Jonathan Goldfarb, Directeur du Développement RH chez Synergie, occupe un rôle clé dans la transformation et le développement des ressources humaines du groupe. Acteur majeur du travail temporaire avec plus de 5600 collaborateurs permanents, Synergie est confronté aux défis de la digitalisation, notamment pour améliorer ses processus RH et l’expérience collaborateur.
La rédaction myRHline est partie à la rencontre de Jonathan afin qu’il nous partage sa vision sur l’importance et les enjeux des projets digitaux au sein des ressources humaines.
Les projets digitaux sont souvent mal perçus par les ressources humaines. Quels sont, selon vous, les principaux points de friction liés à la digitalisation RH ?
Aujourd’hui, la digitalisation RH est devenue presque indissociable de la performance au sens large du terme. J’entends par là performance de l’entreprise, des services RH bien entendu, et performance du point de vue de l’expérience collaborateur.
Pourtant, les projets digitaux sont encore souvent appréhendés avec des pincettes par les DRH. D’abord parce que la digitalisation touche à l’essence même des processus RH et nécessite une reconfiguration des modes de travail de l’entreprise. Mais également, car je pense que ces projets sont sous-estimés en termes de complexité.
À mon sens, on considère souvent qu’ils consistent simplement à introduire un outil pour automatiser certains processus. Et ce, alors qu’en réalité, ces démarches impliquent, à différents degrés, préparation, anticipation et, dans la mesure du possible, un véritable accompagnement expert.
C’est d’ailleurs particulièrement vrai dans le cadre de projets SIRH ou de gestion des talents par exemple qui demandent des compétences qui vont bien au-delà de celles plus classiques que l’on retrouve dans les ressources humaines.
Au-delà des aspects budgétaires — nous savons tous que les budgets RH sont un peu les parents pauvres de l’entreprise puisqu’ils n’apportent pas directement du business —, il ne faut pas oublier que les RH ne sont ni experts projets ni experts IT. Or, les équipes RH se retrouvent souvent à gérer ces projets de digitalisation en plus de leurs responsabilités habituelles, ce qui crée une surcharge de travail. Avec, bien entendu, des équipes qui sont éreintées, voire parfois qui abandonnent. Au cours de mes expériences passées, j’ai d’ailleurs déjà eu le cas de figure, plusieurs fois, de collaborateurs qui partent en cours de route.
Le défi de la modélisation
Selon moi, l’absence de modélisation des processus constitue un autre défi. Je pense que c’est un peu culturel dans les entreprises françaises : les processus sont souvent pensés, mis en application, mais rarement modélisés. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de représentation visuelle de ce qu’est le process RH : Quelle est sa finalité ? Comment ça marche ? Pourquoi ? Et, on l’oublie aussi souvent et j’y reviendrai, pour qui est-il mis en œuvre ?
De ce fait, quand une équipe prépare un projet de digitalisation, il n’est pas rare qu’elle ne sache même pas vraiment comment le processus doit se dérouler. Il est alors plus difficile de choisir l’outil le plus adapté et/ou d’en exploiter toutes les capacités.
De même, dans peut-être 90% des cas, les entreprises cherchent à adapter l’outil à leurs processus actuels, alors que c’est généralement le contraire qui serait nécessaire. On en revient à la problématique des compétences évoquée plus haut : la modélisation n’est pas une pratique courante dans les départements ressources humaines pour la simple et bonne raison que les professionnels RH sont rarement formés à la « logique d’écriture » des process de A à Z.
Ainsi, pour réussir ces différentes étapes de la transformation numérique, il me paraît essentiel de bien cerner la complexité de ce que signifie vraiment la digitalisation des processus RH d’une part, et de prévoir des ressources dédiées d’autre part. Au risque de se retrouver, dans le cas contraire, avec un outil qui complique plutôt qu’il ne simplifie.
Quels sont les projets digitaux mis en place chez Synergie ?
Nous avons mené plusieurs initiatives de digitalisation qui ont transformé notre manière de travailler et d’interagir avec nos collaborateurs. Cela peut sembler très simple, mais la dématérialisation des bulletins de paie est un bon exemple. Auparavant, nous fonctionnions encore avec des dossiers au format papier. Ce qui compliquait l’archivage ou le transfert des documents collaborateurs. Lors de passations entre différents services ou acteurs, notamment.
La digitalisation a simplifié cette gestion. Maintenant, tout est consultable via une plateforme unique où tous les documents sont archivés et facilement accessibles, même après l’offboarding. Ainsi, cela a considérablement réduit les erreurs et les pertes de documents tout en facilitant la traçabilité.
Autre exemple : les demandes de recrutement ou de formation. Avant la digitalisation, ces processus étaient réalisés sur papier ou par e-mail, impliquant des délais de traitement plus longs. Et, finalement, une forte dépendance à la coordination entre les services.
Maintenant qu’elles sont digitalisées, ces actions sont désormais plus fluides et plus ergonomiques. Chacun peut soumettre sa demande en ligne. Celle-ci est alors transmise aux bons interlocuteurs, ce qui réduit à la fois les délais de réponse et les risques d’erreurs.
J’ai conscience que ce ne sont pas de grandes avancées. Cependant, nous partons de loin et je suis pour la théorie des petits pas : avant de révolutionner, il faut commencer par amorcer le changement.
C’est pourquoi on parle ici d’initiatives qui améliorent rapidement l’efficacité interne et contribuent à l’expérience collaborateur quotidienne avec tout ce que ça implique derrière : QVCT, rétention des talents, etc.
Pour ce faire, et comme la plupart des entreprises, nous achetons des outils RH car le développement en interne n’existe pas vraiment. À l’exception de cas très particuliers.
L’exemple de Symphonie
À titre d’exemple, nous avons actuellement un projet qui s’appelle Symphonie. Plutôt à destination des agences, il vise à créer un outil interne alliant un ATS et un CRM. Ici, il s’agit d’un projet d’à minima deux ans en plusieurs lots et pour lequel on a établi un cahier des charges, pris des développeurs, etc. S’il n’est pas directement RH, ce projet répond complètement à nos objectifs d’insuffler plus d’efficience par le biais de la digitalisation.
Comment le digital peut-il servir l’expérience collaborateur ?
Pour répondre à cette question, je vais prendre l’exemple d’un projet que nous venons tout juste de déployer au profit des salariés Synergie.
Dans le secteur du travail temporaire, les collaborateurs peuvent être confrontés à des situations difficiles. Des accidents traumatiques, parfois malheureusement des décès, ou des agressions. Le taux d’accidents graves est deux fois plus élevé pour les intérimaires que pour le reste des salariés (nldr.).
Lors d’une de nos dernières enquêtes d’engagement, nos équipes ont justement exprimé des préoccupations sur les conditions de travail par rapport à ça. Ainsi que des inquiétudes quant à leur bien-être psychologique.
En conséquence, il était essentiel pour nous de mettre en place un dispositif qui leur permettrait de bénéficier d’un soutien rapide et efficace. C’est ce que nous venons de faire avec l’ouverture d’un accès illimité à une plateforme d’écoute psychologique.
Cette dernière offre plusieurs fonctionnalités. Bien entendu, une ligne téléphonique pour les salariés qui éprouvent le besoin de parler à un psychologue. Celle-ci étant accessible 24h/24. Mais cette plateforme propose également un service de chat et de visioconférence ainsi que des questionnaires d’autoévaluation de la charge mentale et des contenus pédagogiques. Le but ? Aider chacun à mieux gérer des situations qui peuvent survenir aussi bien dans la vie professionnelle que personnelle.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres entreprises qui envisagent des projets de digitalisation RH ?
Conseil n°1 : Préparez-vous
Mon premier conseil serait de ne jamais sous-estimer la phase de préparation. Il est crucial de réaliser un audit exhaustif des systèmes et processus actuels avant de se lancer. Quelles sont les forces de l’organisation RH ? À l’inverse, où se trouvent les lacunes ? Pour être efficiente, la digitalisation doit répondre à des besoins précis, et non être une simple solution « tendance » à adopter.
Trop souvent, les entreprises se lancent dans des projets de digitalisation sans réellement avoir une vision claire de ce qu’elles veulent accomplir. Et, malheureusement, cela peut conduire à des échecs, des déceptions, à l’adoption d’outils qui ne seront pas ou peu utilisés.
Conseil n°2 : Impliquez les utilisateurs
Ensuite, je recommande fortement d’impliquer les utilisateurs finaux dès le début du projet. C’est une réalité : on a tendance à créer des groupes de projets, des groupes d’experts, des groupes de sponsors, etc. Mais ceux qui sont directement concernés, parce qu’ils en seront les principaux utilisateurs, sont rarement intégrés.
Ils vont prendre peur, ils ne vont pas savoir comment faire…
Les prétextes évoqués à cette non implication sont nombreux, mais ils sont faux.
Aujourd’hui, tous les développeurs d’applications sollicitent les utilisateurs finaux. C’est une démarche classique, car leur feedback est précieux pour s’assurer que les solutions répondent réellement à leurs besoins. Par exemple, s’il s’agit de déployer un outil de gestion des talents, il est essentiel d’organiser plusieurs ateliers avec des utilisateurs à différents niveaux pour tester et ajuster les fonctionnalités à leurs attentes.
Conseil n°3 : Prenez du recul
Enfin, je conseille de faire preuve de vigilance face aux démonstrations souvent très séduisantes des prestataires. Il est important d’aller au-delà de ces environnements de démonstration pour tester l’outil dans des conditions proches de la réalité de l’entreprise. Avec les jeux d’essais, pour mettre le(s) éditeur(s) en situation et voir comment il(s) réagi(ssen)t.
En somme, il faut prendre le temps de (se) poser des questions, d’effectuer des tests concrets et d’impliquer toutes les parties prenantes. Dans le processus de sélection d’abord, puis dans la conduite du changement.
Je sais que dans le contexte actuel, la digitalisation RH est souvent considérée comme un projet « d’urgence ». Il faut aller vite. Mais en réalité, à mon sens, il vaut mieux consacrer quelques semaines supplémentaires à tous ces aspects préparatoires pour éviter les désillusions par la suite.