En France, plus d’un tiers des salariés ne se sentent pas capables de rester dans leur travail jusqu’à la retraite, en 2019 (résultats de l’étude de la Dares “Conditions de travail”, mars 2023).
L’exposition à des risques professionnels physiques ou psychosociaux (RPS), tout comme un état de santé altéré, va de pair avec un sentiment accru d’insoutenabilité du travail.
Le 4e Plan Santé au Travail a pour objectif “d’améliorer durablement la santé au travail de chacun et de prévenir des risques professionnels en fédérant tous les acteurs concernés dans le monde du travail” selon le ministère du Travail.
Mais quelle est la perception des salariés français quant à leur capacité à exercer leur métier jusqu’à la retraite ?
Qui sont les salariés concernés ?
Face au contexte actuel, la question de la capacité des salariés à rester dans leur travail jusqu’à la retraite se pose. Alors que le Conseil Constitutionnel a annoncé rejeter le CDI senior et l’index senior, qu’en pensent les Français ? Différentes dimensions relatives à l’organisation, aux conditions de travail (QVCT) mais aussi à la situation du salarié, notamment son état de santé ou l’articulation de son travail avec sa vie privée (work-life balance) jouent dans la perception de cette soutenabilité.
Selon les résultats de la Dares, l’insoutenabilité du travail décroît fortement avec l’âge : 59 % des moins de 30 ans ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite, contre 18 % des 50 ans ou plus.
Ce constat n’est paradoxal qu’en apparence. Certains travailleurs occupant les postes les plus exposés aux risques professionnels les quittent au fil du temps, parfois pour raisons de santé, voire sortent de l’emploi. Les plus âgés ou les plus affectés peuvent aussi bénéficier d’aménagements de leur poste ou de leur temps de travail. Par ailleurs, l’horizon plus rapproché de la retraite leur offre une perspective qui peut alléger le sentiment d’insoutenabilité du travail.
Ce sentiment est plus présent chez les femmes que chez les hommes (41 % contre 34 %). La catégorie socioprofessionnelle n’a aucun impact sur cet écart mais ce dernier varie en fonction de la configuration familiale.
- 57 % des femmes ayant des enfants en bas âge ne se sentent pas en capacité de tenir dans leur travail, contre 43 % des hommes dans la même situation.
La Dares précise : “En l’absence d’enfant dans le ménage, la proportion de salariés dont le travail n’est pas soutenable est non seulement plus faible (33 %) mais les écarts de genre sont de surcroît réduits (36 % pour les femmes, 31 % pour les hommes).” Enfin, il n’y a pas d’écart entre femmes et hommes lorsqu’ils appartiennent à une famille monoparentale (42 % et 41 % respectivement).
Quelle différence y a-t-il entre les cadres et les ouvriers ? L’insoutenabilité perçue est un peu moins marquée chez les cadres (32 %) que chez les professions intermédiaires (38 %), employés et ouvriers (39 %). La Dares précise que “globalement, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées de manière assez similaire”.
Les facteurs influençant la capacité des salariés à faire le même travail jusqu’à la retraite
L’exposition au RPS est liée au sentiment accru d’insoutenabilité ressenti par les salariés. Les facteurs aggravants regroupent les risques physiques tels que les nuisances dans l’environnement de travail (bruit, chaleur, humidité, fumées ou poussières….) ou les contraintes physiques (rester longtemps debout, porter des charges lourdes…).
- 46 % des salariés qui sont fortement exposés aux risques physiques ont ce sentiment, contre 27 % de ceux faiblement exposés.
Les contraintes psychosociales (travail intense, charge mentale, manque d’autonomie, exigences émotionnelles, insécurité socio-économique, conflits de valeur, rapports sociaux dégradés) impactent de la même façon l’incapacité des salariés à tenir dans leur travail.
- 58 % des salariés les plus fortement exposés à ces nuisances ressentent cette insoutenabilité à long terme.
“En cas de poly-exposition à ces facteurs de risques, les effets sur la soutenabilité du travail sont cumulatifs“ indique le rapport de la Dares.
Les salariés très fortement exposés à la fois à des risques physiques et à des risques psychosociaux sont 61 % à déclarer ne pas être capables de tenir jusqu’à la retraite, contre 20 % de ceux très faiblement exposés aux deux.
Un état de santé dégradé de la personne affecte sa confiance en l’avenir. Mais un bon état de santé ne suffit pas à garantir un travail soutenable : un tiers des salariés s’estimant en très bon état de santé jugent leur travail insoutenable.
Une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés et limite l’intensité du travail tend à rendre celui-ci plus soutenable. En moyenne, une diminution de l’intensité du travail conduit à une baisse de 8 points de la proportion de salariés dans une situation d’insoutenabilité à trois ans d’intervalle. Mais c’est surtout l’autonomie donnée aux salariés qui améliore la situation.
Les mobilités seraient également des moyens d’échapper à l’insoutenabilité du travail selon l’étude de la Dares. Néanmoins, ces trajectoires sont peu fréquentes, surtout aux âges avancés.
Les métiers les moins soutenables
Près de 9 millions de personnes n’estiment pas leur travail soutenable jusqu’à la retraite selon le rapport de la Dares. Certaines professions sont jugées difficilement réalisables jusqu’à la retraite, parfois de manière majoritaire, par les salariés qui les exercent.
Quelles sont les professions particulièrement concernées ? Les métiers requérant l’accueil du public (caissiers, employés de la banque, des assurances et de l’hôtellerie-restauration), ceux du soin et de l’action sociale (infirmières et aides-soignantes), ainsi que certains métiers d’ouvriers non qualifiés sont particulièrement jugés insoutenables jusqu’à la retraite.
Leur travail est caractérisé par des risques physiques plus marqués que la moyenne et des exigences émotionnelles plus fortes du fait, pour certains, d’un travail au contact du public. À l’opposé, les métiers les plus « soutenables » jusqu’à la retraite sont en moyenne plus qualifiés et davantage exercés dans des bureaux, que ce soit dans le privé ou dans le public.
En outre, les employés concernés ont des carrières plus hachées que les autres. Ainsi, ils partent à la retraite en moyenne plus tôt, avec des interruptions, notamment pour des raisons de santé, qui s’amplifient en fin de carrière.
Les salariés qui changent de situation professionnelle sortent plus souvent des situations d’insoutenabilité du travail que les autres. La Dares précise : “par exemple, quitter le salariat en devenant indépendant diminue par plus de deux la probabilité de rester dans un travail insoutenable à trois ans d’intervalle.” Ainsi, le statut d’indépendant est associé à une meilleure santé et une articulation vie familiale – vie professionnelle plus favorable, malgré une durée du travail plus longue.
Quel est l’impact des dispositifs de prévention ?
“Les dispositifs de prévention que peuvent mettre en place les entreprises ont des effets modérés sur le caractère soutenable du travail” selon la Dares.
Recevoir une information sur les risques que le travail fait courir à la santé ou à la sécurité ne réduit que de 3 points la probabilité qu’un salarié déclare toujours considérer son travail comme insoutenable à trois ans d’intervalle.
La rédaction ou l’actualisation d’un document unique d’évaluation des risques (DUERP) a le même effet, tandis que la formation à la sécurité n’en a aucun. Cela peut tenir à plusieurs raisons. Tout d’abord, ces dispositifs ne ciblent qu’une partie des facteurs de la soutenabilité du travail. De plus, l’information et la documentation des risques ne suffisent pas à les supprimer et peuvent même les révéler. Enfin, l’employeur peut méconnaître ou sous-estimer les effets de certaines expositions ou dimensions de l’insoutenabilité du travail et ne pas les recenser. Une consultation auprès du médecin du travail ou de prévention a aussi un effet modéré (-3 points). Cela peut provenir des marges de manœuvre limitées dont disposent les médecins. L’espacement des visites, notamment pour les salariés les plus exposés, peut également y contribuer.
Pour conclure, parmi les salariés qui déclarent ne pas être capables de tenir au travail jusqu’à la retraite en 2013 et se maintiennent en emploi : 60 % se trouvent toujours dans cette situation en 2016. En 2019, 52 % d’entre eux jugent encore que leur travail n’est pas soutenable. Les femmes demeurent plus fréquemment que les hommes dans une situation d’insoutenabilité du travail.
Les salariés de moins de 30 ans sont seulement un tiers à ne plus être dans cette situation trois ou six ans plus tard.