Dans ce premier rendez-vous de Bibliothèque RH, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Frédéric Ivernel, auteur du livre Réussir vos premiers pas en entreprise, 100 jours clés.
Pourquoi les jeunes talents se désengagent-ils si rapidement ? Comment réconcilier attentes individuelles et collectif en entreprise ? Quelles stratégies mettre en place pour attirer, fidéliser et faire grandir les collaborateurs dans un environnement mouvant ? Lors de cet échange, Frédéric nous a partagé sa vision sur l’évolution des carrières, la transformation des attentes des jeunes générations et les nouveaux défis pour les entreprises.
Pourquoi écrire ce guide sur la mécanique de la vie en entreprise, avec comme fil rouge la compréhension comme clé pour mieux piloter sa carrière ?
J’ai souhaité écrire ce guide parce que la vie en entreprise et le parcours professionnel sont des sujets essentiels qui nous concernent tous. Pour bien poser le contexte, il y a quelques chiffres marquants à garder en tête. Nous passons environ 60 % de notre temps éveillé à travailler. Si l’on exclut le temps de transport et les moments de repas, ce chiffre monte à 80 %.
Un autre élément frappant, c’est que 90 % des salariés français se déclarent désengagés. Cela ne signifie pas qu’ils ne remplissent pas leurs missions ou qu’ils ne répondent pas aux exigences de leur poste. Mais cela traduit un rapport distendu à l’entreprise, une relation presque distante, comme s’ils « flirtaient » avec leur employeur sans s’investir pleinement.
Enfin, dernier chiffre clé : 50 % des salariés se disent stressés au travail. Cela signifie qu’un collaborateur sur deux commence sa journée avec une certaine appréhension.
Face à ce constat, il est évident que quelque chose ne fonctionne pas dans nos entreprises. Aucun DRH ne recrute en espérant embaucher un salarié désengagé ou créer un environnement stressant. Pourtant, cela arrive. Il y a donc un décalage entre ce que les entreprises offrent et ce dont les collaborateurs ont besoin pour s’épanouir.
Mon expérience, en contact direct avec les jeunes générations, m’a aussi conduit à cette réflexion. Il existe une incompréhension mutuelle entre les entreprises et les nouveaux talents. Ce livre n’a pas pour vocation de dire aux jeunes comment se comporter, mais plutôt d’aider les entreprises à mieux comprendre ces talents et à les accompagner différemment.
L’un des objectifs était aussi d’offrir un regard plus éclairé aux jeunes qui entrent sur le marché du travail. Car les quelques stages ou périodes d’alternance qu’ils effectuent ne suffisent pas à leur donner une vision réaliste du fonctionnement d’une entreprise à long terme.
Comment s’intégrer dans une organisation et construire son projet professionnel ? Comment est-on évalué et comment peut-on en tirer profit ? Ce sont des questions essentielles qui m’ont animé dans l’écriture de ce livre.
Avec près de 35 ans d’expérience professionnelle, je me rends compte que j’aurais aimé, à mes débuts, qu’on me donne des clés de compréhension plus claires sur ce que l’on attendait de moi. Cela m’aurait permis d’éviter certaines erreurs, et d’aborder mon parcours avec plus de sérénité.
Parce que réussir en entreprise, ce n’est pas simplement bien travailler. C’est avant tout s’épanouir, s’accomplir et prendre du plaisir dans ce que l’on fait. C’est cette conviction qui m’a poussé à écrire ce livre.
Ce livre s’adresse aussi bien aux jeunes diplômés qu’aux professionnels plus expérimentés. Selon vous, quels sont les points communs et les différences — et donc les éventuels points de friction — entre ces deux populations dans leur approche du monde du travail ?
C’est une question qui pourrait faire l’objet de longues analyses sociologiques, mais je vais essayer d’être synthétique. En observant les jeunes générations, que je côtoie à travers mes cours et mes échanges avec des managers, j’ai identifié quatre grandes caractéristiques qui définissent leur rapport au travail.
- Une soif d’horizontalité
C’est probablement l’une des premières générations à en savoir plus que leurs parents sur certains sujets, notamment technologiques. C’est aussi la première à noter ses enseignants. Ce qui traduit une remise en question naturelle de l’autorité. En entreprise, cela se traduit par une attente forte envers leur hiérarchie : un manager doit leur apporter quelque chose. Qu’il s’agisse de coaching, d’apprentissage ou d’insuffler de la satisfaction dans le travail. La simple position hiérarchique ne suffit pas à justifier son autorité.
- Une urgence à vivre pleinement
Cette génération est confrontée à des enjeux majeurs, comme les crises climatiques ou géopolitiques. Ceux-ci leur rappellent la fragilité du monde. Cela se traduit en entreprise par une forte impatience : ils veulent tout, tout de suite. Un bon salaire, du plaisir immédiat, la concrétisation rapide de leurs ambitions.
- Une quête de sens et d’impact
Le travail ne peut plus se résumer à une fonction économique ; il doit porter des valeurs. Ces jeunes veulent évoluer dans une entreprise qui a un impact sociétal et dont les valeurs leur correspondent. Ils souhaitent aussi comprendre leur rôle dans l’organisation et l’utilité de leurs missions.
- Un besoin de liberté organisationnelle
Le schéma classique du travail de 9 h à 18 h est remis en cause. Ils veulent pouvoir adapter leur emploi du temps à leur rythme de vie : s’ils sont fatigués un lundi après une sortie dominicale, ils aimeraient pouvoir travailler un samedi à la place. L’important pour eux, c’est d’avoir la main sur l’organisation de leur temps.
Si l’on compare avec la génération X, qui représente aujourd’hui une grande partie des managers intermédiaires, leurs repères sont très différents :
- Ils ont grandi avec l’idée que la réussite professionnelle passait par des efforts intenses : longues heures de travail, hyperconnexion, implication totale.
- Ils ont été élevés dans l’idée que l’expérience et l’ancienneté sont les clés de la réussite. On gravit les échelons progressivement, en acceptant d’attendre son tour.
- Le travail est avant tout un moyen de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. La notion d’engagement collaborateur était moins centrale dans leur approche.
- Les codes et les règles de l’entreprise sont suivis sans discussion. Ce qui est demandé par le collectif doit être appliqué.
C’est ici que naît un certain défi intergénérationnel. Les jeunes veulent une approche plus libre et engagée du travail, tandis que leurs managers, qui ont dû faire leurs preuves à force de patience et d’efforts, peinent parfois à comprendre cette nouvelle dynamique.
Selon moi, les entreprises doivent agir sur deux fronts pour surmonter ces différences :
- Former les jeunes managers pour leur apprendre la bienveillance, le respect et la tolérance dans l’accompagnement de cette nouvelle génération.
- Sensibiliser les jeunes talents à l’importance de la patience et de l’apprentissage progressif, en leur montrant que l’histoire et l’expérience des plus anciens sont précieuses.
L’avenir d’une entreprise ne peut pas se construire en reniant son passé. L’enjeu est donc de créer des ponts entre ces générations pour qu’elles s’enrichissent mutuellement et avancent ensemble.
Dans votre livre, vous traitez les clés de l’intégration, aussi bien pour les nouvelles recrues que pour les managers qui accueillent de nouveaux talents. En quoi cette lecture permet de mieux appréhender les attentes, de part et d’autre, en matière d’onboarding ?
L’une des premières questions à se poser lorsqu’on parle d’intégration en entreprise, c’est celle des ruptures de contrats en période d’essai. 20 % des nouvelles recrues quittent l’entreprise dans les trois mois, nous le savons. Mais en réalité, ces ruptures sont aussi bien initiées par l’employeur que par le salarié, et souvent, elles résultent d’un décalage entre les attentes créées pendant le parcours candidat et la réalité.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises travaillent leur marque employeur, mettant en avant des valeurs fortes pour attirer les candidats. Mais si, une fois en poste, ces valeurs ne sont pas incarnées au quotidien, la déception est immédiate. Lorsqu’un jeune talent découvre un écart trop grand entre le discours affiché et la réalité du travail, il a le sentiment d’avoir été trompé – et il part. Contrairement aux générations précédentes, qui acceptaient parfois des situations en serrant les dents, ces nouvelles recrues n’hésitent pas à quitter rapidement une entreprise qui ne correspond pas à leurs attentes.
La transparence dans le processus de recrutement est donc essentielle. Il ne sert à rien d’idéaliser la culture d’entreprise si les pratiques internes ne suivent pas. Mieux vaut exposer avec honnêteté les réalités du poste et du cadre de travail pour éviter ces désillusions.
Un autre point fondamental concerne les préjugés sur la jeune génération. On l’a souvent décrite comme zappeuse, désengagée, en quête exclusive d’un équilibre entre vie pro et vie perso. Mais en réalité, c’est une génération très engagée. La vraie différence avec les générations précédentes, c’est la durée de l’engagement.
Là où les salariés d’aujourd’hui âgés de 50 ans ont souvent suivi des carrières longues et linéaires, les jeunes actifs actuels remettent en question leur trajectoire tous les 3 à 5 ans. Ils s’autorisent des choix que leurs aînés n’auraient jamais envisagés : longues pauses pour voyager, reconversions professionnelles dès 27 ou 28 ans, explorations de nouvelles voies.
Les entreprises doivent intégrer ce paramètre dans leur fonctionnement. Oui, ces jeunes talents resteront peut-être moins longtemps, mais pendant leur présence, ils seront extrêmement investis. Ils apportent une énergie nouvelle, un regard différent, une capacité à bousculer des écosystèmes figés depuis des années.
En somme, deux points sont essentiels pour bien gérer l’onboarding des nouvelles générations :
- La sincérité dès le recrutement : ne pas survendre une culture d’entreprise qui ne correspond pas à la réalité.
- L’acceptation d’un engagement intense mais potentiellement plus court : les entreprises doivent cesser d’attendre un modèle de fidélité qui n’existe plus et valoriser ce que ces jeunes apportent sur une période plus réduite.
Enfin, il est frappant de constater que les écoles qui forment ces nouvelles générations sont restées les mêmes que celles de nos parents, alors que le monde a profondément changé. Les entreprises ont aujourd’hui un rôle clé à jouer dans cette transformation, en repensant l’intégration et l’accompagnement des talents pour mieux répondre aux évolutions du travail et aux aspirations des nouvelles générations.
Comment l’entreprise peut-elle accompagner les collaborateurs pour qu’ils trouvent le bon équilibre entre adaptation dans un environnement collectif et affirmation de soi ?
L’une des clés pour trouver l’équilibre entre adaptation à un environnement collectif et affirmation de soi, c’est de privilégier le succès collectif sur la réussite individuelle.
Deux principes ont guidé ma vie professionnelle et que je m’efforce de transmettre :
- Seul, on n’arrive à rien – la réussite est toujours le fruit d’un travail d’équipe.
- Le respect prime sur la performance – car sans respect, il ne peut y avoir de réussite durable.
Cela ne signifie pas qu’il faut évoluer dans une culture où tout le monde se félicite sans exigence. Mais une entreprise qui valorise ces principes crée un cadre où chacun peut s’épanouir individuellement tout en contribuant au collectif.
Pour accompagner les collaborateurs dans cette démarche, les entreprises doivent mettre davantage l’accent sur les soft skills. Aujourd’hui, les compétences techniques deviennent obsolètes en 24 à 28 mois. Tandis que des qualités comme la coopération, l’intelligence relationnelle ou l’adaptabilité restent essentielles tout au long d’une carrière.
En intégrant ces valeurs au quotidien – entraide, compréhension mutuelle, respect – les organisations permettent à leurs talents de s’épanouir professionnellement sans renier leur intégrité.
Les carrières linéaires sont de moins en moins la norme. Quels leviers les RH et managers peuvent-ils activer pour fidéliser les talents tout en leur permettant de rester employables sur le long terme ?
Aujourd’hui, les carrières linéaires ne sont plus la norme, et vouloir fidéliser à tout prix les talents en les « vissant » à leur poste n’a plus de sens. L’un des leviers les plus puissants pour les RH et les managers est justement d’accepter le départ des talents.
Accepter qu’un collaborateur parte, c’est aussi ouvrir la porte à son retour, avec une expérience enrichie, de nouvelles compétences et une vision renouvelée. La fidélisation ne doit plus être synonyme de rétention forcée, mais d’une relation où chacun peut s’épanouir, y compris en explorant d’autres horizons.
Cela ne signifie pas que l’entreprise ne doit pas agir pour maintenir l’engagement. Il existe plusieurs leviers pour accompagner cette nouvelle dynamique :
- favoriser l’employabilité et l’apprentissage personnel ;
- reconnaître la valeur des collaborateurs ;
- accepter le départ comme une opportunité d’enrichissement mutuel, dans l’éventualité d’un retour.
Ce changement de paradigme permet d’instaurer une relation plus fluide et dynamique entre les talents et l’entreprise, où chacun trouve son équilibre entre évolution individuelle et engagement collectif.
- Réussir vos premiers pas en entreprise – 100 jours clés, Éditions Ellipses