Lorsque j’étais DRH chez Unow, l’un des chantiers RH qui a été le plus impactant fut la mise en place d’une culture du feedback. Depuis la création de l’entreprise, nous étions une équipe qui se voulait bienveillante. Mais nous étions parfois trop gentils et consensuels face à des erreurs ou échecs, qu’ils soient individuels ou collectifs.
Autrement dit, on n’osait pas assez verbaliser ce qui n’allait pas. Et, en conséquence, on ne s’aidait pas à progresser les uns les autres. En somme, nous n’apprenions pas suffisamment de nos erreurs. Après cette prise de conscience, nous avons impulsé l’un de nos plus gros changements dans l’histoire de l’entreprise, grâce au feedback.
La base : définir son niveau d’exigence et de bienveillance
À l’origine, nous avions une volonté très forte de ne pas tomber dans le management descendant et trop direct. Et, surtout, de ne pas reproduire les erreurs managériales classiques qui mènent à des situations parfois toxiques. Alors nous avons mis le cap sur la « bienveillance ».
Hélas, nous l’avons mis si fort que nous osions peu faire remarquer aux salariés leurs erreurs ou leur manque de performance. Idem au sein du comité de direction. Ce qui pouvait conforter un manque de courage managérial à dire des choses qui peuvent être difficiles à entendre.
Après avoir rencontré des experts du feedback comme Stéphane Moriou et après avoir lu Radical Candor, nous avons réalisé que :
- Notre rapport à la bienveillance était très mal défini
Être bienveillant signifie aussi aider l’autre à prendre conscience de ses erreurs et à progresser. Même si cela implique d’avoir des conversations difficiles.
- Notre rapport à l’exigence était quasi inexistant
Chacun avait sa propre vision de l’exigence, et il était difficile de s’accorder sur ce qu’on attendait réellement des équipes en termes de comportements, de résultats et de performance.
- La bienveillance et l’exigence peuvent en réalité s’articuler en très bonne harmonie
Alors nous avons décidé de définir notre rapport à la bienveillance et à l’exigence, dans le but de nous faire progresser les uns et les autres et de devenir meilleurs collectivement. Nous avons pour cela mis en place une culture du feedback.
La culture du feedback : par où commencer ?
Nous avons procédé en 3 étapes. Tout d’abord, nous avons établi notre propre définition du feedback chez Unow. Nous avons acté qu’il s’agissait nécessairement d’une « opportunité de progrès ». Tout ce qui ne permettrait pas de progresser — remerciement, compliment, refus, recadrage — ne serait pas considéré comme un feedback.
Nous avons ensuite catégorisé les feedbacks :
- le feedback positif (pour valoriser une réussite) ou constructif (pour aider à identifier un axe de progrès) ;
- le feedback vertical ou horizontal car, pour s’installer durablement dans l’organisation, celui-ci doit s’affranchir de toute hiérarchie.
Ensuite, nous avons listé les ingrédients d’un bon feedback selon nous. C’est-à-dire à la fois exigeant — on se dit clairement les choses — et bienveillant. Avec empathie donc, pour faire progresser la personne et certainement pas dans le but de la rabaisser. Par ailleurs, il doit se faire, dans la plupart des cas, à l’oral, car l’écrit prête trop à interprétation.
Puis nous avons défini la méthode pour faire et recevoir des feedbacks entre nous :
- faire un feedback nécessite de s’être préparé à l’avance, d’être factuel et direct, et de proposer quelque chose d’actionnable à la personne qui reçoit le feedback. Avec, idéalement, une proposition d’aide de la part de celui qui fait le feedback ;
- recevoir un feedback nécessite de se mettre dans une posture d’écoute, de ne pas essayer de se justifier à chaud et, si besoin, de savoir demander des précisions pour bien comprendre le feedback.
Enfin, pour créer des habitudes quotidiennes (et en faire une culture durable), nous avons incité l’équipe à :
- demander des feedbacks à leurs pairs, aux autres équipes et à leurs managers ;
- faire des feedbacks positifs pour commencer ;
- s’autoriser ensuite à faire des feedbacks constructifs, y compris à son manager et à la direction.
Les apports d’une culture du feedback qui s’installe
Cette vision du feedback a vite encouragé l’équipe à se dire : « On appartient à un collectif où l’on accorde de l’importance et du temps au fait de se faire progresser les uns les autres, et cela passe par le feedback ».
C’était indispensable pour que les salariés s’autorisent à se dire les choses et prennent plus de temps pour valoriser les réussites. C’est comme cela qu’il a eu, naturellement, plus de reconnaissance entre les salariés. Mais aussi plus de discussions dont l’objectif était de se demander comment faire mieux à l’avenir, individuellement ou collectivement. Que l’on atteigne ou non nos objectifs, on part désormais du principe qu’il y a toujours des marges de manœuvre pour progresser.
Ensuite, le fait d’avoir défini ce qu’était le feedback et comment le faire et le recevoir a énormément aidé au passage à l’acte. Comme un process, on consulte la méthode pour l’appliquer à une situation donnée, ce qui facilite l’exercice. Et, dans le temps, cela a permis de diminuer la charge émotionnelle liée : la peur d’être jugé sur sa personne, la peur que son feedback soit mal interprété, etc.
J’ai aussi constaté des bénéfices sur plusieurs enjeux RH et managériaux de l’entreprise :
- l’état d’esprit a évolué en faveur du progrès (on s’aide à devenir meilleurs), c’était l’objectif d’intégrer cela à notre culture d’entreprise ;
- il y avait moins de tensions lors des entretiens annuels ou lors des départs (quand on se dit les choses au fil de l’eau, il y a moins de surprises lors d’un entretien ou d’un départ, même si la culture du feedback ne résout pas tout) ;
- les équipes se disaient plus épanouies, et fières d’être dans une organisation où l’on sait leur dire comment progresser tout en gardant un cadre bienveillant.
Sans oublier que, à force de communiquer en externe sur cette culture, cela en devenait un thème récurrent dans les entretiens de recrutement. La culture du feedback étant recherchée par beaucoup de candidats qui venaient nous voir.
Quelques points de vigilance à connaître avant de se lancer
Sans surprise, cela a été un chantier complexe et long. Le feedback tel que nous l’avons défini depuis n’était pas du tout ancré dans les habitudes et les comportements de l’équipe. À l’époque, recevoir un feedback pouvait être perçu à tort comme de la survalorisation. Pour faire plaisir ou tenter d’obtenir quelque chose en retour. Ou comme une manière indirecte et peu courageuse de faire des recadrages.
De même, le feedback touche à beaucoup de thèmes sensibles : l’émotionnel, l’ego, la confiance en soi et même l’estime de soi. Il a donc fallu plusieurs mois pour que l’acculturation au feedback commence à devenir satisfaisante dans l’entreprise. Et une bonne année pour qu’on puisse réellement dire qu’on avait développé une culture du feedback, c’est-à-dire ancrée dans le quotidien des équipes.
Pour cela, l’exemplarité de la direction a été clé, tant pour recevoir que pour faire des feedbacks.
Mais le travail ne faisait que commencer. Car les mauvaises habitudes ont la vie dure, et les tentations de déroger à nos nouvelles règles ont été nombreuses :
- pour les nouveaux arrivants qui n’ont pas toujours la culture du feedback que nous avons développée ;
- pour les managers qui prétextent parfois un feedback en lieu et place d’un vrai recadrage.
Lors des périodes plus difficiles — charge de travail trop élevée, retards sur les objectifs — où le temps nécessaire à préparer et faire des bons feedbacks peut être considéré comme moins prioritaire ou contreproductif.
Pour avoir une culture du feedback durable, il faut donc d’une part un soutien indéfectible de la direction et des managers, et d’autre part un travail quotidien côté RH pour sensibiliser, former et communiquer en lien avec nos valeurs sur le pourquoi et le comment de notre culture du feedback. Et, bien entendu, ne tolérer aucun écart aux règles mises en place.
Ainsi, le feedback peut être incarné par toutes et tous, et être réellement une opportunité de progrès.