myRHline a rencontré Thierry Souchon, DRH du groupe Euralis, coopérative agricole qui compte plus de 5000 collaborateurs répartis sur 16 pays, dont 3529 en France.
Dans cet entretien, il nous livre les enjeux et les contours de la stratégie RH mise en œuvre cette année, en adéquation avec le projet stratégique Euralis 2030.
Quelle est votre rétrospective 2023 et quelles sont vos ambitions RH pour l’année à venir ?
À l’issue d’un travail réalisé fin 2022, puis communiqué aux entreprises du groupe début 2023, notre organisation s’est engagée dans une profonde transformation dans le cadre d’un projet appelé Euralis 2030. Ce tournant structure nos prochaines actions RH qui s’articulent notamment autour de deux grands axes : l’agilité et l’efficience de nos organisations d’une part, l’engagement collaborateur d’autre part.
Il s’agit d’une évolution qui va s’inscrire sur le long terme. Tout l’enjeu de 2024 sera donc d’assurer la continuité des projets initiés en 2023 pour concrétiser nos ambitions sur le terrain. Pour cela, nous devons désormais avancer sur les axes de travail identifiés et les mettre en œuvre en suivant.
Au départ, nous avions une trentaine d’idées. Nous les avons réduites à 10 et 6 sont actuellement actives (nous ne souhaitons pas traiter trop de chantiers en simultané). Programmées sur 24 – 36 mois, les phases de travail sont organisées en mode projet avec la volonté de s’appuyer notamment sur l’intelligence collective du plus grand nombre.
En ce qui concerne le premier point — l’agilité et l’efficience de nos organisations —, il faut savoir qu’Euralis comporte 4 types d’activités bien diversifiées. Cependant, notre groupe est, culturellement, plutôt centralisateur.
Accorder plus d’autonomie à nos activités
Aujourd’hui, notre objectif est de nous détacher de cette approche pour rendre nos activités plus autonomes et agiles sur leur marché.
Toutefois, autonomie ne veut pas dire indépendance. En effet, en tant que coopérative, il est important pour nous de créer une culture commune, car elle fait notre différence sur le marché, sur certaines fonctions transverses. Les ressources humaines, bien entendu. Mais aussi la finance, les systèmes d’information ou encore la RSE, par exemple.
Ainsi, toute la complexité réside dans le fait de trouver l’équilibre entre cette culture commune, déclinée en cadres de gestion, et la latitude à laisser aux activités afin qu’elles soient libres d’agir selon leurs réalités opérationnelles.
L’exemple de la culture RH
Si je prends l’exemple de la culture RH, il est essentiel d’avoir un ADN commun, quelle que soit la diversité de nos métiers. En ce sens, nous co-construisons un modèle commun auquel l’ensemble des activités doivent se conformer, tout en gardant la possibilité de s’adapter en fonction des problématiques rencontrées sur leur marché. Cette réflexion a été menée sur l’ensemble des processus RH : rémunération, développement RH, dialogue social, etc.
De manière plus globale, l’ambition est de permettre aux entités Euralis d’être plus efficaces. Une approche qui vise, comme je le disais, à faire évoluer nos modèles vers plus d’autonomie, sans pour autant perdre le bénéfice de la puissance du groupe sur certains chantiers communs.
Bien évidemment, cela se décline en une multitude de projets qu’il peut y avoir au sein des activités. En particulier lorsqu’elles ont besoin de s’adapter aux impacts, prévisibles ou non, de leur environnement. Car, il faut bien le dire, celui-ci est en perpétuel mouvement. Rien que sur les dernières années, je peux citer plusieurs événements imprévisibles qui, pourtant, ont impacté nos métiers comme :
- la guerre Ukraine/Russie ;
- l’inflation ;
- la grippe aviaire.
Et ce, sans compter la météo, le changement climatique. Autant de facteurs qui peuvent également impacter les cultures et, de ce fait, le travail au sens large. Entre nous, cela fait 20 ans que j’évolue dans le monde de l’agriculture. J’ai vu beaucoup de changements, mais il faut admettre que, ces dernières années, j’ai vraiment le sentiment qu’ils s’accélèrent et impactent désormais nos activités d’un point de vue conjoncturel, mais aussi structurel.
Et c’est justement pour pouvoir réagir aux évolutions de l’environnement, qui sont de plus en plus significatives et importantes, que nous devons faire preuve d’agilité permanente. C’est aussi pour cette même raison que nous avons besoin de cadres de gestion qui donnent du sens et sont les points d’appui pour nos équipes.
La finalité : disposer de collaborateurs « entrepreneurs »
J’entends par là capables de réagir aux évolutions de leur environnement de travail. Ils ont une mission, ils la connaissent. Ils ont des cadres pour exercer cette mission, mais, quelle qu’elle soit, ils ont aussi besoin d’espaces de liberté et d’adaptation — c’est la vision Euralis en tout cas — pour pouvoir saisir les opportunités offertes ou, le cas échéant, transformer les contraintes imposées par l’environnement en opportunités.
Des éléments macro à chaque poste de travail, c’est tout ce fil rouge qui vient traduire notre position à venir en matière de flexibilité et d’agilité des organisations.
Pour ce qui est du volet engagement collaborateur, je pense que nous avons déjà une bonne culture RH au sein d’Euralis. Et ce, depuis des années. Mais cela ne doit pas empêcher le progrès et, en ce sens, il nous fallait encore connaître nos points forts et, surtout, nos axes d’amélioration.
De là, nous avons dégagé plusieurs pistes de travail.
L’exemple de l’égalité professionnelle dans le secteur agricole
Prenons le sujet de l’égalité professionnelle, par exemple. Le monde agricole est encore un milieu professionnel très masculin. Nous le savons et c’est pour cela que nous avons initié la féminisation de nos équipes il y a quelques années.
Malgré cela, les résultats sont encore insuffisants. Si le personnel Euralis est constitué d’environ 45 % de femmes et 55 % d’hommes, au niveau des comités de direction (les activités en propre et la holding), le taux de féminisation n’est que de 23 %.
Nous nous sommes ainsi fixé deux ambitions. D’une part, mettre en place les meilleures conditions d’épanouissement et de réussite dans le respect de l’égalité professionnelle pour tous nos collaborateurs. Et, d’autre part, avoir une représentation des femmes dans nos instances dirigeantes cohérente avec la démographie de l’entreprise. Pour cela, c’est l’ensemble du groupe qui doit se mobiliser pour y parvenir.
Pour ce faire, nous avons décidé de ne pas traiter le sujet entre RH, mais de l’aborder de manière systémique. L’an dernier, nous avons donc interrogé l’ensemble des collaborateurs sur leur perception de l’égalité professionnelle au sein d’Euralis. Par la suite, les résultats ont été communiqués aux comités de direction, aux CSE, aux équipes.
Désormais, l’objectif est de constituer des groupes de travail, toujours avec nos salariés, pour définir les actions à mettre en place et ainsi travailler sur les 4 leviers identifiés par l’enquête. À savoir le sexisme ordinaire, l’organisation du travail, la parentalité et la gestion du parcours professionnel des femmes. Nous envisageons également de signer un accord égalité professionnelle dans les prochains mois.
Le secteur de l’agriculture est reconnu pour la pénibilité du travail. Avec le décalage du départ à la retraite, comment piloter la fin de carrière en 2024 ?
Étroitement lié à l’engagement collaborateur, c’est naturellement un des 10 projets identifiés sur lequel nous travaillons. À l’échelle du groupe, la moyenne d’âge est de près de 45 ans. Si l’on ne fait rien, le décalage de l’âge à la retraite aura forcément un impact sur l’engagement.
À mon sens, il faut désormais rendre les collaborateurs acteurs de la fin de carrière en les aidant à mieux la construire, mieux l’anticiper. Et identifier avec les managers et les ressources humaines les meilleures organisations du travail.
Pour la gestion des ressources humaines, cela implique de bien connaître et comprendre les enjeux des organisations et les dispositifs de fin de carrière existants pour réfléchir à la meilleure manière de les articuler entre eux.
Il peut s’agir de dispositifs légaux, comme la retraite progressive. Ou de dispositifs prévus par accord spécifique à Euralis : le compte épargne temps, par exemple. Au sein de notre groupe, nous avons également d’autres dispositifs qui existent, avec des articulations intéressantes. En parallèle, il s’agira donc d’explorer la mise en œuvre des modalités les plus pertinentes en matière de temps de travail, de tutorat/mentorat… Et ce, toujours en fonction des enjeux et des organisations du travail.
Néanmoins, des services RH aux managers, en passant par les salariés eux-mêmes, la vraie problématique est que ces sujets sont très complexes, d’autant qu’il faut bien mesurer les conséquences sur la rémunération ou la retraite. L’enjeu est donc de simplifier cette complexité afin de combiner enjeux de l’entreprise, enjeux individuels et dispositifs d’accompagnement. Ceci dans une approche gagnant/gagnant, le RH étant l’assembleur de solutions. C’est notre défi.
Bon nombre d’entreprises font marche arrière sur le télétravail depuis quelques mois. Qu’en est-il chez Euralis ?
Dans la majorité des cas, le télétravail est uniquement considéré comme un mode d’organisation du travail. Pour nous, c’est plus que ça, car nous le considérons comme un moyen qui doit permettre de moderniser nos pratiques managériales.
Avant la crise sanitaire, les entreprises françaises utilisaient peu le télétravail. Trop souvent, je caricature, nous avions encore un modèle de management où il fallait avoir les collaborateurs autour de nous, voir un peu ce qu’ils faisaient, etc.
Au sein d’Euralis, nous avons profité de cette expérience Covid pour aligner notre vision du management avec nos organisations du travail et nous avons mis en place le télétravail en accord avec notre vision RH : responsabiliser, faire confiance et travailler différemment la relation manager/collaborateurs.
Pour cela, nous avons créé une charte télétravail, co-construite lors d’ateliers avec les managers et les collaborateurs, qui instaure très peu de règles et laisse de la souplesse dans les organisations du travail, individuelles ou collectives. En revanche, les règles définies sont structurantes et reflètent notre culture managériale. La principale repose sur l’idée que notre collectif est notre force. Il n’est donc pas possible de faire du 100 % remote, le lieu de travail principal doit donc rester l’entreprise. En pratique, il y a peut-être 2 ou 3 règles supplémentaires, mais c’est tout.
Aujourd’hui, tout le monde vit très bien le télétravail (managers, collaborateurs, RH, direction) parce que notre objectif est ailleurs, donc il n’y a aucune remise en cause ni volonté de revenir en arrière à ce sujet.
Euralis est dans le top 10 des employeurs préférés des salariés de l’agroalimentaire (Capital). Comment appréhendez-vous la marque employeur ?
C’est vrai que l’année dernière nous avons eu la surprise de découvrir le nom de l’entreprise aux côtés de ceux, souvent plus connus, de l’industrie agroalimentaire comme Nestlé, Danone, Pernod Ricard… Cette reconnaissance a contribué, entre autres, à nous « réveiller » sur le sujet de la marque employeur.
Dans nos discussions avec nos collaborateurs, nos managers, nos pairs RH ou encore d’autres entreprises, nous sommes perçus comme une « bonne » entreprise par les acteurs de nos territoires et même nos syndicats.
Tout le problème, c’est que nous n’en parlons pas suffisamment et probablement pas comme il faudrait. De ce fait, nous avons également lancé un projet sur cette thématique de la marque employeur.
D’un côté, avec l’ambition de mieux construire et piloter notre communication interne.
C’est-à-dire :
- Quelles sont nos missions, notre vocation, nos ambitions au sens de la responsabilité sociétale des entreprises ?
- Quels sont nos métiers ?
- Quelles sont nos offres RH ?
Des sujets importants sur lesquels nous devons mieux communiquer en France, mais aussi — et surtout — auprès de nos équipes internationales. Car donner du sens est un facteur d’engagement fort des équipes.
Je fais souvent le parallèle avec les métiers de la vente. Il est plus difficile d’aller chercher de nouveaux clients, mieux vaut conserver ceux qu’on a déjà. Eh bien, c’est exactement l’approche que l’on souhaite avoir. Notre marque employeur doit être focalisée sur l’interne.
Cependant, la marque employeur doit aussi servir la communication destinée aux candidats externes. Afin qu’ils comprennent vraiment les caractéristiques d’une entreprise comme la nôtre : une organisation vertueuse qui doit gagner de l’argent et qui le réinvestit dans son propre écosystème. Et surtout ce qu’ils peuvent y trouver.
À la fois vecteur d’engagement et levier d’attractivité, la marque employeur nous aidera à renforcer ce qui fait déjà notre différence aujourd’hui.
Comment abordez-vous la digitalisation RH ?
Aujourd’hui, nous avons 50 % de collaborateurs qui n’ont tout simplement pas d’adresse e-mail. Par conséquent, ces derniers n’ont pas accès direct à notre intranet et à certains de nos services/outils RH. D’autres moyens sont bien évidemment mis en place, mais cela n’est pas suffisamment satisfaisant. Et nous devons également progresser pour les 50% restants.
Ainsi, le système est ancien. Nous venons donc de lancer un projet sur une refonte globale du SIRH. Afin que tous les collaborateurs, connectés ou non, en France ou à l’international, disposent d’un espace Euralis fonctionnel, clair et efficient.
En parallèle, nous ouvrons aussi une première réflexion sur le sujet des collaborateurs « augmentés » et de l’intelligence artificielle, avec la responsable de développement RH et le DSI notamment.
Personnellement, le phénomène de l’IA — et les peurs qu’il génère — me fait un peu penser à l’arrivée d’Internet dans les entreprises. Au début, elles ne connaissaient pas et, de ce fait, n’ouvraient pas l’accès aux équipes de peur que l’outil soit mal employé. Voyez où nous en sommes aujourd’hui. L’IA est très certainement un atout pour la performance des entreprises et des équipes. Dans quelle mesure ? Et comment peut-elle nous rendre plus efficients ? Cela reste à définir et c’est ce que nous allons voir dans les prochains mois.
Un mot pour résumer votre état d’esprit pour mener la stratégie RH 2024 d’Euralis ?
Le premier mot qui me vient, c’est l’enthousiasme. Oui, l’environnement est compliqué, mais en même temps nous n’y pouvons rien ou pas grand-chose. Donc il faut agir. Aller de l’avant. En faisant progresser et en engageant nos organisations, ainsi que nos collaborateurs, dans les transformations que nous devons mener. Il faut aussi mettre de l’ouverture dans tous ces sujets.
L’enthousiasme fait partie des fondamentaux des RH et doit le rester.