Par Judith Tripard, Consultante senior au sein du cabinet de recrutement Clémentine
« Comment ça tu t’ennuies au travail ? Mais tu as de la chance, profites en, apprends une autre langue, fais des formations en ligne… » Cette discussion vous semble familière ? Elle a provoqué en vous encore plus de solitude et le sentiment d’être incompris(e) ? Vous vivez peut être un épisode de bore out, cet ennui au travail qui vire à la dépression puisque la sous utilisation de vos capacités intellectuelles vous amène à vous sentir inutile, et à déprécier anormalement votre ego.
Ce phénomène du » bore out « , syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, cause inverse du burn out mais avec les mêmes conséquences, a été clairement mis en évidence en 2007 par deux consultants suisses, Peter Werder et Philippe Rothlin[1], et commence péniblement à rejoindre la cour des risques psychosociaux.
Quelles sont les causes du bore out ?
Il y a potentiellement plusieurs situations qui peuvent mener au bore out.
- L’activité liée à la fonction peut être en soi ennuyeuse et lassante, comme par exemple un vigile qui doit être constamment attentif aux allers et venues devant un bâtiment et auquel personne ne prête attention.
- Le deuxième cas possible est la surqualification pour un emploi. Le risque doit être pris en compte dès le recrutement car le problème vient souvent d’un écart entre une fiche de poste très théorique dont les missions ont été surévaluées, et la réalité du terrain. Dans ce cas on embauche des personnes à potentiel mais qui ne correspondent pas au besoin réel. « Qui peut le plus, peut le moins » certes mais qui peut plus et doit faire moins va probablement se retrouver confronté (e) à l’ennui et si la situation n’est pas identifiée, elle pourrait même empirer et mener à une situation de bore out. Dans le même ordre d’idée, la mise au placard, c’est-à-dire lorsqu’après une réorganisation un collaborateur se retrouve sans responsabilité voire même sans équipe, peut également avoir pour conséquence le bore out.
- Enfin, dans certains secteurs d’activité, il y a un réel manque de travail. En 2005, une étude menée aux États Unis en interrogeant 10.000 actifs[2] révèle qu’un salarié passe en moyenne deux heures par jour sur des tâches sans rapport avec sa fonction; un tiers d’entre eux évoque comme explication l’absence de tâches attribuées. Les secteurs concernés sont le secteur tertiaire et l’administration publique.
On se rappelle du livre[3] « Absolument dé-bor-dée » de la fonctionnaire connue sous son nom de plume Zoé Shepard, qui avait révélé le fonctionnement de l’administration en pointant du doigt notamment la vacuité du quotidien. Extrait : « Je passe mes trois heures de travail hebdomadaire à pipeauter des notes administratives, bidouiller de vagues rapports, jouer les GO pour délégations étrangères et hocher la tête en réunion. L’essentiel est de réussir à gaspiller son temps en prenant un air important ».
A grands maux grandes responsabilités
Les conséquences du bore out sont les mêmes que dans le cas du burn out : arrêt maladie, traitement adapté, et sont lourdes pour l’entreprise. L’enjeu concerne le manque de reconnaissance de cette nouvelle pathologie du travail. S’ennuyer ? A l’heure où l’on dépasse les 10% de chômage et où l’on a de la chance d’avoir un job et d’être payé ? Comment est-ce possible ? Les a priori sont nombreux ainsi que les jugements, mais le bore out n’est pas de la paresse, bien au contraire; les paresseux ne veulent pas travailler (même s’ils ont du travail) alors que les victimes de bore out aimeraient travailler, mais on ne leur en donne pas la possibilité et la frustration qui en résulte les pousse à l’épuisement nerveux.
Comment éviter le bore out chez ses collaborateurs ? Avant d’arriver à cette situation risquée, il faut pouvoir se donner les moyens de l’identifier. Le manager a son rôle à jouer en étant à l’écoute des signaux faibles : perte d’intérêt, manque d’enthousiasme, apathie, recours excessif aux pauses, sensibilité émotionnelle. Si possible, les mesures nécessaires doivent être prises comme par exemple la réévaluation du poste ou bien la mobilité interne du collaborateur (nouvelles responsabilités). Dans tous les cas c’est bien l’entreprise qui est responsable et qui ne peut absolument pas laisser ses collaborateurs seuls face à cette situation, au risque de les voir payer le prix fort en termes de santé physique et psychologique, et d’employabilité à venir.
[1] Boreout!: Overcoming Workplace Demotivation – Kogan Page Ltd (3 octobre 2008)
[2] Etude menée par AOL et Salary (éditeur de solution en mode SaaS)
[3] Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire – Comment faire les 35 heures en… un mois ! – Albin Michel (3 mars 2010)
À lire : Le bore-out : quand l’ennui professionnel devient morbide !!