Depuis sa création en 1998, la Marque Employeur est entrée dans le domaine public et représente une réelle avancée. Elle n’a malheureusement pas toujours été élevée à son juste niveau et parfois même détournée. L’arrivée du web 2.0 et de ses espaces collaboratifs lui font vivre de nouveaux défis, notamment celui de la démocratie directe d’internet.
My RH Line a rencontré Didier Pitelet, dépositaire du concept en 1998, pour comprendre l’évolution de cette notion et son avenir.
L’origine
« J’ai créé et déposé le concept de Marque Employeur en septembre 1998, en écho à la première génération « kleenex » qui a marqué les années 1992-93-94.
Avec la violence de cette première grosse crise économique, nous avons globalement assisté à un sacrifice, en bonne et due forme, de tous les jeunes diplômés de cette époque. Ils ne comprenaient plus le monde dans lequel ils vivaient. On leur avait promis que s’ils faisaient des études, on leur déroulerait le tapis rouge et ils avaient pu voir les entreprises le faire pour leurs aînés de 2 ou 3 ans.
Mais lorsqu’ils sont arrivés sur le marché du travail, les portes se sont fermées et ils sont devenus des « pestiférés ».
Dans la détresse, cette jeunesse a été la première génération en rupture avec le monde de l’entreprise. Cela a d’ailleurs généré les trentenaires actuels qui sont la première génération extrêmement cynique par rapport aux organisations. 70% des managers trentenaires déclarent ne pas adhérer aux valeurs de leur entreprise, cela en dit long.
« La mise en cohérence de toutes les expressions employeur »
Dès 1997, le marché de l’emploi a commencé à redémarrer et nous avons assisté à l’amnésie des entreprises. J’ai trouvé cela totalement indécent. Du jour au lendemain, parce que la dimension quantitative du recrutement recommençait à faire loi, elles se sont parées de leurs meilleurs atours pour attirer les talents, comme s’il n’y avait pas eu de crise.
A l’époque, je dirigeais une entreprise, Guillaume Tel, et j’ai eu la volonté d’introduire dans l’univers RH toute la rigueur du marketing en partant non pas de slogans de communication RH mais de la posture de la marque des entreprises.
La Marque employeur a donc été créée sur la définition suivante : la mise en cohérence de toutes les expressions employeur tant internes qu’externes et ce au nom d’une seule chose, la performance de l’entreprise.
Dès son origine, les maîtres mots étaient :
- La cohérence : ne pas être à l’extérieur ce qu’on n’est pas à l’intérieur,
- La logique entre expression employeur et marque,
- La performance qui est la seule raison d’être
Une entreprise n’est pas une association à but non lucratif, elle est là pour performer et paie des équipes pour contribuer à la performance. Il doit y avoir un véritable liant identitaire et culturel qui permette à chacun de comprendre le sens de cette performance. C’est ça l’origine de la marque employeur.
Une marque employeur détournée
Le chemin parcouru a une double face : une négative et une positive.
Avant 1998, personne ne parlait de Marque Employeur, aujourd’hui il n’y a pas une entreprise qui n’y fassent pas référence. Ce concept fait désormais partie du domaine public. C’est une avancée en tant que telle. Ce vocable a fait bouger les choses.
En revanche, nous avons malheureusement assisté au fiasco de la Marque Employeur durant ces 10 ans. Elle n’a pas été élevée au juste niveau qu’elle mérite, un niveau de gouvernance. Elle a été assujettie à l’aune des politiques de stop and go économiques alors qu’une Marque Employeur ne se construit que sur la durée. Elle a été réduite, sous l’impulsion de nombreux communicants, à une simple dimension de communication de recrutement. Malheureusement, ce concept n’a pas été un paravent à la deshumanisation des organisations tel qu’on a pu y assister en accéléré depuis 10 ans. Il n’a fait qu’accompagner le vide de sens qui fait mot aujourd’hui dans la plupart des grandes entreprises.
« La Marque employeur est l’âme de l’entreprise »
La Marque Employeur est là pour donner une dimension existentielle au travail de chacun. Aujourd’hui, quand on parle de sa vie professionnelle, on ne dit plus à quelle entreprise on appartient, mais le travail que l’on exerce, car on ne porte plus le maillot de son entreprise. Or la Marque Employeur, dans sa dimension existentielle, est avant tout la marque portée comme un maillot, elle est la marque maillot. Lorsque que vous pratiquez un sport, vous appartenez à un club, vous pratiquez certes le même sport que l’adversaire mais vous ne portez pas les mêmes valeurs sur la poitrine. C’est cela la Marque Employeur, c’est l’âme de l’entreprise.
La reconquête du sens
Aujourd’hui, le monde est en train de remettre les compteurs à zéro en termes de Marque Employeur.
Il y a d’un côté les communicants qui instrumentalisent la Marque Employeur. Ils perpétuent la lignée des 10 ans qui viennent de s’écouler alors que la Marque Employeur a un rendez-vous historique à assumer : c’est par elle que doit venir la reconquête du sens.
Quand on parle de Marque Employeur en 2010 et pour les 10 ans à venir, on ne parle que d’une chose : la marque. On ne parle pas de sujets RH, de communication de recrutement, communication interne et autre, on ne parle que de la marque déclinée sous l’angle employeur.
Le problème est là. La majeure partie des DRH auxquels est souvent rattaché le sujet de Marque Employeur ne connaissent rien à leur plateforme de marque. Tout comme la majorité des membres d’un comité de direction. La marque a été instrumentalisée, au fil du temps, par les marketeurs et les publicitaires pour être complètement virtualisée dans la vie des personnes. Elle ne constitue donc plus un maillot, elle n’est plus une source d’identification sociale.
Il faut donc structurer une stratégie de réputation employeur fondée sur une marque déclinée sous l’angle employeur. Quand on traite la marque sous l’angle employeur, elle sort du périmètre RH pour entrer dans celui de la gouvernance.
Dans les 10 années à venir, la Marque employeur va devoir relever le défi de devenir le relais de l’expression humaine de la gouvernance d’entreprise très loin de la langue de bois et du politiquement correct, loin des grands poncifs sur le capital humain, auxquels plus personne ne croit.
Les entreprises ne font plus rêver.
La marque employeur est un facilitateur d’attractivité et de fidélisation car derrière la dimension existentielle de la marque traitée sous l’angle employeur cela renvoie à la dimension de l’utilité individuelle. Le drame dans les entreprises est que les collaborateurs ne savent plus à quoi ils servent. Alors que quand il existe une marque maillot, on sait pourquoi on se bat, on se lève car on est fédéré autour d’une vision, d’un leadership managérial et autour d’un véritable projet à bâtir. C’est ce qui dégage cette dimension très schizophrène du monde du travail. Les gens ne comprennent plus à quoi ils servent parce qu’on ne leur explique plus. La fierté d’adhésion est toute relative. Cela est un vrai défi pour la marque traitée sous l’angle employeur. Le dépositaire de la Marque Employeur est le président de l’entreprise, le problème c’est qu’à peine 2% des présidents en France s’impliquent dans la stratégie de leur Marque Employeur.
Internet et le 2.0
La Marque Employeur va devoir être au rendez-vous de la démocratie directe d’internet qui fait, qu’aujourd’hui, tout se sait et tout se dit en temps réel sur le « vivre ensemble » des entreprises. La Marque Employeur est la réhabilitation de la notion de tribu d’entreprise et va permettre à l’entreprise de reconquérir une véritable dignité humaine. Pour cela, elle va devoir être réellement dans l’ADN de l’entreprise car tout ce que l’entreprise peut être amenée à affirmer peut être contredit en temps réel sur des blogs, des forums, ou des réseaux sociaux.
Il existe donc une posture de preuve à adopter qui déstabilise beaucoup les entreprises car cette posture est le pendant d’une logique de transparence à laquelle les organisations ne sont absolument pas habituées. Or aucune organisation ne peut avoir l’arrogance de penser ou de dire qu’elle maîtrise sa réputation. Le web 2.0 impose une posture d’humilité et d’excellence que nous n’avons jamais connue jusqu’à présent et c’est formidable.
A titre d’exemple, le blog de Sephora est un modèle de transparence. Si Sephora a une formidable Marque Employeur, et une formidable réputation c’est parce l’entreprise acceptent la transparence et accepte de dire qu’elle n’est pas parfaite.
Ils ont pris l’initiative d’instaurer le collaboratif.
« La Marque Employeur va devoir être au rendez-vous de la démocratie directe d’internet »
En 15 ans, nous avons assisté à un divorce sans précédent entre les salariés et les entreprises au cœur duquel se pose le problème du leadership des dirigeants. Concrètement, il n’y a plus de patron dans les grandes entreprises. Il y a des dirigeants salariés, temporaires, interchangeables qui ont comme obsession la performance économique mais qui ne font pas leur l’histoire des hommes et des femmes qui ont bâti l’entreprise. Ils sont souvent dans l’incapacité de donner un horizon.
Lorsque je conseille une entreprise en stratégie de réputation employeur, une des étapes du travail consiste à poser une question très simple au dirigeant : « A 3-5 ans, de quoi voulez vous être fier en tant qu’employeur ? »
Cette question est incontournable pour bâtir une Marque Employeur mais elle n’est jamais posée à un président. Il faut réhabiliter le fait que dans une entreprise, il n’y a qu’un patron. La Marque Employeur est aussi l’élément qui relie la tête au corps alors que depuis 15 ans malheureusement la tête a été coupée du corps.
Le 2.0 va sauver la Marque Employeur sous réserve de ne pas l’instrumentalisée sous la forme Marque Employeur 2.0 car cela ne veut strictement rien dire.
Le 2.0 est avant tout le reflet de la confiance en ses équipes, de la confiance en sa politique et l’humilité d’admettre que la perfection n’est pas de ce monde. Une fois que l’on est d’accord avec cela on peut aller sur le 2.0 : le modèle contributif, l’échange.
L’entreprise qui a le courage d’entreprendre cette démarche est une entreprise « vraie », qui accepte l’échange et la confrontation positive.
Jean-Claude Delmas, DRH des Hyper et supermarchés Casino est le premier dirigeant en France à avoir mis en place un blog, il y a 10 ans. Tout le monde, clients, candidats, salariés… peut poser une question sur le sujet de son choix au DRH. Il est évident que si Casino a une meilleure image que d’autres c’est parce que l’entreprise travaille cette logique de proximité et de transparence et ose aborder tous les sujets. Ils ont conscience que s’il ne les abordent pas cela sera abordé par d’autres.
Avec le web 2.0 il est important que les règles du jeu soient clairement identifiées en amont. Par exemple, un blog d’entreprise est toujours géré par un modérateur, mais il faut accepter qu’il ne modère que ce qui est du domaine de la discrimination, des atteintes à la personne. Le reste doit pouvoir être abordé.
L’image des entreprises en France est très mauvaise, mais la réalité est tout autre. Nombreuses sont les organisations qui offrent des environnements de travail de qualité, des avantages sociaux formidables… Le 2.0 et la Marque Employeur, élevée au niveau de gouvernance, peuvent être un moyen formidable de réhabilitation du lien affectif entre citoyen et entreprise.
La Marque Employeur va devenir un argument de compétitivité et d’acceptabilité sociétale formidable à condition qu’elle la décloisonne du périmètre restreint RH pour en faire une véritable expression fondamentale de la parole d’entreprise.
Je crois que la Marque Employeur a définitivement tourné le dos à la communication RH (dimension très restrictive, souvent uniquement communication de recrutement) pour englober une véritable logique de posture employeur déclinée de la marque. Cela devient un enjeu de gouvernance.