Aux États-Unis, des professionnels RH externes émergent pour représenter les intérêts des salariés, en réponse à des conflits d’intérêts internes. En France, si cette fonction n’est pas encore institutionnalisée, des initiatives similaires voient le jour, notamment à travers des responsables RSE/Diversité ou des médiateurs indépendants. Quelles sont les implications de cette évolution pour les entreprises et les salariés ?
Un nouveau phénomène aux États-Unis
Quand Cierra Gross a fondé son cabinet de conseil RH, elle n’a pas choisi son nom au hasard. Caged Bird HR, littéralement « l’oiseau en cage », fait écho au célèbre poème de Maya Angelou, activiste du mouvement des droits civiques. Le symbole est fort, à l’image de la mission que l’entreprise s’est donnée : accompagner des salariés enfermés dans des environnements professionnels toxiques, des situations de harcèlement ou de discriminations.
Avec son équipe, la consultante écoute, conseille et donne des clés juridiques et pratiques — sans pour autant intervenir directement auprès de l’employeur.
Depuis sa création, Caged Bird HR voit le nombre de demandes exploser. Et ce succès révèle une chose : la confiance envers la fonction RH traditionnelle est sérieusement entamée. Aux yeux de nombreux salariés, les RH sont devenues des alliés de la direction, et non des partenaires de terrain. Alors certains cherchent ailleurs, hors les murs de l’entreprise, ce soutien qu’ils n’osent plus demander en interne.
Une confiance RH en crise
En France comme ailleurs, la fonction a gagné en maturité. Les RH s’éloignent d’un simple rôle de mise en conformité (contrat, directives, procédures), pour s’approcher d’une dimension stratégique. Problème : en chemin, la confiance semble s’être érodée. Les équipes sentent leurs intérêts négligés, au profit de ceux de l’entreprise, sur des sujets sensibles comme la discrimination, les conflits interpersonnels, la négociation salariale…
En janvier 2025, une étude menée chez nos voisins suisses révèle que :
- 42 % des salariés perçoivent les RH comme un service administratif sans pouvoir réel ;
- 39 % les considèrent comme un relais des intérêts de la direction ;
- seuls 17 % les identifient comme un réel soutien dans leur parcours ou leur bien-être.
En définitive, la parole peine encore à se libérer. Les salariés dénoncent un manque de transparence et craignent des représailles voire une mise au placard lorsqu’ils osent s’affirmer. La stratégie du « pas de vague » reste trop souvent la norme, même dans des environnements bien intentionnés.
En France : vers des fonctions RH « satellites » ?
Si la fonction de RH externe dédiée aux salariés n’est pas encore structurée en France, plusieurs dispositifs limitent le risque de conflits d’intérêts : grille de rémunération, code de conduite annexé au règlement intérieur, formation à la loi Sapin 2, etc.
En parallèle, de nouveaux rôles émergent pour répondre à la demande d’écoute et de neutralité :
- Le responsable RSE/Diversité, souvent en appui sur des enjeux systémiques (égalité femmes-hommes, handicap, inclusion, prévention des discriminations), contribue à faire évoluer les pratiques internes, mais avec un levier d’action indirect.
- Le médiateur indépendant, plus souvent mobilisé en curatif qu’en préventif, intervient en cas de litige ou de tension avérée. Son rôle de tiers neutre est précieux, mais intervient tardivement dans la chaîne de confiance.
- Les cabinets spécialisés en qualité de vie au travail, risques psychosociaux ou climat social proposent des diagnostics anonymisés ou des espaces de parole. Là encore, la logique est orientée organisation plutôt qu’individu.
RH externes au service des salariés, une vraie solution ?
Le modèle américain soulève des questions de fond, applicables au contexte français :
- Neutralité et confidentialité : un RH externe dédié uniquement au salarié garantit une parole plus libre… mais soulève des enjeux de sécurité juridique, d’accès à l’information et de coopération avec l’entreprise.
- Individualisation des relations de travail : le recours privé à un « représentant RH » pourrait à terme fragiliser le collectif, en remettant en question le rôle du dialogue social, des IRP et des partenaires internes.
- Risque de désintermédiation : en court-circuitant les relais internes (RH, managers, élus), on accentue le sentiment de défiance, sans forcément résoudre les causes systémiques.
Plutôt qu’une externalisation massive, la piste d’un renforcement de la fonction RH dans son rôle éthique et médiateur semble aujourd’hui plus pertinente.
Renforcer la confiance, sans sous-traiter le lien humain
Le succès de ces dispositifs RH externes aux États-Unis tire la sonnette d’alarme. Si les collaborateurs cherchent à se tourner vers des interlocuteurs indépendants, c’est peut-être que la fonction RH interne ne remplit plus suffisamment son rôle de tiers de confiance.
Pour éviter qu’ils n’en viennent à se tourner vers l’extérieur, les RH doivent répondre aux attentes des collaborateurs, sans laisser les contraintes structurelles et organisationnelles prendre le dessus. L’étude citée le montre, lorsque les RH sont proactifs et à l’écoute, ils peuvent réellement jouer un rôle clé dans l’épanouissement professionnel et personnel des employés.
Partant de ce constat et alors que certaines entreprises envisagent sans complexe de les remplacer par l’IA, les RH ont tout intérêt à revenir à des pratiques plus humaines, avec une communication renforcée, une proximité non-feinte et une reconnaissance sincère de l’implication des équipes.
Source(s) documentaire(s) :
- Caged Bird HR
- Sondage Qualinsight La perception des RH du point de vue des collaborateurs