Bienvenue dans le 5e épisode de la saison 1 de T’as raté le coche, intitulé : “Quand les startups arrangent les RH à leur sauce”.
Dans cet épisode fascinant, nous plongeons dans le monde dynamique et innovant des ressources humaines dans les startups. Notre hôte, Christophe, fondateur du média myRHline, guide la conversation avec deux invités experts : Pierre Monclos, DRH chez Unow, et Michel Barabel, professeur à Sciences Po.
Ils débattent de la façon dont les startups réinventent les RH pour répondre à leurs enjeux business et de croissance, une perspective cruciale dans le nouveau monde du travail. Cette discussion éclairante explore l’hypothèse selon laquelle les startups ne se contentent pas de suivre les tendances en matière de RH pour l’attrait marketing, mais adoptent des approches réellement innovantes et adaptées à leurs défis uniques.
Restez avec nous pour une conversation stimulante qui décrypte l’actualité et les tendances du nouveau monde du travail.
S01 E05 : Quand les startups arrangent les RH à leur sauce
Christophe : Bonjour, je suis Christophe, fondateur du média myRHline dédié au monde des ressources humaines. Bienvenue dans « T’as raté le coche », le podcast qui décrypte l’actualité et les tendances du nouveau monde du travail. Dans cet épisode, on va s’intéresser à ce qui se passe quand les startups arrangent les RH à leur sauce. Et pour m’accompagner aujourd’hui, j’ai deux invités : Pierre, DRH chez Unow, et Michel, professeur à Sciences Po. Venez avec moi, allons les rencontrer. Bonjour Pierre, bonjour Michel.
Pierre : Bonjour Christophe.
Christophe : Alors je vous ai invités tous les deux parce que vous sortez un livre prochainement. Vous m’en parlez rapidement, en introduction ?
Michel : Un petit pitch, tu y vas ?
Pierre : Allez. Le 18 octobre, sort un livre sur la manière dont les startups réinventent les RH pour faire face à leurs enjeux business et de croissance.
Christophe : Ça tombe très bien, j’ai plein de questions. La première question que je posais, c’était : les startups ont-elles remarqué les pratiques RH pour être plus attractives ?
Michel : Oui, je vais commencer, Pierre complétera. C’était l’une des hypothèses initiales du livre, parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup d’ouvrages sur les startups, mais plutôt sur la dimension tech ou leurs solutions. Il y avait peu de choses sur la façon dont elles manageaient leurs équipes et leurs hommes. Et moi, je faisais partie de ceux qui pensaient, avant de me lancer dans l’aventure du livre, que potentiellement, il pouvait y avoir un très gros marketing. “Chez nous, c’est différent. Le baby (…) chez nous, c’est cool. Chez nous, c’est différent.” Et l’un des intérêts du livre, c’est qu’après un an de travail, je trouve que ce n’est pas si marketing que ça et qu’il y a de vraies manières de faire les RH différemment, même si ce n’est pas forcément pour être innovant, mais plutôt pour répondre à des problématiques spécifiques que rencontrent ces organisations.
Pierre : Ouais, c’était une manière même de se différencier des boîtes plus traditionnelles qui marketent trop leur politique RH, là où la startup a les moyens de dire “Mais non, on peut aller plus loin et proposer des niveaux de flexibilité que vous n’avez jamais vu. De la transparence, de la confiance…” Des choses qu’on voit souvent dans le marketing employeur traditionnel, mais qui n’est pas incarné. Les startups, elles, ont plutôt fait le chemin inverse de dire “Nous, c’est comme ça qu’on est. Il faut qu’on pense ensuite à en parler”, et en ça, c’est plutôt sain.
Christophe : Quelles grandes innovations font la différence, justement ? Qu’est-ce que c’est — bon la semaine de 4 jours etc. —, qu’est-ce que c’est, les grandes innovations ? Qu’est-ce qui est abordé dans ce livre ?
Michel : C’est deux questions différentes. Parce que si on parle de ce qui est abordé dans le livre, on peut parler d’un…
Christophe : Mais tu te bases sur ces innovations pour les critiquer, j’imagine ?
Michel : Oui, oui et non. C’est-à-dire que si on parle vraiment de la structure du livre, il est structuré en sept chapitres. Et tu as raison, il y en a un dédié à la semaine de 4 jours, un à l’hyper flexibilité, aux congés illimités, l’autre à la transparence, le quatrième sur la culture du feedback, le cinquième sur le Radical Candor, le sixième sur la culture de l’apprenance. Et c’est vrai que ça structure les grandes politiques. Par contre, si on cherche à identifier des innovations radicales, des choses totalement dingues qu’on n’a jamais vues ailleurs, on se trompe peut-être un peu de livre. Parce que ce que le livre a plutôt révélé, c’est la capacité de ces organisations, face à des défis de nature différentes des entreprises traditionnelles, à déployer des pratiques qui, certes, sont innovantes, mais qui n’existaient pas, mais pas parce que c’est innovant, mais parce que c’était la meilleure manière de s’organiser en fonction des enjeux qu’elles rencontraient. Par exemple, faire 120 recrutements par mois, de voir attirer 95 % d’une population active qui est bac plus cinq, gérer des dimensions tech avec un certain nombre de codeurs ou de geeks qui privilégient le full remote. Donc je pense pas qu’au départ elles sont parties avec l’idée “Je vais tout révolutionner, les entreprises traditionnelles sont un peu old school et has been”, mais que plutôt, face à des défis inédits, elles sont reparties d’une feuille blanche et elles ne se sont pas inspirées des pratiques existantes pour trouver les pratiques les plus impactantes et les plus efficaces.
Christophe : Certaines.
Michel : Certaines bien-sûr, parce qu’il y a plein de startups aussi.
Christophe : Parce qu’aujourd’hui, quand tu regardes un peu les réseaux sociaux, tout le monde s’approprie des pratiques, mais très clairement avec un objectif marketing.
Pierre : Mais ça, est-ce que ça ne va pas vite fait faire son temps ? Parce que beaucoup ont déjà été déçus de ce qui a été promis et ce qu’on découvre en arrivant. Et donc au bout d’un moment, moi, je pense que c’est déjà en train d’arriver dans les boîtes, il y a un peu plus de méfiance. Et justement, sur les réseaux sociaux ou sites où on peut noter les entreprises ou autre, pour savoir quelles sont les promesses qui sont réellement tenues. Et c’est pour ça que ce n’est plus du marketing employeur, mais de la vraie marque employeur qui permet aux startups de se différencier pour aller attirer les talents là où, dans les autres secteurs, il y a plutôt des grandes démissions, des grands désengagements qui existent aussi dans certaines startups, on ne va pas se le cacher, mais qui est moins fréquent dans cet environnement là, je pense.
Christophe : C’était la deuxième question : est-ce que c’est durable tout ça ? Parce qu’une startup, au début, ça fait dix, 20, 30, 40, 50, puis après c’est une startup.
Pierre : Alors si c’est fondé sur la vraie culture de l’entreprise, ça peut être durable. Quand on se dit on est pas très transparent, mais on va faire la transparence des salaires, ça a l’air d’attirer, l’équipe sera contente… Il y a assez peu de chances que ça soit vraiment durable parce que ça va se confronter à tous les autres sujets qui sont opaques dans l’entreprise. Par contre, si à l’inverse, et c’est le cas des boîtes qu’on a interviewées comme Alan ou Shine, qui ont déjà à la base une très forte culture de la transparence, les salaires ne sont pas tabous, la stratégie des finances de la boite non plus et qui ensuite se disent “Bon, on va appliquer cette transparence aux salaires et ça fera partie intégrante de notre stratégie plus globale, pas juste RH.”, ce qu’on voit, c’est qu’ils ne sont pas revenus en arrière contrairement à d’autres boites. Et elles ont des projets de développement parce que ça sert vraiment leurs enjeux. Elles ont des datas pour mesurer que ça crée de la valeur ou autre. Si c’est pris dans ce sens là, on est confiant que ça peut être durable. Peut-être qu’on aura quelques exceptions vu qu’il y a beaucoup de crise dans le secteur de la tech. Et quand c’est en période d’hyper croissance, c’est facile de faire la transparence des salaires parce que c’est facile d’augmenter les salaires quand on doit supprimer des postes et qu’il y a plus le même budget, la masse salariale, là il y en a peut être qui vont se poser la question de dire : est-ce qu’on veut toujours tenir ce modèle qui est plus difficile à tenir en contexte de crise ? Rendez-vous dans un ou deux ans, mais on a déjà quelques prémisses qu’on voit dans le bouquin.
Christophe : Parce qu’il y a des pratiques qui ont été, entre guillemets, essayées, marketées, retirées. Je pense aux congés illimités par exemple, où j’ai vu pas mal d’articles qui expliquaient des retours en arrière parce que justement, les salariés n’arrivaient même pas à les prendre, ces jours. Parce que finalement ça crée de la comparaison : “Toi t’as pris tant…”, “Moi, est-ce que je vais les prendre, pas les prendre ?” Est-ce qu’il y a des pratiques comme ça qui sont des tests et qui finalement créent plus de problèmes qu’autre chose ?
Michel : Déjà, pour te répondre, Christophe : le bouquin s’appuie sur un questionnaire qu’on a administré auprès de 119 équipes RH et une cinquantaine d’entretiens quali avec des DRH ou des CEO de scale up et licorne. Donc on a réussi à cartographier, et le sujet, l’exemple que tu prends est un bon exemple. Les congés illimités, c’est moins de 5 % de notre échantillon versus la semaine de 4 jours ou la culture du feedback, on est au-delà de 50 %. Donc on arrive maintenant à distinguer le cas anecdotique, le buzz, des… peut-être des pratiques qui s’inscrivent dans la durée et d’autres qui suivent un mouvement assez classique de tests, de médiatisation et d’abandon. La deuxième remarque peut-être, c’est qu’on s’est aussi rendu compte qu’il y a start up et start up. Pierre commençait à l’expliciter. Autrement dit, les start up qui fonctionnent et qui arrivent à s’inscrire dans des pratiques durables sont celles qui dès leur création, ont réfléchi de manière très précise sur leur culture, leurs valeurs, leurs principes structurants et ont réussi à les préserver dans la durée. Alors que d’autres start up sont parties sur l’hyper croissance des recrutements : “Chez nous, c’est fun…”, parfois sans vrai squelette culturel, et à un moment : retournement de marché, crise de croissance et ainsi de suite. Se crashent, s’effondrent ou rencontrent un certain nombre de succès ou d’échecs ou sont amenées à abandonner certaines pratiques parce que sans doute il leur manquait cette structure culturelle. Ce qui fait qu’il n’y a pas que des start up (…)
Christophe : Il n’y avait pas la croyance au départ.
Michel : Ouais, la croyance au départ, partagée avec tous, construite avec les collaborateurs, inscrite dans des principes, démontrée en permanence par des preuves et améliorée ou abandonnée en fonction de… Et je pense que la troisième, peut-être la troisième différence, c’est que bien entendu, rien n’est rien est permanent dans ce monde. C’est sûr que quand on dépasse les 3000 5000 10 000 collaborateurs, on change parfois de CEO, fondateurs… il y a plein d’articles en ce moment qui nous disent que dans la French Tech, il y a des fondateurs qui sont en train de quitter le navire. C’est racheté par des fonds, on a des investisseurs, on est coté en bourse et bien entendu à chaque étape, comme toute organisation, il peut y avoir péril en la demeure, risque de disparition, effondrement ou au contraire la capacité à passer le cap.
Christophe : En fait, est-ce que tout ça, finalement, c’est pas une question de taille d’entreprise ? Parce que moi, l’impression que j’ai… J’ai deux impressions : je me dis OK, la start up, tant qu’elle va garder une taille raisonnable, elle va réussir à conserver ses pratiques. À partir du moment où on va exploser, il y a de grandes chances que les pratiques explosent en vol. Et le deuxième parallèle que je faisais était de dire : pourquoi on est sans cesse en train de lire à droite et à gauche que les grands groupes devraient s’inspirer des pratiques RH, alors que ces pratiques, elles fonctionnent parce qu’initialement elles ont été portées dans la culture d’entreprise. Les grands groupes n’ont pas cette culture. Donc c’est d’autant plus difficile à mettre en œuvre, voire impossible pour certaines pratiques.
Michel : Alors, je suis tout à fait d’accord avec toi sur le deuxième point. C’est exactement comme quand le gouvernement s’inspire du modèle danois ou de Singapour pour réinventer son école alors qu’on est dans le cas d’un petit pays de 4 millions avec une culture collective dès la maternelle versus un pays de 66 millions avec d’autres rapports à la compétition et au savoir. Donc il est évident que les grands groupes devraient éviter d’aller sur ces buzz et de chercher à tout prix de copier coller des pratiques faites dans d’autres environnements avec d’autres problématiques. Et souvent, quand elles le font de cette manière là, ça se passe souvent très mal parce que ça s’inscrit en orthogonalité avec la culture, c’est incarné par quelques personnes et si elles ne restent pas, ça va s’effondrer… Voire parfois, il y a un décalage tellement fort entre le discours et les actes que c’est contre-productif. Il n’en demeure pas moins que si on prend ton premier temps, moi ce qui m’a marqué, c’est qu’on n’est pas dans des cultures RH informelles, entre potes, qui permettent de la convivialité et de la transparence parce qu’on n’est que 10 ou 20. La plupart des boites qui sont devenues des licornes (…) qu’on a interviewées ont au contraire des process très précis dès le début, ont travaillé sur leur culture, parfois bien plus que les grands groupes, et ont même parfois des philosophies de politique RH que je n’ai pas toujours trouvées dans des grandes organisations. Et au contraire, quand elles passent des cap, quand elles dépassent des seuils d’effectifs, c’est ce qui va leur permettre une forme de pérennité et de continuité. Mais tu le dis bien, en fait (…) On a eu un long débat avec Pierre sur : est-ce que c’est vraiment innovant ? Est-ce que vraiment il n’y a pas des grands groupes qui font plus innovant que ça ? Et à chaque fois, la réponse était : c’est pas si innovant que ça. Il y a parfois des grands groupes qui font mieux ou qui ont fait avant. En revanche, ce qui est marquant, c’est que c’est très cohérent. C’est-à-dire qu’on voit que dans le système des start up, il y a un alignement de pratiques cohérentes entre elles qui ne se contredisent pas, une grappe de pratiques RH. En fait, on les retrouve où ? Dans le recrutement, dans la culture managériale, dans la rémunération, dans la gestion de carrière, (…) Et c’est plutôt cette grande cohérence de pratiques qui ne se contredisent pas, qui créent des messages extrêmement forts et puissants. Et comme il n’y a pas de contradiction, les salariés s’embarquent facilement alors que dans les grands groupes, très souvent on a une hyper innovation incroyable. Mais elle va s’empiler avec pleins d’autres pratiques qui sont orthogonales avec cette pratique, jusqu’à générer à un moment de l’incompréhension, voire : “On m’avait dit que je pouvais être dans la culture du test and learn, et je me suis fait engueulé par mon boss parce que j’ai déconné. Alors je ne comprends plus, c’est la culture du test and learn chez nous, ou c’est la culture de la sanction, de l’échec?” Les startups, et là c’est peut-être un effet taille, comme elles ont cherché à créer un système RH cohérent au départ et qu’elles mettent beaucoup d’énergie à le maintenir évitent (…) Mais bien sûr, certaines.
Christophe : Oui, parce que moi, l’image que j’ai des start up, la plus médiatisée, c’est les manquements RH, les manquements au droit du travail, le non-respect de la diversité, les problèmes de l’égalité femmes-hommes, notamment dans la tech, hein. Encore ce matin, on discutait avec un CEO qui me disait : “13 % de femmes”. Alors ils y travaillent. Mais il y a quand même, à un moment donné, on se dit quand on voit les médias, on est en train de prendre des leçons de RH de la part de boîtes qui finalement sont les moins à même d’en donner d’un point de vue RH et réglementaire.
Pierre : Alors on ne dit pas que les startups sont un monde parfait, mais là, dans ce que tu dis, dans la question que tu posais avant, c’est : comment les grands groupes pourraient s’en inspirer, voire prendre des leçons dans ce contexte-là ? Moi, pour avoir été DRH chez Unow, encore aujourd’hui (…) au début, j’étais dans mon monde de la tech où on parlait entre DRH du secteur start up, et puis, quand j’en ai parlé avec des fonctions RH d’entreprises plus traditionnelles, que ce soit des grandes ou des moyennes, il y en a pas mal qui ont au moins trouvé intéressant, non pas de transposer la pratique telle quelle, mais de se dire : en fait, vous venez d’un univers opposé. C’est-à-dire que chez nous, les RH, c’est opaque, c’est une boîte noire, on ne sait pas ce qui se passe. Chez vous, c’est l’inverse, tout est transparent. Nous, ça nous paraît absurde. Et donc ce qui peut être inspirant là-dedans, c’est de se dire tiens… de remettre en question… Pourquoi nous, on ne mettrait pas un peu plus de transparence, sans trahir nos valeurs, sans aller à l’encontre de notre culture pour faire évoluer des pratiques qui n’ont pas évolué depuis un moment ? Par contre, de ne pas passer du jour au lendemain à la transparence des salaires, à la semaine de 4 jours, ce genre de choses. Là, il y a quelque chose d’ inspirant que j’avais déjà constaté. C’est l’une des raisons pour lesquelles on a fait ce bouquin.
Christophe : Est-ce que finalement (…) un DRH de start up… il y a beaucoup de DRH que ça fait marrer quand on leur dit “Je suis DRH de start up”, le mec qui est DRH d’un groupe de 10 000 salariés il se dit : non mec, t’es pas DRH. Mais moi quand je creuse, je me dis non, même pour moi, je me dis que ça ne correspond pas au job. En fait, est-ce qu’un DRH de start up, finalement, c’est pas un vrai HRBP qui est beaucoup plus proche du business finalement, que ne l’est le DRH des entreprises traditionnelles ?
Pierre : Ça dépend des boîtes hein. Je pense que dans pas mal de start up, oui, parce que les il y a beaucoup de binômes CEO/RH qui sont difficiles à constater de manière aussi proche dans les grandes boîtes, et c’est beaucoup mieux intégré (…)
Michel : Il y a des start up où les dirigeants sont moins pro RH qu’on pourrait le penser. Dans d’autres, effectivement, on a des vrais binômes parfois, qui se sont créés dès la création, avec des DRH qui ont grandi avec les CEO sur le développement de la boite avec un poids dans l’organisation et un périmètre, un impact business, beaucoup plus prononcé.
Pierre : L’exemple de (…) pour moi est assez parlant, leur DRH est au board, il y a d’autres boites où les DRH n’accèdent pas toujours au Codir. Là il y a des startup qui les mettent carrément au board, donc sur les décisions les plus business et autres. Donc il y a, il y a matière à aller s’inspirer. Mais oui, ça dépend des start up.
Michel : Je peux compléter Christophe sur ta question de tout à l’heure. On a dressé plein de problématiques et de pratiques différentes et au final, aucune des start up qu’on a interviewées — et pourtant on a plein de belles boîtes : Doctolib, Alan, Swile et d’autres —, ne déployaient plus de trois pratiques sur les dix quinze qu’on a identifiées. Donc déjà on n’a pas trouvé la start up de dingue qui est hyper innovante sur l’ensemble des champs. On a trouvé des champions (…) de la transparence des salaires, des champions de la semaine de 4 jours ou des congés illimités — on en a trouvé aussi, au demeurant, par rapport à ce que tu disais, même s’il y en avait moins. Et donc ça montre bien que, au regard des problématiques, des aspirations de la boite et des collaborateurs, on a des start up qui sont capables d’innover dans un domaine, voire parfois deux, mais très certainement pas des entreprises qui ont réinventé les RH sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Et donc à contrario, on a effectivement dans certaines start up une maturité relations sociales hyper faible ou une maturité (…) gestion de carrière hyper faible. Et on le constate, nous. Et c’est vrai que l’intérêt de l’ouvrage, c’est plutôt qu’on a essayé par chapitres de mettre en lumière les start up les plus inspirantes pour nous sur le domaine. Ce que je voulais te dire quand même, malgré tout, c’est qu’on a on n’a pas fait un bouquin de bisounours. On n’est pas les anthropologues béats qui revenons de ce voyage au pays des start up avec des étoiles plein les yeux et un regard très critique sur les entreprises traditionnelles. Le premier élément marquant, c’est qu’aucune de nos start up n’excelle dans l’ensemble des politiques qu’on a pu étudier. Je crois que dans le meilleur des cas, on arrive à en faire des start up excellentes sur deux/trois domaines sur la dizaine qu’on a pu investiguer. La deuxième caractéristique, c’est que très souvent, c’est associé avec un parti pris, un investissement du dirigeant qui est sponsor, qui est exemplaire. Et le fait est là. Par contre, c’est vrai que c’est plus fascinant des petites organisations (…) ça a été co-construit avec parfois l’ensemble des collaborateurs ou une grande partie des collaborateurs. Et bien entendu, quand je dis qu’on n’a pas fait un bouquin de bisounours, c’est que pour chaque pratique, on raconte aussi les échecs, les erreurs qui ont été commises. On donne des conseils, des bonnes pratiques. On raconte aussi des histoires avec un cas d’entreprise introductive qui plonge le lecteur dans la situation. Et donc à la fin du chapitre, n’importe quel DRH, même de grosses organisations, peut se dire : fort de ce diagnostic plutôt exhaustif ou avec Pierre, on a évité de prendre parti, pris, ça m’intéresse de tester et je le ferai de telle manière. Ou, au contraire : c’est pas pour moi et il faut que je passe mon chemin.
Christophe : Et les start up, quand elles vont mettre en place un process comme ça, elles ont des indicateurs j’imagine. Elles sont capables de te dire : ben voilà notre taux de rétention, voilà le turn over, voilà l’impact.. Est-ce qu’elles mesurent vraiment les choses ou est-ce que, finalement, elles ne le font pas ?
Pierre : Alors ça dépend de leur philosophie. Il y en a qui sont très data et qui vont essayer de lier des indicateurs RH à des indicateurs performance, sachant que l’exercice en soi est assez difficile. Mais on a quelques exemples qui témoignent, de dire : nous, regardez, on a mis telle pratique en place, qui a changé la vie de l’entreprise depuis trois ans, voilà tous nos indicateurs business depuis trois ans, on ne peut que faire le lien, même si ce n’est pas démontré scientifiquement. Il y en a d’autres qui disent : ben nous, on le fait par philosophie, on pense que ça crée énormément de valeur d’un point de vue performance, mais ce serait absurde d’aller mesurer, de passer du temps à mesurer l’impact sur la performance, puisqu’on le ferait de toute manière.
Christophe : Tu peux mesurer taux d’attraction en termes de recrutement ?
Michel : Oui, mais tu as du mal à isoler une pratique RH. Tu vois, c’est toujours le problème : bien entendu, on peut tout mesurer, mais relier une pratique en particulier et arriver à l’isoler, ça reste compliqué. (…) Si la plupart des boîtes qu’on a étudiées sont très attractives et ont de beaux taux de rétention, c’est justement parce qu’elles ont
des grappes de pratiques cohérentes entre elles et que c’est l’effet multiplicateur des différentes pratiques qui crée l’impact plutôt qu’une pratique en particulier comme le baby-foot, de manière humoristique — je dis bien que le baby-foot, c’est une blague, ce n’est pas une pratique RH innovante —, ou la transparence des salaires ou les congés illimités, si tu veux.
Pierre : Peut-être qu’il y a une exception dans des boîtes sur la semaine de 4 jours, où là c’est tellement un changement de modèle, c’est plus qu’un changement RH ou il y en a — d’ailleurs il y a beaucoup d’enquêtes qui commencent à paraître —, qui se disent : moi je vais m’intéresser à la boîte parce qu’elle est passée à la semaine de 4 jours et après je regarde ce que fait la boîte, quelle est sa politique RH, et cetera. C’est pour ça qu’on en a fait un chapitre particulier. C’est parce que là on est dans un changement très radical. Sur le reste, effectivement, il est très difficile de relier de manière fiable la mise en place de telle pratique et une meilleure rétention, un meilleur engagement et une meilleure performance de l’entreprise.
Michel : En tout cas, quand on parle de cohérence, c’est que si on prend un autre thème, par exemple la culture du feedback, une start up cohérente en parlera dès le premier entretien de recrutement, fera systématiquement un feedback aux candidats, le formera au feedback lors du onboarding, lui demandera son feedback sur le process. Puis la première rencontre avec le manager fera l’objet aussi de tout ça et ça sera mesuré dans l’évaluation, avec en plus un bonus qui est associé. Et ça expliquera pourquoi il y a des évolutions de carrière plus ou moins rapides. C’est ça que j’appelais une sorte de grande cohérence. Et c’est vrai que les grandes organisations, souvent elles ont x process. Il y a des baronnies, il y a des silos. Il y a peut être une femme ou un homme très innovant qui fait un truc de dingue sur la gestion de carrière. Mais à un moment, quand on va comparer ça avec : est-ce qu’on en a parlé en recrutement? Lors du onboarding ? Est-ce qu’il y a eu des formations ? Est-ce que tout le monde a vécu cette expérience-là ? Ça va devenir beaucoup plus, plus rare, voire ça n’existe pas et ça va diluer cette innovation, voire ça va minorer son impact parce qu’elle sera au milieu d’un océan de pratiques orthogonales avec celles-là.
Christophe : Vous avez sondé des salariés de ces start up ?
Pierre : On n’a pas posé la question aux salariés, on a demandé aux RH dans leur enquête quand est-ce que les sujets remontaient, et comment — c’est pour ça que la semaine de 4 jours, on pouvait dire que c’est un exemple particulièrement (…) parce que sur la transparence, ça génère plutôt des retours de sentiment d’appartenance, de fierté ou autre, mais beaucoup plus dur à relier à l’engagement ou autre. Donc on l’a via le prisme des sondages RH.
Michel : Mais non, tu as raison, idéalement, ça aurait été intéressant de le faire.
Christophe : Parce que moi, je ne vais pas vous mentir. J’ai toujours cette image — et j’ai tellement d’exemples —, tu as toujours des gens qui sortent de start up (…) qui te décrivent les horaires de travail et du coup quand tu vois ça comparé à une nouvelle pratique, tu te dis : OK, en fait, pour compenser ça, ils leur ont offert ça, ça ça ça. Et si tu veux, par rapport à un grand groupe qui a peut-être des modes de fonctionnement plus archaïques, plus traditionnels, on peut toujours se poser la question de se dire : est-ce que les start up ne le font pas en compensation d’autre chose ? Parce que, dans beaucoup de start up, la QVCT, c’est quand même pas le nerf de la guerre…
Michel : C’est vrai et je pense que c’est le cas dans un certain nombre de start up que je connais. Et en même temps, moi, ce qui m’a marqué pour avoir plus particulièrement bossé sur le chapitre recrutement, c’est qu’en tout cas les start up qu’on a interrogées et qu’on s’est choisies sont très claires au départ (…) Par exemple, que tu sois Netflix qui est connu pour ça, ou Google ou que tu sois Alan ou 360Learning, lors de ton recrutement, un : on te met le Radical Candor, on te dit qu’ici, c’est l’hyper excellence, l’hyper exigence. On veut changer le monde. On veut des collaborateurs qui font dix fois plus que. C’est pas caché, c’est pas enfoui. C’est pas : “Ici, chez nous, c’est cool, c’est sympa (…)”, puis derrière, boom : 70 heures, 80 heures, et cetera. Et souvent, c’est couplé. Parce que c’est aussi une forme de philosophie avec une hyper bienveillance ou des conditions de travail. Et je ne sais pas si c’est de la compensation ou si c’est ce que moi j’appelle toujours de l’ambidextrie, c’est-à-dire qu’on sait qu’on est dans des environnements hyper compétitifs, hyper challengeants, on veut les meilleurs et ça peut poser des questions sur la RSE, la diversité, etc (…) on assume, nous, qu’on va aller vraiment, peut-être sur un recrutement du 1 sur 10 000, du 1 sur 100 000 ou du 1 sur 100 millions et jamais aucun grand grand groupe ne tiendrait ce type de discours-là aujourd’hui. Et dans le même temps, on va faire grandir les gens, on veut qu’ils soient épanouis, on veut un bon équilibre vie privée, vie privée, et cetera. Et moi, j’ai quand même l’impression que c’est pas une sorte de manipulation pour les embrouiller sur le volet 1, mais que l’expérience qui est vendue, c’est l’hyper challenge, l’hyper performance, l’hyper bienveillance et et l’hyper culture. Et quand ça plante justement, quand c’est que l’hyper exigence et que derrière c’est pas l’hyper bienveillance ou l’hyper conditions de travail, on retrouve du balance ta startup, des scandales, des affaires de harcèlement et ainsi de suite. Et quand on creuse, comme par hasard, on se rend compte que c’était plus marketing que culturel et que derrière, il y avait un désalignement du Comex, des dirigeants ou de l’équipe de direction sur le sujet. Et je te dis, on reboucle, nous, comme ça, et c’est peut-être, nous, notre boussole pour arriver à distinguer celles qui le font en conscience et qui cherchent à faire du bon boulot — même si tu trouveras, quelle que soit la boite, des gens insatisfaits, des gens qui te critiqueront l’organisation — et puis d’autres où bien entendu, tu as l’impression que c’est un discours manipulatoire qui cache finalement une approche hyper capitaliste ou hyper concurrentielle qui va à l’encontre du discours tenu.
Christophe : Et qui est poussée aussi par l’argent. Parce que quand les start up font des levées de fonds, elles doivent présenter des dossiers qui intègrent leurs pratiques vis-à-vis de leurs collaborateurs. J’ai encore vu récemment des start up me dire : ben tiens, on va mettre ça en place parce que ce fonds là, si on n’a pas ça en place, ça va pas le faire. (…) Ça pose question, quand même.
Michel : Mais ça veut dire que tu es tombé sur les startups qui ne le font pas, avec un ADN culturel assez prononcé, de vraies convictions. Tu te retrouves dans le même cas de figure que tu nous racontais tout à l’heure. Moi aussi, j’ai rencontré des DRH de grands groupes qui me disaient : regardez, on a fait le cinquième étage, on a fait des poufs, on a mis le baby, c’est coca à volonté parce que c’est ce que veulent les jeunes et en même temps ils ricanaient, ils trouvaient ça absurde et ridicule. Dans la vie, tu rencontres toujours des cyniques, des manipulateurs et des gens authentiques. Et bien entendu, le monde des startups n’échappe pas à ça. Mais il y a des DRH authentiques et innovants, et trouve dans ce cas-là, quand c’est fait de cette manière-là, la démonstration que c’est assez intéressant.
Pierre : Et même quand c’est authentique. En plus, ça convient pas à tout le monde. Il y en a beaucoup qui vont aller dans ce monde-là qui ne leur conviendra pas. Le rapport à la transparence, ça soulève beaucoup de sujets par rapport à son égo, sa confiance en soi. Donc il y en a beaucoup qui ne vont pas du tout s’épanouir, voire tomber dans des situations toxiques, parce que ce n’est pas un environnement qui correspond à leurs codes culturels… comme il y en a d’autres qui vont jamais s’épanouir, voire se retrouver dans des situations d’épuisement dans des grands groupes, juste parce que c’est un environnement qui leur parle pas, leur manière de travailler ou autre. Là, nous, on a mis un zoom sur un autre monde, avec d’autres solutions et d’autres formes de problèmes, aussi pour éclairer les personnes qui se disent : ben tiens, est-ce que cette pratique RH ça me plairait en tant que en tant que salarié, ou inversement, leur montrer que potentiellement c’est pas fait pour eux et qu’il ne faut pas y aller parce que c’est très médiatisé, on médiatise ce qui brille — à part les congés illimités, la plupart des autres sujets, souvent c’est médiatisé de manière assez positive —, regardez jusqu’où sont allées ces entreprises… alors que parfois oui, ça mériterait pas autant de briller, juste d’avoir un zoom concret sur les avantages et les inconvénients.
Christophe : Merci Pierre. Merci Michel.
Michel : Ben écoute, c’est nous qui te remercions. Merci à toi pour cette invitation.
Pierre : Merci beaucoup.