du set, contrôle de conformité par rapport aux attendus.
En réalité, c’était la partie un peu facile, car, techniquement, chacun savait ce qu’il avait à faire. Dans un second temps, c’était donc à nous de concentrer nos efforts sur la conduite du changement afin de faciliter l’adoption par les équipes. En ce sens, nous avons alors différé les lancements.
La conduite du changement en plusieurs étapes
Ainsi, le premier module mis en place a été un système de ticketing, essentiel pour structurer les échanges entre notre CSP et le réseau. Comme évoqué précédemment, la gestion des demandes passait avant par des canaux plus traditionnels. Ce qui entraînait des pertes de temps considérables et des erreurs. Mais aussi un certain épuisement inhérent à la lecture d’échanges comprenant parfois des dizaines de niveaux.
Nous avons pris le temps de former et d’accompagner nos équipes à l’utilisation du système de ticketing. Aujourd’hui, cela fonctionne très bien. Le personnel s’est parfaitement acculturé à cet outil sur lequel chacun doit se connecter pour avoir accès aux tickets qu’il doit traiter.
En effet, il n’y a plus aucun e-mail. Toutes les demandes sont centralisées et traçables. Les RH accèdent à l’outil, regardent les tickets, traitent les demandes et passent à autre chose. Cela a considérablement amélioré l’efficience des équipes qui, au demeurant, sont très friandes de ces procédés normés.
En parallèle, nous avons entrepris un travail d’harmonisation des contrats de travail avec les DRH. Ce processus, bien que plus long, a été indispensable pour standardiser les contrats au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, nous avons un modèle de contrat uniforme pour les mêmes postes. C’est une avancée majeure par rapport aux pratiques antérieures où cette cohérence faisait défaut.
Avec Neocase nous avons contracté un partenariat pour la signature électronique de DOCUSIGN. Désormais la signature de tous les documents RH passe par Neocase. Ensuite, ils sont archivés dans le dossier numérique du collaborateur de la solution.
Le dernier module quant à lui est toujours en cours de déploiement et sera bientôt accessible aux collaborateurs. Il leur permettra notamment de poser directement leurs questions par l’intermédiaire de la plateforme.
Des étapes logiques pour susciter l’adhésion
Nous avons volontairement différé cette étape pour nous assurer de la maturité et de la maîtrise des équipes RH vis-à-vis de l’outil. Ceci afin que l’arrivée d’un nouveau dispositif ne perturbe pas leurs activités. Concrètement, cette implémentation supplémentaire va peut-être légèrement modifier leurs actions quotidiennes, mais il n’y aura pas de changement conséquent.
En définitive, nous avons presque adopté une méthode agile, en testant et ajustant au fil de l’eau. À mon sens, cela a contribué au succès du projet. Il n’y a pas de rejet de la part des utilisateurs : collaborateurs et RH. De même, après une année complète d’utilisation, nous n’avons eu aucun ticket ouvert auprès de Neocase, preuve de la fiabilité et de l’efficacité de la solution mise en place.
Comment l’intelligence artificielle (IA) s’intègre-t-elle dans votre stratégie de digitalisation RH ?
L’intelligence artificielle est un projet fil rouge que nous avons depuis un an. En effet, si certaines initiatives de digitalisation RH, comme l’utilisation des anciens chatbots (sans IA) me paraissent parfois limitées en matière d’apport de valeur ajoutée, je considère que l’IA est une technologie dont nous devons absolument nous emparer.
L’IA est une révolution, on ne peut pas le nier. C’est pourquoi nous avons lancé un projet d’envergure dans le but d’évaluer ce qu’elle pourrait apporter à chaque module de notre SIRH et, donc, à nos fonctions RH.
De fait, la première action que nous avons menée concerne la sensibilisation des collaborateurs à l’IA générative, comme ChatGPT et COPILOT. Et ce, en insistant sur les bénéfices concrets qu’elle peut apporter au quotidien, en particulier en ce qui concerne les tâches répétitives et rébarbatives : courrier type, réponse à des relances, etc. Toutefois, en parallèle, nous avons aussi veillé à former les salariés aux risques potentiels.
À ce niveau, l’enjeu était vraiment d’expliquer les tenants et les aboutissants, d’informer sur la logique d’un prompt, etc. Car nous ne voulons pas que les utilisateurs s’en servent à mauvais escient ou bien qu’ils ne saisissent pas complètement la plus-value de cette technologie juste parce qu’ils ne la comprennent pas.
L’intégration de modules à base d’IA
En termes d’applications concrètes, nous avons intégré des modules à base d’IA dont deux sont un peu plus avancés et déjà utilisés.
Le premier vient soutenir les RH face aux problématiques du recrutement. En particulier dans les branches où les spécificités des postes évoluent rapidement pour les aider dans la rédaction de la job description d’une part, et, parfois l’analyse des CV d’autre part.
Une fois que nous aurons un véritable retour d’expérience, nous verrons pour proposer ce système aux autres business units.
Le deuxième module correspond à la base documentaire interactive — dont je parlais un peu plus tôt — grâce à laquelle nous voulons orienter les collaborateurs vers des ressources pertinentes répondant à leurs interrogations. Pour l’heure, l’outil est encore en phase de test. Toutefois, à terme, il promet d’améliorer l’expérience collaborateur en instaurant une nouvelle dynamique d’échanges au sein de l’entreprise.
Pour d’autres usages de l’IA dans les RH, nous restons prudents et observons les évolutions. Nous suivons de près les avancées, mais nous préférons attendre avant d’adopter certaines innovations.
L’IA est encore au début de son développement. Même si les perspectives semblent extrêmement intéressantes, il me paraît aussi essentiel de rester mesuré. Et, surtout, de ne pas oublier que même si ces technologies semblent révolutionnaires, elles restent des machines avec leurs limites.
- Cet article pourrait aussi vous intéresser : IA et Ressources humaines, état des lieux d’une transformation
Comment les services RH perçoivent-ils cette transformation digitale ?
Aujourd’hui, il est flagrant que nos équipes RH ne pourraient plus travailler sans nos modules de digitalisation. Il faut dire que chaque outil que nous avons apporté a du sens et vient répondre à un besoin ciblé. Sans ces solutions, nous ne pourrions pas atteindre le même niveau de productivité et de fluidité dans la gestion des ressources humaines. C’est une certitude.
Si je reprends l’exemple de Neocase, il y quelques jours une de nos DRH a eu un retour d’expérience concret de la part d’une salariée pas forcément à l’aise avec l’informatique. Celle-ci lui a indiqué avoir trouvé la démarche digitalisée très simple et intuitive. Ce qui lui a permis de réaliser l’action attendue en trois minutes sur son téléphone.
Ce genre de retour démontre bien que nous avons réussi à déployer des outils à la fois pratiques et ergonomiques. Mais aussi répondant aux besoins des utilisateurs, y compris ceux qui sont peut-être moins familiarisés avec le numérique.
De manière générale, tous nos outils sont bien acceptés et utilisés. Notamment parce que les éditeurs ont aussi beaucoup travaillé sur l’UX — l’expérience utilisateur — qui, aujourd’hui, est très importante.
Ceux avec lesquels nous rencontrons un peu plus de résistance sont en réalité associés à des mécaniques plus complexes.
Pour conclure, je dirais que la digitalisation RH est désormais une évidence. Toutes les entreprises s’appuient sur le digital pour enrichir et développer les parcours de leurs clients. Il est donc logique que, par une symétrie des attentions, des projets soient déployés dans le but d’améliorer aussi les services proposés aux employés. Avec, nous le savons, tout ce que ça implique : efficacité, performance, expérience collaborateur, qualité de vie au travail, etc.