Vous l’avez loupé sur LinkedIn ?
Jérôme Friteau est DRH de l’Assurance Retraite Caisse Nationale. Dirigeant expérimenté en protection sociale ayant débuté sa carrière comme juriste, il s’est ensuite spécialisé en ressources humaines. Pour myRHline, il revient sur son parcours et sa vision des défis RH.
Nous avons passé plus de 20 minutes avec Jérôme Friteau pour comprendre qui il est.
Si plus de 14 740 abonnés suivent Jérôme Friteau sur LinkedIn, ce n’est peut-être pas par hasard.
Jérôme, quel est ton parcours ? 🎓💼
Ayant suivi des études de droit, j’ai commencé à travailler comme juriste. Et après avoir rapidement évolué dans le monde de la protection sociale en tant que chargé de projets juridiques, j’ai entamé ma première expérience managériale. J’ai passé le concours En3s, école de formation des cadres dirigeants de la protection sociale. Cela m’a amené à accéder à des postes de direction au sein de différents organismes. Donc je me qualifierais avant tout de manager parce que très vite, après ce concours, j’ai eu des responsabilités managériales auprès de plusieurs centaines de personnes, dont 200 en sortie d’école dans l’assurance maladie, puis 400 à la Cnav, aujourd’hui appelée Assurance Retraite Caisse Nationale.
J’ai commencé à toucher du doigt évidemment des sujets RH à travers le management. On touche au recrutement, on touche à la formation, on touche à la gestion des situations individuelles. J’ai eu l’opportunité de présider un CHSCT et une délégation de personnel dans le 93, par délégation du DRH, à l’époque où j’étais encore manager des agences retraite de Paris et de Seine-Saint-Denis à la Cnav, jusqu’à ce que je sois nommé DRH de la Cnav. Nous étions en 2014.
Qu’est-ce que tu apportes à la fonction RH ? 👊
Depuis que je travaille sur ces fonctions-là, j’essaie de rompre avec une tradition bien ancrée dans nos écosystèmes, avec une fonction RH historiquement très administrative, juridique, la gestion des obligations réglementaires et des conflits.
C’est d’ailleurs en 2014 que nous avons conclu notre premier accord sur le télétravail. En 2015, nous avons commencé à créer de la souplesse organisationnelle pour les managers. En 2018, on a travaillé sur nos horaires variables en créant plus de flexibilité horaire et une plus grande personnalisation, non seulement aux contraintes du service public, mais aussi aux attentes des salariés.
Depuis l’année dernière, nous avons expérimenté l’élargissement du forfait jour à l’ensemble des managers, notamment pour envoyer un signal symbolique de confiance et de responsabilisation. Nous avons également testé la semaine de 4 jours.
Concrètement, nous essayons de nous adapter au maximum aux attentes des salariés, qui s’expriment depuis longtemps, mais avec un écho particulier depuis la crise sanitaire. Et cela fait partie, selon moi, de l’enjeu principal d’écoute de la fonction RH de ces influences sociétales, de ces enjeux portés par les salariés, à l’heure où l’entreprise est de plus en plus concurrencée par l’entrepreneuriat.
Quels sont les grands défis RH ? 🦸🏻♂️🦸🦸🏾♀️
Selon moi, la fonction RH devrait pouvoir faire office de guide à la fonction managériale. Afin que les accords d’entreprise et les modèles organisationnels ne soient pas les seuls à changer : que le management du quotidien change. Il s’agit de faire en sorte que les collaborateurs trouvent une forme de liberté dans leurs actions au quotidien, puissent trouver un sens à leur travail, être en mesure de conjuguer plusieurs vies — et nous sommes dans une époque où les vies se compliquent, on peut avoir des situations de cumul d’activités ou de cumul avec un engagement associatif, la parentalité, le handicap, la maladie ou un accident de la vie, une situation de famille monoparentale, de salariés aidants, etc.
L’un des grands défis de la fonction RH ? Dépasser cet engagement que nous avons eu en matière d’adaptation des modes de travail. Aujourd’hui, il s’agit de s’intéresser aussi aux questions de conditions de travail et d’organisation du travail.
La prévention de l’usure et la capacité collective à construire de nouveaux modes d’organisation du travail passent par l’intensification du dialogue entre acteurs du travail et notre capacité collective à briser l’exclusivité du travail dans l’urgence en consacrant des temps réguliers de dialogue sur le travail, la charge de travail, les priorités, les modalités concrètes de réalisation des activités, et les impacts opérationnels des transformations, porteurs de sens au travail.
Je pense que les sujets liés aux RPS en entreprise et à la santé mentale vont être extrêmement prégnants sur les prochaines années, d’autant que l’on constate une fragilité sociétale, peut-être aussi marquée par une ambiance globale anxiogène, que ce soit sur le plan écologique, géopolitique, technologique, économique…
De notre côté, nous avons commencé à réinventer le fameux entretien annuel d’évaluation, aujourd’hui sacralisé une fois par an, pour un entretien moins vertical, plus ouvert au recueil de la parole du collaborateur pour une évaluation coconstruite, un allègement de la formalisation, un suivi des réalisations plus simple, dynamique et partagé, et une évaluation des compétences, dont les soft skills, autant que les objectifs chiffrés.
Je crois aussi que le développement des intelligences artificielles génératives va jouer un rôle dans les défis de transformation de l’entreprise.
Il s’agit aussi d’impliquer les collaborateurs dans l’aménagement des espaces de travail, de maintenir des moments forts, de lien social, de convivialité, qui demeurent extrêmement précieux dans un monde du travail hybride.
Font également partie des grands enjeux RH toutes les questions liées à la diversité et l’inclusion, dans une société parfois trop tournée vers la performance individuelle, vers le court terme. L’enjeu est d’avoir une fonction RH qui envoie le signal “chacun a sa place”, qu’il s’agisse des salariés en situation de handicap, des seniors, des minorités visibles ou invisibles, etc. D’avoir une entreprise qui se positionne comme un gardien du temple. On sent que les choses évoluent, mais il y a encore énormément de travail à mener. Il est temps de franchir une étape, de lutter contre les discriminations sous toutes ses formes. Et la fonction RH est aux premières loges, en matière de recrutement, mais aussi d’accès à la formation, de rémunération… Autant de sujets qui vont nécessairement être porteurs de sens dans une logique d’attractivité, de renforcement de la marque employeur.
Parfois, on considère que ces sujets n’ont pas leur place en entreprise. Je pense le contraire : il faut lever les tabous, débattre de ces sujets, même si cela peut être un peu douloureux au départ, quand on “lève le couvercle”. Et cela mobilise forcément le dialogue social.
Enfin, j’aimerais que l’on reconsidère la notion de performance en 2024, laquelle devra nécessairement être plus durable, mais aussi de performance sociale, en se basant sur des indicateurs composites (taux de turn-over, absentéisme, niveau d’emploi, dialogue social, capacité à recruter des jeunes, à fidéliser les seniors, à se conformer aux taux d’emploi de personnes en situation de handicap, etc.) afin de compléter les ressentis avec des éléments factuels.
Le secret de ta visibilité sur LinkedIn ? 🧙♂️🪄
Selon moi, le terme d’influence est un peu galvaudé, parce que lorsque l’on parle d’influenceurs, on pense tout de suite à Instagram, TikTok, ou YouTube… ce sont souvent des personnes qui ont des choses à vendre, des champions du marketing avant tout, plutôt que des influenceurs au sens premier du terme, qui ont un pouvoir d’influence sur l’opinion publique ou des décideurs.
J’aime utiliser le réseau LinkedIn, car j’ai à cœur d’y partager mon expérience. D’autant plus qu’aujourd’hui, les DRH sont souvent des femmes et des hommes de l’ombre qui partagent peu la leur.
C’est d’ailleurs pour cela que c’est un métier très méconnu du grand public, y compris des personnes qui ont des choses à vendre et qui n’ont pas cerné exactement le rôle de la fonction RH. Donc il me semble que partager ces retours d’expérience, c’est la rendre visible d’une autre manière, et qui déconstruit aussi l’idée du DRH machiavélique, homme des basses œuvres.
Je pense que faire connaître l’actualité du dialogue social, faire connaître la conviction du dirigeant sur tel ou tel sujet aide davantage les salariés à se projeter au sein d’un écosystème.
LinkedIn, c’est aussi l’occasion de valoriser le travail de ses équipes. Moi, je m’en sers beaucoup pour cela : pour mettre en lumière celles et ceux qui font un travail de l’ombre extrêmement chronophage.
Enfin, je trouve aussi important de pouvoir benchmarker, échanger entre professionnels de la fonction RH, à l’instar de ce que vous faites chez myRHline. Cela permet de rendre visible une fonction qui est non seulement méconnue, mal appréhendée, mais aussi mal évaluée, mal jugée.
Tu es : workaholic ou work-life balance ? 🔥
D’autant plus que je donne aussi des cours à Sciences Po, que je suis membre de différents cercles RH, administrateur du Lab RH…
Pour autant, je suis extrêmement attaché à la vie de famille et m’impose de rentrer le soir à des heures tout à fait convenables. De pouvoir aussi gérer mon réseau personnel, de pouvoir faire du sport… J’essaie de laisser une place à tout cela. Mais cela exige une certaine discipline. De retravailler un peu plus tard le soir, un peu le week-end, aussi.