L’épuisement professionnel, un enjeu majeur pour les RH, vient d’être reconnu sur le plan juridique.
Le 28 mai 2024, le Conseil d’État a validé la légitimité de l’arrêt de travail pour burn-out, protégeant ainsi médecins et salariés.
Cette décision impose aux employeurs de repenser leurs pratiques. Quelles seront les conséquences concrètes pour la gestion des ressources humaines et la prévention des risques au travail ? Décryptage.
Épuisement professionnel : définition
Rappelons rapidement ce qu’est l’épuisement professionnel, car bien le comprendre permet de mieux anticiper les arrêts de travail qui en découlent.
Qu’est-ce que l’épuisement professionnel ?
L’épuisement professionnel, ou burn-out, est un état de fatigue physique, émotionnelle et mentale intense, causé par un stress chronique au travail. Il survient souvent lorsque les exigences professionnelles dépassent les ressources personnelles. L’épuisement professionnel mène à une perte de motivation, d’efficacité et un sentiment d’usure profonde.
Les symptômes de l’épuisement professionnel incluent une détérioration de la performance, des troubles du sommeil, de l’irritabilité. Parfois même des problèmes de santé physique et mentale plus graves, comme l’anxiété ou la dépression. |
Contrairement aux idées reçues, la charge de travail est loin d’être la seule cause du burn-out. Les facteurs suivants peuvent également jouer un rôle significatif :
- l’absence de reconnaissance et/ou un manque de soutien social ;
- un sentiment d’injustice dans l’environnement professionnel ;
- des attentes floues vis-à-vis de ses missions ;
- l’absence de relations entre collègues et/ou de mauvaises relations de travail ;
- un déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
De manière générale, l’épuisement professionnel est étroitement lié aux conditions de travail du salarié.
L’épuisement professionnel en chiffres
Les chiffres sur l’épuisement professionnel varient d’une étude à l’autre. Cependant, de manière générale, ils restent anormalement élevés et ne cessent de croître.
- 480 000 salariés français seraient en état de souffrance psychique au travail selon l’institut de veille sanitaire
- + de 2,5 millions selon une enquête de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), soit 34% des salariés français !
- 3,2 millions selon le Cabinet Technologia
Pourquoi est-ce si compliqué de mesurer l’épuisement professionnel ? Parce que, bien que l’absentéisme soit quantifiable, il est (quasiment) impossible de « décompter » parmi les collaborateurs qui viennent travailler malades, ceux souffrant d’épuisement.
Un rapport Datascope consacré à l’absentéisme révèle que 22 % des arrêts de travail de longue durée sont désormais attribués à des facteurs psychologiques, principalement liés à l’épuisement professionnel. |
Épuisement professionnel et arrêt de travail
Face à la montée des cas d’épuisement professionnel, il est essentiel de comprendre les implications légales des arrêts de travail pour burn-out et les récentes évolutions réglementaires. Et, bien entendu, ce qu’elles impliquent côté RH.
Arrêt de travail pour épuisement professionnel : que dit la loi ?
Un médecin peut prescrire un arrêt de travail pour burn-out à partir du moment où le retentissement sur la vie professionnelle et privée du salarié devient significatif.
Les conséquences de l’épuisement professionnel sont graves, entraînant un mal-être qui dépasse la souffrance au travail. Celui-ci peut par exemple mener à des addictions à l’alcool ou aux médicaments, affectant l’ensemble de la vie d’une personne. |
En somme, si la fatigue du salarié est telle qu’il oublie fréquemment des tâches importantes, qu’il risque de s’endormir au volant, et/ou qu’il est dans l’incapacité de prendre des décisions claires — ce qui pourrait nuire à sa sécurité — un arrêt peut être nécessaire.
La durée d’un arrêt pour épuisement professionnel varie de quelques semaines à plusieurs mois. En pratique, cela dépend de la gravité des symptômes et le temps de récupération nécessaire.
Si le médecin traitant ou psychiatre estime que l’arrêt initial n’a pas suffit pour que le patient puisse récupérer complètement, il peut renouveler l’arrêt de travail du salarié.
Lorsqu’un salarié est en arrêt de travail en raison d’un burn-out, la loi le protège contre tout licenciement abusif ou discriminatoire. Il est illégal de licencier un salarié en raison d’un arrêt maladie pour épuisement professionnel. En revanche, l’employeur a la possibilité de demander un avis médical complémentaire. |
Alors que certains médecins sont critiqués pour des arrêts de complaisance, d’autres hésitent à accorder un arrêt de travail même face à des cas avérés d’épuisement professionnel.
La réticence de certains médecins à prescrire des arrêts de travail pour burn-out entraîne des risques importants pour les salariés malades et pour l’entreprise. Cela peut se traduire par une baisse de productivité, un mal-être persistant et une dégradation de l’ambiance de travail. Avec, évidemment, un effet boule de neige sur l’ensemble de l’équipe.
Le Conseil d’État a bien compris ces enjeux, d’où sa récente décision.
Burn-out et Conseil d’Etat : ce qui change depuis le 28 mai
La récente décision du Conseil d’État marque un tournant dans la prise en charge du de l’épuisement professionnel. En effet, par la décision du 28 mai 2024, le Conseil d’État a affirmé qu’un médecin peut prescrire un arrêt de travail pour épuisement professionnel (burn-out), sans risque de représailles de la part de l’employeur ni de sanctions disciplinaires.
Le Conseil d’État a clairement pris position en ces termes :
La seule circonstance qu’un médecin ait fait état de ce qu’elle avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l’article R4127–28 du Code de la santé publique.
Cette décision a été prise en raison de la réticence de certains médecins à faire des arrêts de travail pour des salariés touchés par l’épuisement professionnel. La raison de leur réticence ? La crainte de poursuites de la part de l’employeur du salarié arrêté, ou d’une procédure disciplinaire devant l’Ordre des médecins. Autrement dit, la peur que les arrêts de travail pour cause d’épuisement professionnel soient perçus comme des arrêts de complaisance.
Pour rappel, un arrêt de complaisance est un certificat médical délivré sans être réellement justifié, pour faire « plaisir » au salarié concerné. Cette pratique est évidemment illégale (cf. Code de la santé publique – article R4127–28). |
La décision du Conseil d’État du 28 mai 2024 marque ainsi un tournant dans la prise en charge du burn-out. Mais que signifie-t-elle concrètement pour les employeurs et les services RH ?
Lutter contre l’épuisement professionnel : une mission des RH
Vous l’aurez compris, la récente décision du Conseil d’État offre aux médecins la liberté de diagnostiquer l’épuisement professionnel. Souvent liée à la qualité de vie et aux conditions de travail (QVCT), il s’agit d’une pathologie que les médecins doivent pouvoir reconnaître et prendre en charge. Ceci sans craindre d’être accusés de complaisance.
La position du Conseil d’État confirme la gravité de l’épuisement professionnel, menant parfois au suicide des salariés concernés. Les RH devront être encore plus vigilants sur la prévention du burn-out. Cette validation juridique accroît la pression sur les entreprises pour respecter leurs obligations en matière de santé et sécurité au travail, notamment en ce qui concerne la gestion des risques psychosociaux (RPS).
Les manquements pourraient entraîner des actions en justice de la part des collaborateurs.
En tant que responsable RH, il est essentiel de soutenir cette démarche, car elle favorise un environnement de travail sain. Encouragez les salariés en difficulté à discuter avec leur médecin, afin de garantir une juste évaluation de leur état de santé. |
Avec cette décision, l’on pourrait observer une hausse du nombre d’arrêts de travail pour épuisement professionnel, obligeant les RH à mieux anticiper et gérer ces absences. Par le biais de politiques de gestion de la charge de travail, de remplacement temporaire ou de réorganisation, par exemple.
Les entreprises devront sûrement renforcer davantage leurs programmes de bien-être au travail, avec :
- des dispositifs de soutien psychologique ;
- des formations pour les managers sur la gestion du stress des équipes ;
- la mise en place de mécanismes de détection précoce des signes d’épuisement.
Le fait que l’épuisement professionnel soit désormais mieux reconnu juridiquement risque de renforcer encore davantage la vigilance des salariés et des candidats quant à la politique de bien-être au travail d’une entreprise. Les RH auront donc la responsabilité accrue de construire une marque employeur forte, où la gestion des risques psychosociaux est une priorité, pour attirer et retenir les talents !
Sources documentaires :