Dans un monde marqué par la complexité et confrontées à la difficulté d’attirer les collaborateurs et de maintenir leur motivation au travail, les entreprises peuvent être tentées de recourir à des concepts tellement positifs qu’ils font rêver. Après les risques psycho-sociaux, la qualité de vie et le bien-être, s’ouvrirait l’ère encore plus ambitieuse du bonheur au travail. Quelques postes de Happiness Manager (tels que le Chief Happiness Officer), voire de Chief Happiness Manager apparaissent même timidement dans certaines start up, directement importés de la Silicon Valley. Alors gadget, utopie, graal ou dernière idée à la mode pour lutter contre le désenchantement des travailleurs ?
Nous constatons en Europe, et plus particulièrement en Europe du Sud, tous secteurs confondus, que les niveaux d’engagement ont tendance à baisser depuis les cinq dernières années. Selon les pays et les entreprises, entre un quart et un tiers des collaborateurs se disent désengagés. Dans ces conditions peut-on seulement oser parler de bonheur ?
Le concept prête tout le moins à sourire car la bonne intention ne résiste pas aux délocalisations, plans sociaux, départs à la retraite forcés sans parler des burn out et autres troubles musculo squelettiques.
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Néanmoins la question se pose avec une acuité accrue pour les entreprises qui doivent faire face à des vagues de recrutement importantes et pourvoir des postes dans la durée. Dans le même temps, les attentes et les comportements évoluent et les nouvelles générations Y, Z et digital natives ne se privent pas pour envoyer des messages clairs qui ébranlent les relations traditionnelles employé / employeur.
Alors, comment faire ?
Les leviers du bonheur évoluent
Interrogeons-nous sur les leviers qui contribuent à ce bonheur et qui eux aussi évoluent depuis les dernières années.
Tout d’abord – et c’est bien naturel – l’intérêt du travail, qui prend des formes différentes. Aux fortes attentes d’autonomie et de maîtrise de son environnement de travail vient s’ajouter le sens que les salariés y trouvent, tant au quotidien que dans une perspective à plus long terme. Il rejoint en cela les missions de l’entreprise, son éthique, son impact sur la planète et la Société.
Ensuite, pas de bonheur sans confiance dans l’entreprise, les produits, les dirigeants, les managers, les équipes. Elle s’exprime dans la capacité des directions générales à donner de la clarté et de la visibilité sur les orientations stratégiques par exemple, à fédérer les énergies autour d’une vision motivante de l’avenir. Elle se vit également tous les jours dans les relations que les managers instaurent avec leurs équipes, leur capacité à déléguer, à démontrer le droit à l’erreur. Nous observons que la confiance est plus forte dans les entreprises où la justice organisationnelle est respectée (équité des rémunérations, clarté et respect des règles, …). Sans oublier la nécessité de bénéficier d’un climat de travail entre collègues, qui repose sur le respect et la solidarité.
Efficacité opérationnelle et connectivité
Dans beaucoup d’entreprises, il est également frappant de constater que le manque d’efficacité opérationnelle est un des premiers facteurs d’insatisfaction au travail. Des rôles et responsabilités mal définis ou peu communiqués, des circuits d’information lourds ou bureaucratiques, des processus pléthoriques ou mal expliqués ont rapidement raison de l’engagement. Alors que le transfert de savoirs et de compétences, et l’accès à l’information constituent des motifs majeurs de motivation pour les jeunes générations notamment, les résultats obtenus dans les enquêtes auprès des salariés sur ces aspects restent faibles.
De même, à l’heure du tout connecté, la possibilité d’avoir accès à des réseaux internes et externes, d’y échanger des informations, de participer à des forums et de disposer d’une communication transparente en temps réel font la différence. Pour beaucoup de salariés, l’appartenance à des communautés et des groupes d’intérêts sur les réseaux sociaux d’entreprise, ces derniers vivants et mis à jour, sont des motifs de satisfaction importants. Au-delà de l’intérêt qu’ils représentent pour la performance économique (partage d’informations business en temps réel, enrichissement d’offres commerciales, …), ils créent un lien durable entre les collaborateurs.
Management empathique et environnement de travail ludique
Le rôle de l’encadrement est évidemment fondamental. Le vieil adage « je rejoins une entreprise mais je quitte mon manager » se vérifie plus que jamais, même si les compétences attendues ont évolué. Il s’agit aujourd’hui de démontrer de l’empathie, de faire attention aux autres et de les faire grandir tout en évitant le micro management. Le développement des compétences arrive en effet toujours en tête des leviers de motivation et d’épanouissement au travail. En période de disette budgétaire, il convient d’être imaginatif pour identifier des actions de développement « on the job », des mises en situations apprenantes, des projets transverses qui feront grandir et garantiront l’employabilité. Il s’agit de développer pour aujourd’hui et surtout pour demain, dans ou en dehors de l’entreprise actuelle. Les managers les plus performants l’ont bien compris et font preuve d’une grande agilité (intellectuelle, émotionnelle, des situations, …) et d’une forte capacité d’anticipation.
Il s’agit aussi de promouvoir des comportements inclusifs et de respect. Les mails le week-end ou tard le soir, l’absence de convivialité, le manque d’écoute et de disponibilité rendent les gens malheureux ou tout au moins désengagés.
Un environnement de travail accueillant et convivial contribue également et nombre d’open spaces ont été réaménagés pour intégrer des coins causerie, des points cafés ouverts et des espaces d’échanges plus cosy. Les entreprises se dotent de services pour faciliter la vie quotidienne (conciergeries, …) et des lieux de loisirs et de sport fleurissent jusque dans les halls d’accueil des entreprises les plus traditionnelles. Néanmoins, ce qui est considéré comme un « plus » peut passer pour un gadget si les conditions citées plus haut ne sont pas réunies. Entre la salle de sport et l’accès à des réseaux sociaux d’entreprise performants, le choix est vite fait.
Mesurer la réalité du bonheur ?
La question n’est pas tant d’identifier les leviers du bonheur que d’en mesurer leur réalité dans l’esprit des utilisateurs, donc de mettre en place les bons outils de feedback. La digitalisation permet à la fois un recueil de feedback plus souple, plus fréquent et dans les deux sens : à l’initiative de l’entreprise vers ses collaborateurs et spontanément de la part des salariés. La tendance actuelle au « on going feedback » conduit à demander l’avis des collaborateurs sur de nombreux sujets à tout moment. Nous observons deux écueils importants.
Tout d’abord « trop de feedback tue le feedback ». Les collaborateurs sollicités à tout bout de champ finissent par ne plus répondre, le taux de participation chute, l’outil finit par être stérilisé. Ensuite, l’exploitation de ce feedback, sa transformation en actions pertinentes et leur communication nécessitent des moyens conséquents souvent sous – estimés au moment de la mise en œuvre de l’outil de recueil. Les collaborateurs ainsi interrogés ont l’impression que c’est moins leur bonheur qui importe que la mesure de celui-ci !
Un enjeu de crédibilité
Au-delà du vocabulaire et des outils de mesure se pose fondamentalement la question de la crédibilité. Est-il réellement possible et réaliste de construire une culture d’entreprise autour du bonheur au travail. L’entreprise qui déciderait de bâtir sa marque employeur sur le bonheur au travail prouverait une audace certaine et prendrait également de bien grands risques. Le premier signe de déception ou de mécontentement ne manquerait pas d’être relayé sur les réseaux sociaux, venant du même coup saper tous les efforts engagés et mettant en doute la crédibilité de la promesse. A l’inverse une entreprise qui prend soin de ses salariés, s’assure que ses valeurs humanistes sont vécues au quotidien, évalue ses managers sur leurs compétences techniques et leurs comportements, reconnaît la performance avec équité contribue à rendre ses salariés plus heureux.
Didier Burgaud
Directeur Conseil chez Qualintra SA