Le 8 février, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité des dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de droits à congés payés en cas de maladie du salarié. Selon la décision rendue, les dispositions du droit français ne vont pas à l’encontre des principes constitutionnels.
En revanche, elle ne règle pas l’insécurité juridique inhérente à l’application des arrêts rendus par la Cour de cassation en septembre dernier. Pour bien comprendre, nous avons sollicité l’éclairage de Me Benoît Cazin, avocat associé du cabinet Spring Legal.
Saisie du Conseil constitutionnel : le contexte
Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a rendu une série d’arrêts sur le sujet de l’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie. La juridiction ayant alors écarté les règles suivantes du Code du travail :
- l’absence d’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie de droit commun ;
- la limitation de l’acquisition des congés payés à la première année de l’arrêt de travail pour les salariés en AT/MP.
Et ce, pour leur non-conformité au droit européen et, en particulier, à une directive de 2003 imposant aux États membres de prévoir un minimum de 4 semaines de congé annuel pour tous les salariés, qu’ils soient ou non en arrêt de travail.
Ce qui, actuellement, n’est pas le cas puisque la législation française ne permet pas aux salariés arrêtés pour une maladie d’origine non professionnelle d’acquérir des jours de congés payés pendant leur absence. Tout comme elle limite, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’acquisition des congés payés à la première année de l’arrêt de travail. Cette législation a donc, dans certaines situations, pour effet de réduire à moins de 4 semaines par an le droit à congés.
La Cour de cassation a ainsi posé, en septembre dernier, le principe d’une acquisition illimitée et de plein droit aux congés payés pendant les arrêts de travail pour maladie et quelle qu’en soit la cause.
Depuis ces arrêts du 13 septembre 2023, nombreux sont les salariés qui réclament une indemnisation au titre des congés payés qu’ils n’ont pas pu acquérir pendant leurs arrêts de travail. Or, les employeurs sont confrontés à des incertitudes pour procéder aux régularisations concernant les arrêts maladie passés : combien de semaines de congés payés accorder aux salariés ayant été en arrêt maladie ? jusqu’à quand remonter en arrière ?
En principe, la prescription est de 3 ans. Ce délai ne commence toutefois à courir qu’à partir du moment où l’employeur informe le salarié de son droit à congés payés et qu’il le met en mesure de l’exercer. Or, dans la mesure où les salariés en arrêt maladie ne continuaient pas d’acquérir des congés payés pendant leurs absences, ils n’ont pas été informés, et pour cause, de la possibilité de prendre ces fameux congés.
Des Cours d’appel condamnent désormais, en reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation, des employeurs à indemniser des salariés au titre de périodes d’absence très lointaines.
C’est dans ce contexte qu’en novembre dernier, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) l’invitant à se prononcer sur la conformité à la Constitution du 5° de l’article L.3141-5 du Code du travail.
Décryptage de la décision du 8 février 2024
La décision du Conseil constitutionnel rendue le 8 février indique que les dispositions contestées sont conformes à la Constitution.
Selon le juge constitutionnel, le droit au repos est correctement protégé par le Code du travail dans la mesure où le législateur peut
(…) assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non professionnelle.
De même, le Conseil considère que le droit du travail français n’enfreint pas le principe d’égalité puisque la différence de traitement peut résulter de la différence objective de situation. C’est-à-dire avec des dispositifs différents selon l’origine, professionnelle (AT/MP) ou non, de l’arrêt de travail.
Impact de la décision sur la question des congés payés en arrêt maladie
À ce jour, la décision des Sages ne change rien : si les dispositions sont conformes à la Constitution, elles restent contraires au droit de l’Union européenne. Le juge prud’homal peut continuer à les écarter sur ce fondement dans les litiges portés par les salariés. Les incertitudes restent les mêmes pour les employeurs.
C’est la raison pour laquelle peu après sa prise de fonction, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, a déclaré que le Gouvernement entendait adapter le droit français au droit européen sur ces questions. La décision rendue la semaine dernière était donc très attendue par le Gouvernement pour connaître ses marges de manœuvre.
Le représentant du Premier ministre a d’ailleurs affirmé lors de son audition par les Sages qu’il envisageait de :
- plafonner l’acquisition à 4 semaines de congés pouvant être acquis lors des arrêt de travail pour maladie non professionnelle (alors que les salariés victimes d’un AT/MP acquièrent 5 semaines, ce qui ne serait pas contraire au principe d’égalité) ;
- limiter à 15 mois le report des congés payés acquis par les salariés en arrêt maladie.
Si la décision du Conseil constitutionnel ne change rien pour le moment, il est probable qu’elle accélère cette double intervention législative.