Hélène Nicolet est responsable du service recrutement et attractivité rattaché à la direction talent, culture et transformation chez METRO France. L’entreprise « pépite du groupe international » a généré 5,3 milliards de chiffre d’affaires en 2023 et compte 9500 collaborateurs répartis sur tout le territoire.
myRHline a rencontré Hélène Nicolet qui, entourée d’une équipe de 17 personnes, s’occupe du recrutement et pilote l’attractivité et les relations écoles.
Avez-vous été affecté par ce qu’on appelle la « pénurie de talents » ?
Comme la plupart des entreprises, nous avons effectivement vécu la pénurie de talents. Cependant, nous avons observé une différence flagrante entre les métiers, car il y a un vrai déséquilibre. Ainsi, sur les postes des commerciaux ou des préparateurs de commande, par exemple, nous avons connu moins de difficultés pour recruter et nous continuons d’enregistrer un volume de candidatures très important. Alors qu’à l’inverse, il y a encore certains profils sur lesquels la tension reste très présente comme les techniciens ou les experts sur les produits frais. Dans ce cas, nous devons mettre en place des étapes pour ne pas souffrir de la gestion du volume.
C’est un constat partagé sur différents métiers en fonction des filières.
Pour avoir échangé avec des homologues d’autres structures, je pense que cette situation peut notamment être expliquée par l’approche du parcours professionnel privilégiée sur les quinze dernières années : les métiers manuels ou de passion ont longtemps été mis de côté au profit des études longues. Et, aujourd’hui, le marché du travail en paye un peu le prix. Nous avons besoin d’une expertise sur certains postes, dans la boucherie ou la poissonnerie. Or, c’est une vraie difficulté de trouver des candidats issus de ces professions-là.
Pour pallier ces difficultés, nous cherchons à travailler sur les moyens de redonner, entre guillemets, leurs lettres de noblesse à ces métiers. Pour cela, nous avons par exemple mis en avant des collaborateurs qui ont expliqué leur quotidien professionnel et à quel point leur travail est essentiel. L’entreprise a déployé une stratégie de communication assez importante sur ce sujet.
La maison METRO pour former les candidats
En parallèle, nous travaillons beaucoup sur la formation dans le but d’accompagner les candidats à s’engager sur cette voie. En ce sens, des passerelles ont été créées en interne et nous proposons aussi des CQP, en boucherie par exemple, au sein de la maison de la formation METRO. Concrètement, il s’agit d’un bâtiment de 3000 m² comprenant une cuisine pédagogique, des salles de formation, des équipements professionnels, un amphithéâtre, etc. Tout ce qui est nécessaire pour développer les compétences de nos collaborateurs. Mais également pour soutenir la formation des futures générations avec la création du CFA METRO depuis 2022.
Pour être très transparente, je pense que l’intégralité des collaborateurs connaît la maison de la formation et y est passée, à un moment ou à un autre.
Grâce à ce dispositif, nous disposons d’une force de frappe certaine puisque nous sommes capables d’intégrer des candidats dont ce n’est pas le métier initial pour les former avant la prise de poste.
On retrouve par exemple très souvent d’anciens restaurateurs qui ont déjà une affinité avec le produit et qu’on va former à devenir conseillers de vente. C’est un moyen très concret de limiter l’impact de la pénurie de talents.
Pouvez-vous nous dire quels sont vos objectifs dans le cadre du recrutement 2024 ?
En pratique, nous allons chercher à répondre à plusieurs enjeux cette année. Le premier va être de fidéliser nos collaborateurs en priorité. Ce qui implique de privilégier la mobilité au sein de l’entreprise. Dans les faits, ce volet existe déjà chez METRO, et nous continuons de progresser sur nos propositions de parcours interne.
L’idée est donc d’adopter un nouveau réflexe : lorsqu’il y a une ouverture de poste, il faut chercher dans nos ressources quel collaborateur faire évoluer. Et ce, en particulier sur les métiers les plus complexes en matière de recrutement. Le mindset, les politiques, l’organisation de l’entreprise, tous ces points sont déjà acquis donc c’est plus facile d’une certaine manière. Ce cheminement « réduit » l’action de recrutement à la mise en place d’une formation pour le collaborateur/le métier visé. Ce qui nous permet de déporter le recrutement vers le poste qu’il va quitter.
La maîtrise du turn-over
Pour être très transparente, nous avons connu une période avec un turn-over assez élevé. Il est en train de s’améliorer, mais nous savons qu’il ne faut pas relâcher notre vigilance et que nous devons le surveiller comme le lait sur le feu. En ce sens, nous devons faire attention à ce que nos collaborateurs soient épanouis et qu’ils puissent se développer tout au long de leur carrière chez nous.
Enfin, dernier enjeu : exploiter davantage le traitement de la data pour mieux recruter, à l’interne comme à l’externe. Nous avons déjà lancé un sujet data pour globalement identifier le meilleur canal et le meilleur process pour recruter tel ou tel type de profil.
Nous avons d’ailleurs mis en place une solution qui s’intègre à notre ATS et analyse tous les aspects de nos processus de recrutement : quel budget est consacré pour quel canal d’acquisition, etc. L’outil permet ainsi de calculer le coût du CV, d’un entretien… Ceci afin d’avoir une vision détaillée de ce que l’on fait et des moyens d’optimiser l’ensemble des étapes du recrutement.
En lien avec ce sujet, il y a également tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle qui arrive. À terme, nous voulons pouvoir décharger nos chargés de recrutement de toutes les tâches chronophages et sans grand intérêt en leur permettant de s’appuyer sur des outils d’automatisation. Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là, mais le but est qu’ils puissent se concentrer sur ce qui est essentiel. C’est-à-dire la relation avec les candidats.
Comment allez-vous aborder le parcours candidat en 2024 ?
Traiter le parcours candidat en 2024 est un vaste sujet pour nous. D’ailleurs, nous avons beaucoup de projets en cours et je pense qu’il n’y a pas une semaine où nous n’en parlons pas.
Tout d’abord, il faut savoir que nous avons déjà des parcours individualisés dès le début de la phase de recrutement. Je m’explique : nous avons bien conscience que la même formule ne fonctionne pas pour tout le monde. Donc, nous ne recrutons pas de la même manière un conseiller de vente, un acheteur ou un ingénieur.
En effet, nous avons constaté que les attentes ne sont pas forcément les mêmes d’un poste à l’autre. Certains préfèrent être dans un format job dating où ils vont échanger entre eux quand d’autres préfèrent un parcours très individuel, en s’engageant directement dans un process plus classique d’entretien. Ainsi, nous mettons en place des processus un peu différents selon la population ciblée.
Ce que nous voulons, c’est essayer de proposer de vraies expériences aux candidats afin que ces derniers n’aient pas juste la sensation d’avoir envoyé leur CV quelque part. Que le recrutement aboutisse ou pas, il faut qu’on laisse une bonne impression en les considérant comme on considère les clients, car ce n’est qu’à cette condition qu’on peut — c’est vrai pour toutes les entreprises — faire du recrutement un levier pour constituer un vivier de candidats qui, potentiellement, reviendront vers nous quelques mois, quelques années, plus tard.
Si l’on prend un peu de hauteur, je pense qu’il est aussi indispensable de s’assurer que toutes les strates impliquées dans le recrutement partagent la même vision.
L’objectivité du recrutement
Comme bon nombre d’employeurs, nous laissons la main à nos managers. Dans une équipe d’une dizaine de personnes, c’est assez facile de maîtriser le process et le discours fait aux candidats. Mais quand vous laissez la main à des centaines de managers, il est essentiel de mettre en place les outils qui nous permettent de garantir la cohérence de notre approche du recrutement d’une part, mais aussi d’assurer l’égalité des chances pour tous les candidats en matière de diversité, d’inclusion.
Pour cela, nous devons nous les RH faire en sorte de professionnaliser le recrutement pour nos managers. Ceci afin qu’ils acquièrent tous la même capacité à évaluer un candidat, mener un entretien, analyser les skills et faire un feedback pour expliquer pour quelle(s) raison(s) le candidat est, ou non, retenu. Dans cette optique, nous avons déjà formé nos 600 managers en 2023 lors d’une journée entière focalisée sur le recrutement de A à Z.
Quelles sont les attentes des candidats ? Qu’est-ce qui a changé ? Quels sont les critères de discrimination à l’embauche ? Comment mettre les candidats à l’aise ?
Cela peut paraître très simple, mais beaucoup deviennent recruteurs alors que ce n’est pas leur métier premier. On ne peut pas leur en vouloir d’être un peu déconnectés de la réalité du marché, de ce qu’est aujourd’hui le rapport candidat/entreprise qui, on peut le dire, tend à s’inverser.
Ainsi, si la communication sert la marque employeur, à mon sens, les premiers à l’incarner véritablement sont les managers. Pour bien recruter en 2024, il me paraît donc essentiel de les accompagner de manière à ce qu’ils soient parfaitement armés pour réaliser les exercices d’entretiens, pour que leur posture reflète ce que l’entreprise cherche à communiquer en matière de valeurs et de pratiques, sans que ça soit un stress pour eux.
Quelle sera la place de l’intelligence artificielle dans vos recrutements ?
Nous avons la chance de disposer de ressources importantes sur ces sujets en interne, au sein de METRO France ou du siège international basé en Allemagne. Ce qui nous permet souvent d’avoir un coup d’avance sur les thématiques liées à la data ou, en l’occurrence, de l’IA.
Nous avons par exemple mis en place un parcours assez spécifique pour nos programmes Graduate où ils vont s’immerger dans un jeu vidéo pour mettre en avant leurs compétences : résolution de problèmes, travail en équipe, capacité à communiquer, réaction face au stress, etc. De même, nous utilisons une solution de matching score : l’IA scanne le CV et s’appuie sur les critères indiqués dans notre annonce et/ou les données extraites de nos précédents recrutements pour nous indiquer si oui ou non, il y a une adéquation entre le poste et le candidat.
Cependant, à notre échelle, nous nous sentons pour le moment plutôt concernés par l’aspect juridique et la protection des données. Comment assurer le traitement des données candidats avec ces outils ? Comment assurer l’accès à une porte de sortie, si le postulant préfère avoir recours à un process plus lambda s’il le souhaite ? Ce sont vraiment deux aspects importants pour nous plus que les qualités de l’IA en elle-même. Nous verrons, par la suite, comment l’intelligence artificielle pourra trouver sa place au sein des pratiques RH METRO.