Quelles sont les modalités de rupture conventionnelle ? Peut-on conclure ce contrat dans n’importe quelle hypothèse ?
15 ans après la création de la rupture conventionnelle, de nombreux doutes demeurent concernant les modalités dans lesquelles elle est permise. En cause notamment : la confusion créée par l’administration.
Aujourd’hui, la jurisprudence permet de rassurer employeurs et collaborateurs sur leur droit de conclure cette procédure, dans la quasi-totalité des situations. Explications.
Modalités de rupture conventionnelle : une séparation consentie et encadrée
L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 puis la loi du 25 juin 2008 ont créé un dispositif encadrant la séparation d’un commun accord du CDI. Ce dispositif a permis de créer des garanties procédurales et financières à la séparation d’un commun accord du CDI, admise jusqu’ici sans encadrement législatif.
L’idée du législateur était de mettre fin aux montages – juridiquement périlleux – mis en œuvre par des employeurs et des employés désireux de se séparer sans avoir recours aux modalités de licenciement, nécessitant un motif, ou la démission, privant le salarié du chômage…
Le postulat de départ était simple : la rencontre de deux volontés de rompre le CDI, le licenciement à l’amiable.
Normalement, les discussions doivent avoir lieu en dehors de toutes tensions, contexte disciplinaire, discrimination ou harcèlement. Mais la volonté des parties suffit-elle ? La seule limite de la rupture conventionnelle est-elle le consentement ?
La fin des ruptures d’un commun accord
Avant de détailler les modalités dans lesquelles la rupture conventionnelle est admise – malgré de nombreuses croyances contraires – notons que deux arrêts traitent de séparations d’un commun accord toujours autorisées, en dehors du dispositif qui nous intéresse ici, dans des contextes bien particuliers.
Avec la naissance de la rupture conventionnelle, les séparations d’un commun accord ne sont plus permises en dehors de modalités bien spécifiques prévues par le législateur (Cass.soc 15 octobre 2014, n°11-22.251).
À ce jour, nous disposons donc encore de séparations amiables dans le cadre des modalités de Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences (GPEC), des Plans de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) ou des accords relatifs à la Rupture Conventionnelle Collective (RCC). Dans ces 3 hypothèses, la séparation amiable est admise et ne passe pas par l’application de la procédure qui nous intéresse ici (Articles L. 1237-16 et L. 1237-17 du Code du travail).
Une autre exception très utile aux groupes d’entreprises est admise par la Cour de cassation : la convention tripartite de transfert conclue par un employé et deux employeurs appartenant au même groupe d’entreprises. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estime qu’il ne s’agit pas d’organiser la rupture d’un contrat de travail mais de sa poursuite. Ces conventions tripartites sont donc admises et permettent la fin d’un CDI chez une personne A au profit de la poursuite du CDI chez la personne B sans que n’intervienne de rupture conventionnelle (Cass.Soc 8 juin 2016, n°15-17.555).
Modalités de rupture conventionnelle : le consentement en condition principale
Une procédure incontournable
En mettant fin aux séparations d’un commun accord non prévues par le législateur, la Cour de cassation nous a enseigné que le respect des modalités de rupture conventionnelle est une étape incontournable pour échapper à une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’étape des entretiens préalables (il peut y en avoir plusieurs) permettant de discuter et de signer le protocole de séparation (et/ou le formulaire d’homologation de cette démarche) est donc incontournable, tout comme le respect des modalités de rétractation (des délais) et d’homologation.
Bien que deux arrêts des Cours d’appel de Versailles et de Rennes aient admis le recours à la visioconférence pour l’entretien de licenciement, l’organisation d’entretiens dans le cadre de cette procédure en visioconférence fait encore débat. Dans l’attente d’une décision par la Cour de cassation, un entretien doit être organisé en présentiel pour s’assurer l’homologation (CA Versailles du 4 juin 2020, n°17/04940 ; CA Rennes du 11 mai 2016, n° 14-08483).
A noter : en présence d’employés protégés, les modalités de cette démarche diffère. Il ne s’agit pas d’une homologation (potentiellement tacite) mais d’une autorisation expresse de l’inspection du travail (Articles L. 1237-15 du Code du travail).
Pas de vice du consentement
De nombreux arrêts sur les circonstances entourant les ruptures conventionnelles permettent de conclure qu’elles sont secondaires, loin derrière le consentement. Comme on le verra plus loin, s’il est possible de conclure une telle démarche dans des circonstances où un licenciement aurait été interdit, c’est à condition qu’aucun vice du consentement n’entache les modalités de rupture conventionnelle.
Pour rappel, “l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes” (Article 1130 du Code civil).
Ainsi, l’employé ne doit pas avoir subi de pressions, doit être en mesure de prendre une décision aussi importante et ne pas avoir accepté la séparation conventionnelle après qu’on lui ait menti sur le contexte ou les conséquences de celle-ci. Ainsi, il convient d’être très prudent lorsqu’on envisage de conclure une telle démarche avec un salarié dont l’on ignore la santé mentale fragile ou la prise de médicaments pouvant altérer le jugement. De la même manière, cette démarche ne doit pas être imposée par des menaces de licenciement, par des sanctions ou par le non-versement du salaire dans l’attente d’une signature… (voir Cass.soc 16 septembre 2015 n° 14-13.830 notamment)
La rupture conventionnelle pendant une suspension de contrat de travail
Devait-on considérer que la personne dont le contrat est suspendu n’est pas en capacité de conclure une rupture conventionnelle ? Devait-on faire une différence entre une suspension ordinaire (congé parental, congé sans solde, arrêt maladie) et une suspension protégée (congé maternité, arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle) ?
L’administration suscite plusieurs doutes concernant les modalités de rupture conventionnelle.
La loi créant la procédure récemment publiée, l’administration répondait à ces questions en interprétant le texte à sa façon :
Dans les cas de suspension ne bénéficiant d’aucune protection particulière (congé parental d’éducation congé, congé sabbatique, congé sans solde, etc…), aucune disposition n’interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle. Dans les cas où la rupture du contrat est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension de l’engagement (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L. 1225-4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L. 1226-9, etc…), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période.
Les ruptures conventionnelles étaient donc non seulement très incertaines mais aussi déconseillées, compte tenu de la nécessité d’obtenir l’homologation administrative. La circulaire DGT semblait donc poser la règle tant que la Cour de cassation n’était pas intervenue pour dire le contraire…
Modalités de rupture conventionnelle : la Cour de cassation lève les doutes
Contrat suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle
La Cour de cassation pose très clairement le principe selon lequel la rupture conventionnelle peut intervenir selon ces modalités : lorsque le salarié est en arrêt maladie suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Alors que ce type de suspension de contrat protège le collaborateur contre une rupture unilatérale par l’employeur, les juges rappellent qu’il n’existe aucune restriction à la conclusion de cette procédure hormis le vice du consentement (Cass.soc 30 septembre 2014, n°13-16.297).
Salariée en congé maternité
Le congé maternité étant une période durant laquelle l’employeur a l’interdiction absolue de rompre l’engagement, la possibilité de conclure ce type de démarche a donc rapidement fait débat.
Tandis que l’administration déclarait qu’il n’était pas possible de conclure une rupture conventionnelle, les professionnels du droit social se sont interrogés sur cette interdiction présumée.
Pourquoi une collaboratrice en congé maternité aurait-elle moins de droits qu’un salarié en cours de contrat ? Pourquoi ne pourrait-elle pas prétendre à la rupture conventionnelle puisqu’elle y consent : l’administration posait plus de modalités que le législateur et les partenaires sociaux signataires de l’ANI !
Encore une fois, la Cour de cassation, aucunement liée aux positions administratives, a validé la rupture conventionnelle conclue entre un employeur et une salariée en congé maternité dès lors qu’aucun vice n’était venu entacher le consentement des parties (Cass.soc 25 mars 2015, n°14-10.149).
Salarié en arrêt maladie
La situation de l’employé en arrêt pour maladie non professionnelle n’a pas été à l’origine du même débat juridique que pour l’arrêt maternité et celui consécutif à un accident du travail. En effet, sauf modalités conventionnelles posant une garantie d’emploi, le salarié en arrêt n’est pas protégé contre la rupture de son contrat : il peut être licencié pour un motif disciplinaire ou économique. Sous réserve d’un consentement éclairé, il apparaissait logique qu’il puisse valablement conclure une rupture conventionnelle.
La Cour de cassation a validé cette hypothèse dans un arrêt du 30 septembre 2013 (pourvoi n°12-19.711).
Salarié déclaré inapte
Encore une fois, la Cour de cassation s’est attachée aux modalités légales de conclusion d’une rupture conventionnelle : le consentement. Elle a estimé qu’un salarié déclaré inapte à son poste, même à la suite d’un accident du travail, pouvait valablement conclure une rupture conventionnelle.
Cette position a pu étonner pour deux raisons :
- L’employé déclaré inapte entre, dès le jour de sa déclaration d’inaptitude, dans une procédure encadrée et limitée dans le temps à travers laquelle l’employeur doit le reclasser ou le licencier.
- L’employé bénéficie d’indemnités particulières lorsque le licenciement a pour origine une inaptitude professionnelle.
Restant fidèle à son interprétation littérale du texte, la Cour de cassation n’a pas voulu lui ajouter de modalités. Sous réserve d’un consentement éclairé et non vicié, le salarié déclaré inapte, que ce soit à la suite d’une maladie ordinaire ou ayant un caractère professionnel, peut conclure une telle procédure (Cass.soc 9 mai 2019, n°17-28.767)
Si la rupture conventionnelle est légalement permise, l’employeur doit faire preuve de prudence et expliquer au salarié à quels droits et indemnités liés à son inaptitude professionnelle il renonce en consentant à signer.
A noter : il n’est pas surprenant qu’une telle démarche puisse être conclue pendant un congé parental d’éducation ou un congé sans solde puisqu’elle est admise dans le cadre de suspensions de contrat protégées par le législateur.
L’employeur devra cependant toujours veiller au consentement du salarié et ce pendant l’intégralité de la procédure.
Un contexte encore sous surveillance
Puisqu’il n’est pas interdit de conclure une rupture conventionnelle dans un contexte pourtant réglementé (salarié inapte ou salarié en congé maternité), il n’est pas interdit de faire appel à une rupture conventionnelle alors que l’entreprise traverse des difficultés économiques.
Cependant, cette autorisation doit être nuancée, dans les faits, compte tenu du nombre de ruptures conventionnelles envisagées… En effet, qu’un salarié en suspension de contrat pour accident du travail signe ce type de procédure alors que la loi le protège contre le licenciement n’est pas comparable aux ruptures conventionnelles signées par plusieurs collaborateurs évitant à l’employeur la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
La signature de plusieurs ruptures conventionnelles pouvait permettre à une entreprise de sortir des conditions d’application du PSE, dispositif prévoyant droits et garanties pour les salariés licenciés pour motif économique. L’administration s’est positionnée dans deux circulaires de manière beaucoup plus nuancée que pour les suspensions de contrat pour maternité et accident du travail. Selon sa doctrine, la procédure signée dans un contexte de difficultés économiques était légalement envisageable mais devait nécessiter une vérification de l’existence ou non d’un contournement des procédures de licenciement collectif : ce contournement pouvant être « caractérisé par un recours massif à la rupture conventionnelle dans une entreprise ou un groupe confronté à un contexte économique difficile, susceptible, à court terme, de conduire à la mise en oeuvre d’un PSE » (Circulaire n°2009-04 précitée et Instruction DGT n°2 du 23 mars 2010 relative à l’incidence d’un contexte économique difficile sur la rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée)
La Cour de cassation a également admis ces procédures dans des contextes économiques difficiles (Cass.soc, 19 janvier 2022, n°20-11.962 notamment).
Cependant, elles sont fondées sur une cause économique et poursuivant un objectif de réduction d’effectifs, doivent être prises en compte pour déterminer la démarche d’information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l’employeur en matière de PSE (Article L. 1233-26 du Code du travail). La position de la Cour de cassation empêche les entreprises de faire appel aux ruptures conventionnelles individuelles pour s’affranchir des obligations attachées à la réduction de l’effectif.
L’administration est donc vigilante quant au contexte dans lequel interviennent les ruptures conventionnelles et la Cour de cassation, si elle n’invalide pas les procédures intervenues dans un contexte économique difficile, remet en cause les licenciements intervenues en méconnaissance de l’obligation de mise en oeuvre d’un PSE !
Quel que soit le nombre de séparations conventionnelles qu’il envisage de conclure, l’employeur dont l’entreprise est en difficulté doit pouvoir se projeter et définir une stratégie au regard de son effectif. Une fois les ruptures conventionnelles homologuées et effectives, elles sont prises en compte pour déterminer si un PSE s’impose ! Dans un tel contexte et afin qu’un vice du consentement ne puisse pas être invoqué par les signataires des ruptures conventionnelles, l’employeur serait par ailleurs prudent de pouvoir démontrer que les collaborateurs étaient bien conscients des droits auxquels ils pourraient prétendre en cas de licenciement pour motif économique.