Que faire pour les salariés en arrêt maladie qui n’ont pas pu prendre leurs congés payés acquis alors qu’une nouvelle décision de justice a statué en faveur du droit aux congés pour les salariés en arrêt maladie ?
Un sujet qui devient un véritable casse-tête pour les employeurs. Et qui pose davantage problème dans les petites entreprises qui seront potentiellement confrontées à des demandes de congés ou d’indemnité importantes, en plus des difficultés organisationnelles auxquelles elles devaient faire face, sans parler de la montée de l’absentéisme en France (comme l’indiquait un récent baromètre ayming et AG2R LA MONDIALE).
Où en est le droit à ce sujet ?
myRHline a interviewé Myrtille Lapuelle, avocate en droit social au sein du cabinet Coblence avocats, afin de nous apporter un éclairage juridique.
Congés payés en arrêt maladie : quand le droit européen fait barrage au droit français
En France, acquérir des congés payés implique la notion de travail effectif, soit la durée de travail durant laquelle le collaborateur est à la disposition de l’employeur, se conformant ainsi à ses directives sans possibilité de vaquer librement à ses occupations privées. Autrement dit, en cas d’arrêt maladie, puisqu’il n’y a pas de travail effectif, il n’y a pas non plus de congés payés.
Néanmoins, la position du droit européen sur la question est différente. À l’échelle européenne, il y a un droit fondamental d’acquisition des congés payés même en arrêt maladie, dans une logique de repos — et non d’indemnisation. Et ce, même en l’absence de travail dit effectif.
Depuis le 4 novembre 2003 déjà, une directive européenne prévoit ce droit aux congés payés indépendamment des arrêts maladie. Mais puisque cette directive n’a pas d’implications directes, et devant la contradiction entre cette directive et le droit national français, les juges ont préféré appliquer le droit français. Autrement dit, il était jusqu’à ce jour impossible pour les salariés arrêtés d’obtenir des congés payés (bien que, dans le cas de la maladie dite professionnelle, le droit français prévoyait déjà de bénéficier de congés rémunérés sur une année).
Le 1er décembre 2009, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoyait également le fait que tout travailleur « a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période de congés payés ».
Cette charte est d’application directe. Donc, en cas de contradiction entre le droit national et la charte, le juge est censé appliquer la charte.
En 2018, la Cour de l’UE a jugé que l’articulation de ces deux textes européens cumulés impliquait l’obligation des États membres d’appliquer le principe d’un droit aux congés sans travail effectif.
Ainsi, « l’État français aurait dû se mettre en conformité depuis 2009 », précise notre interviewée. Donc depuis une quinzaine d’années. « Et a fortiori, depuis 2018, quand la décision de la Cour de l’UE l’a clairement précisé. Sans parler des nombreux commentaires de la Cour de cassation, sur le fait que le droit français était non conforme ».
Retour sur la décision du 13 septembre 2023
Le 13 septembre dernier, en 2023, la Cour de cassation a appliqué ces principes en invoquant ces deux textes européens susmentionnés, impliquant une application directe : en France, les salariés doivent donc acquérir des congés payés, quand bien même ils sont en arrêt maladie, qu’il s’agisse ou non de maladie professionnelle.
Jusqu’à présent, en vertu de la loi, il n’était pas possible d’acquérir des jours de congés payés durant un arrêt de travail. Cette disposition du Code du travail a été jugée contraire au droit de l’Union européenne par la Cour de cassation. Elle se base sur l’article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et sur l’article 7 de la Directive 2003/88.
Mais l’on peut aisément imaginer les conséquences sur les salariés et les entreprises, comme en témoigne Myrtille Lapuelle.
Évidemment, cette décision a fait beaucoup de bruit. Car, sauf exception, les congés payés des salariés concernés par des arrêts maladie n’ont pas été payés, ni même évidemment provisionnés. Le coût de cette décision d’application directe a été chiffré à 2 milliards d’euros par le Medef. De nombreux employeurs nous ont sollicités, parce qu’ils ne savent pas comment réagir face à cette petite révolution (…).
Droit aux congés payés en arrêt maladie : un casse-tête législatif ?
Si cette décision du 13 septembre dernier implique l’application effective du droit à l’acquisition de congés en arrêt maladie, que fait-on pour les salariés qui, ayant été en arrêt maladie dans le passé, auraient pu bénéficier de ces congés payés ? À partir de combien de temps faut-il « remonter » ? La question est un véritable casse-tête :
En matière de prescription des salaires, nous sommes sur 3 années. Mais à compter de quand faut-il commencer à couvrir, sachant que normalement, une information doit être donnée ? Pour le futur, les entreprises vont désormais prendre en compte les congés payés acquis en période de maladie. Mais que faire pour les salariés qui sont en maladie depuis de nombreuses années (…) Est-ce que l’on remonte 3 ans en arrière à partir de maintenant ? On considère qu’il faut remonter à partir du moment où cette obligation aurait dû être appliquée en France, c’est-à-dire en 2009. (…)
Le législateur a été très fortement invité à agir notamment dans un arrêt rendu le 9 novembre 2023 par la Cour de justice de l’Union européenne.
En France, on sait désormais que lorsque l’on n’a pas pris ses congés sur la période de référence d’un an, ces derniers sont perdus, bien que ces derniers soient, dans la pratique courante des entreprises, reportés. Ici, la question se pose plus précisément sur les personnes en arrêt maladie.
On l’a vu, la décision de la Cour de justice de l’UE souligne que le principe de droit aux congés est fondamental, travail effectif ou non. Mais elle nous explique aussi qu’en matière de conditions d’exercice de ce droit, c’est aux États membres de préciser leur mise en œuvre. Le Conseil des prud’hommes d’Agen a demandé à la CJUE s’il était possible de reporter les jours de congés pendant 15 mois (période déjà envisagée dans la décision du 13 septembre susmentionnée), et pendant combien de temps l’on pouvait reporter, sachant que le droit français ne précise pas de date de report. Ce à quoi la CJUE a répondu que c’était au droit national de fixer une date limite de report.
La décision du 13 septembre, s’appuyant sur un principe de proportionnalité, souligne effectivement un droit fondamental aux congés, parce que c’est une question de repos. Mais dans le même temps, si l’on reporte indéfiniment, la notion du congé lié au repos n’est plus effective : « Les congés auront tellement été reportés, que la notion de repos n’aura plus de sens ».
La Cour de cassation dit qu’à partir d’aujourd’hui, les salariés acquièrent des congés pendant leurs arrêts maladie, qu’ils soient professionnels ou non. Il y a donc un coût direct pour le futur, mais on ne sait pas encore sur quelle période ils doivent être calculés et pendant combien de temps les salariés pourront les reporter. Globalement, la position des entreprises qui ne peuvent pas calculer leurs risques consiste à ne pas créditer les compteurs pour le passé. Sur la question de la prescription et du report, on attend la réaction du législateur.
La Cour de justice de l’UE rappelle également que le report des congés ne doit pas être illimité. Il faut que la notion de repos soit encore effective et ait encore un sens.
Par ailleurs vient l’intérêt de protéger l’employeur qui risque un cumul trop important des périodes d’absences des travailleurs, avec les difficultés que cela implique pour l’entreprise (principe déjà évoqué dans une décision rendue en 2011).
« Il y avait donc déjà une notion de balance entre la nécessité d’assurer le repos des personnes en arrêt maladie, et de l’autre, le fait que cela ne peut être sur une période illimitée, car le principe même du repos perd son sens. La CJUE précise que les conditions et modalités d’exécution sont aujourd’hui aux mains des États membres », explique Myrtille Lapuelle.
Les inquiétudes des entreprises exacerbées par la hausse des arrêts maladie
Quoiqu’il en soit, les petites entreprises, notamment de la restauration, vont être particulièrement impactées par les conséquences de cette décision, bien que la question du report ne soit pas résolue. Les PME de commerce et les entreprises de restauration n’ayant que 2 ou 3 salariés seront susceptibles d’avoir à régler des sommes colossales. Elles se retrouveront bien plus en difficulté que les grands groupes qui peuvent encore les absorber.
Nous n’aurons pas toutes les réponses tout de suite. Les juridictions vont sans doute faire obstruction. Mais il est évident que certaines entreprises en pâtiront, à plus forte raison dans un contexte de recrudescence des arrêts maladie après la Covid-19.
En effet, de récentes études l’ont prouvé : les arrêts maladie sont en hausse. Une récente analyse de myRHline menée sur la base des résultats du Baromètre de l’Absentéisme® et de l’Engagement ayming & AG2R LA MONDIALE (2023) fait apparaître deux éléments :
- Le taux d’absentéisme a progressé de 1,6 point en l’espace de 5 ans ;
- Les collaborateurs sont désormais absents plus longtemps (en moyenne, près d’une semaine de plus qu’en 2018).
Naturellement, la Covid-19 étant passée par là, près d’un salarié sur 2 déclarait s’être absenté en 2022 pour un arrêt maladie lié à la pandémie, qui impacte encore les entreprises.
- Pour en savoir plus, consultez l’intégralité des résultats du Baromètre de l’Absentéisme® et de l’Engagement ayming & AG2R LA MONDIALE (2023).
En outre, n’oublions pas que les congés payés peuvent être d’autant plus importants pour les salariés en arrêt maladie à l’heure des conséquences de l’inflation, se faisant ressentir sur le pouvoir d’achat et la santé financière des collaborateurs. Santé financière qui, rappelons-le, fait partie intégrante des enjeux QVCT à l’œuvre dans les entreprises.
Les entreprises prennent leurs dispositions
Pour en revenir aux récentes décisions susceptibles d’impacter la santé même des entreprises, la prochaine étape consiste à se préparer à leur mise en conformité, dans la mesure où elles le peuvent.
Myrtille Lapuelle nous explique :
La plupart des entreprises concernées commencent à incrémenter les compteurs des congés payés pendant les arrêts maladie. La plupart d’entre elles sont beaucoup plus précautionneuses sur la nécessité d’intégrer les congés remontant aux années précédentes. Et bien que la question du report reste en suspens, elle inquiète beaucoup d’entreprises, notamment dans l’hôtellerie ou la restauration.
En résumé, la récente décision de la Cour de cassation en faveur du droit européen a modifié la donne concernant l’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie en France. Bien que cette décision ouvre la voie à de nouveaux droits pour les salariés, elle crée des défis majeurs pour les entreprises, notamment en termes financiers. Deux approches possibles émergent pour remédier à cette complexité : définir une période de report raisonnable des congés non pris ou établir des limites claires pour éviter un report indéfini. Cependant, des incertitudes persistent quant à la rétroactivité de la décision et à la gestion des congés accumulés. Les entreprises commencent aujourd’hui à s’adapter à cette nouvelle réalité, au regard de la hausse croissante de l’absentéisme lié aux arrêts maladie.