La problématique salariale est l’un des enjeux clés d’une négociation collective au sein des organisations françaises, qui peut être évoquée lors des NAO. Elle arrive toujours majoritairement en tête des thèmes liés aux débats collectifs. Et on le sait, c’est une question qui est étroitement liée aux enjeux QVCT.
Selon la dernière enquête REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprises) datant de 2017 et menée par la Dares, 82 % des organisations de plus de 11 collaborateurs des secteurs privé et semi-public hors agriculture ayant négocié au moins 1 fois entre 2014 et 2016 ont initié les discussions liées à l’augmentations des salaires. Mais en France, il semblerait que l‘on ne négocie pas assez sur ces questions. Pourquoi ?
En outre, la discussion collective peut-elle porter ses fruits ? Les éclairages de myRHline.
L’état des lieux des discussions sur les salaires en France
Pourquoi ne négocie-t-on pas assez les salaires ?
Bien que le fait de discuter son salaire est central en matière de négociation collective d’entreprises, ce n’est pas pour autant pratiqué “dans l’ensemble du tissu socio-productif”, indiquent les travaux de Pierre Blavier et Jérôme Pélisse (2021) à ce sujet, rapportés par la Dares.
En 2016, l’absence de négociation peut s’expliquer par diverses raisons. En général, elles ont lieu à d’autres niveaux.
- Dans le cadre de la convention collective (dans 17 % des cas pour les directions)
- Dans le cadre de la décision d’autorités publiques (Etat, conseil général…)
- Au niveau du groupe / du siège de l’organisation (dans 4 % des cas pour les représentants de la direction et 3 % pour les représentants du personnel).
En outre, ce phénomène peut s’expliquer par la petite taille de l’organisation, son statut associatif, l’absence d’obligations en la matière ou même l’absence de délégué(e) syndical(e) qui constitue un acteur phare pour conduire ces échanges.
Par ailleurs, ce phénomène peut être également lié à l’absence de demande à cet égard de la part de représentants du personnel et même des salariés. Ce troisième type de raison est avancé davantage chez les représentants de la direction (21 %) que chez les représentants du personnel (14 %).
“Ce motif renvoie aussi au fait de déclarer une absence de besoin ou d’utilité à négocier, et au fait que les salarié·es soient manifestement satisfait·es”, indique l’analyse rapportée par le service statistique.
Le but de la négociation collective sur la question des salaires
La négociation collective consiste à discuter des accords permettant d’adapter les règles relatives au Code du travail aux spécificités des activités de chaque organisation. Ces règles doivent être adaptées au plus proche de la réalité des contraintes des collaborateurs afin de prendre en compte les spécificités de leur métier ou de l’activité de leur société.
Elle permet de protéger les droits sociaux des collaborateurs d’un même secteur d’activité ou d’une même entreprise. Le produit de cette discussion collective réside dans la mise en place d’accords collectifs. Ces derniers peuvent prendre plusieurs formes (accord national interprofessionnel couvrant un ensemble de secteurs d’activité, accord de branche couvrant un secteur en particulier, ou accord d’entreprise couvrant le seul niveau de l’organisation en question).
L’objectif de la négociation collective est la négociation d’accord collectif et de conventions collectives afin d’adapter les règles du Code du travail aux spécificités des branches et entreprises. Cela va notamment permettre d’appuyer les droits sociaux des salariés via la négociation entre les représentants syndicaux et les représentants des employeurs. Cette démarche consiste à créer des normes « sur-mesure » pour les salariés afin de construire un droit du travail moins hostile et plus propice au bien-être du salarié au travail.
Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), la négociation collective permet aux employeurs, aux organisations d’employeurs ainsi qu’aux syndicats d’évoquer ensemble “les questions du travail et de négocier des conventions collectives. Les conventions collectives traitent de sujets comme les salaires, la durée du travail et autres conditions de travail en énonçant les droits et les responsabilités des employeurs et des travailleurs signataires.”
Le CSE doit être capable de négocier collectivement sur la question des salaires des collaborateurs. En effet, la négociation collective fait partie intégrantes des attributions du CSE lorsqu’il n’y a pas de délégués syndicaux dans l’entreprise par exemple. Si la priorité est toujours donnée au délégué syndical, les élus CSE peuvent tout à fait avoir à négocier des accords d’entreprise ou ne serait-ce qu’à y participer au travers d’échanges avec les délégués syndicaux.
Attention : les élus CSE doivent en ce sens être formés à la négociation collective.
La négociation collective porte-t-elle ses fruits ?
La mobilisation collective paie
A la question de savoir si les directions étaient ou non amenées à revenir sur leurs décisions à la fin des débats, il semblerait que la réponse soit plutôt oui. Dans leur analyse, les chercheurs expliquent qu’il faut considérer l’occurrence d’accords en premier lieu afin d’étudier l’issue des débats.
« De ce point de vue, les réponses des un·es et des autres s’avèrent plutôt convergentes: ainsi, entre 57 % (pour les RP) et 63 % (pour les RD) des négociations débouchent sur un accord (…) », indiquent-ils. En revanche, ils notent un écart important dans les cas où les répondants expliquent que ces discussions ont « débouché sur une décision unilatérale de la direction » (dans 18 % des cas selon les représentants de la direction et 25 % des cas selon les représentants du personnel).
Parmi les résultats proéminents de l’analyse établie par Pierre Blavier et Jérôme Pélisse sur le sujet, on constate que la « mobilisation concomitante ou antérieure aux négociations salariales pourrait inciter la direction à changer d’avis à la suite des débats (…) ». Il semblerait par ailleurs que la mobilisation porte ses fruits. Les résultats de l’analyse qui nous intéresse mettent en exergue le rôle de ces mobilisations sur l’issue des discussions, « les directions déclarant dans ce cas (…) qu’elles n’auraient pas eu les mêmes décisions de revalorisation salariale et de répartition globale des fruits de l’activité économique en l’absence de négociations« , et de mobilisations les précédant.
Au fond, lorsque les salarié·es se donnent des prises collectives sur les décisions d’augmenter les salaires (qu’il s’agisse des niveaux de salaires, des critères d’attribution des revalorisations ou des primes) en convainquant les directions d’ouvrir des négociations, et, une fois que celles-ci sont ouvertes, en se mobilisant avant ou pendant les négociations, l’action collective pèse et paye. Dans une période historique où s’enchaînent dans le monde du travail, et notamment au niveau national, des mobilisations sans débouchés, un tel résultat n’est pas sans importance.
Sur l’analyse portée par la Dares
L’analyse développée par ces deux chercheurs sur le débat collectif autour du salaire en France se base à la fois sur l’exploitation de données statistiques (enquête REPONSE, Dares) et sur une « vaste littérature française et internationale, qu’il ne s’agit pas de recenser mais de compléter de manière originale ». On y interroge les occasions que se donnent – ou pas – les salariés afin de débattre sur ces sujets auprès de leurs employeurs et si la mobilisation peut peser ou non sur l’issue des débats.
Cet article démontre tout d’abord que la discussion formalisée et collective des rémunérations est complètement absente dans de nombreuses structures. À partir d’un « recodage de réponses à une question ouverte posée aux représentants des directions et des salariés », cette publication éclaire sur les raisons énoncées par différents acteurs afin d’expliquer l’absence de tenue de ces discussions. En outre, on éclaire sur l’importance de l’absence de mobilisation des collaborateurs ou encore du refus d’une partie des directions d’entamer le débat sur le sujet.
En second lieu, l’article s’intéresse aux situations où les discussions peuvent avoir lieu. Ainsi, « la contribution montre que lorsque les salarié·es se mobilisent par des pétitions, débrayages, grèves ou manifestation au moment de ces négociations, la direction déclare beaucoup plus souvent dans ce cas (…) que, sans ces négociations, sa décision sur les salaires aurait été différente », détaille la Dares.
A propos des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO)
NAO et négociation collective
Les NAO constituent un droit des travailleurs. Leur mise en application s’établit entre l’employeur et les personnes qui représentent les salariés. Elles ont pour but d’encourager et d’encadrer le dialogue social au sein des organisations professionnelles. Elles comprennent donc une dimension collective. Une occasion de faire valoir les droits des employés. Réglementées par le Code du travail, elles peuvent permettre d’aboutir également à des accords collectifs que les deux parties devront respecter.
Les entreprises dans lesquelles sont constituées une ou plusieurs sections syndicales ont pour obligation de déployer des NAO sur certains thèmes liés à la vie professionnelle des collaborateurs.
Les dispositions du Code du travail permettent de définir les discussions obligatoires et communes à toutes les entreprises concernées par cette obligation collective. Le Code du travail (L. 2242-1) prévoit que l’employeur doit engager – au moins 1 fois tous les 4 ans – une négociation sur la question de la rémunération, mais aussi sur le « temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise » et sur les questions relatives à l’égalité homme femme au travail et la QVT.
En outre, tous les 3 ans dans les entreprises d’au moins 300 salariés « mentionnées au premier alinéa de l’article L. 2242-13, une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels » doit avoir lieu. Son application est là encore nécessaire.
Par ailleurs, quelles sont les modalités de mise en application de cette discussion ? Selon le ministère du Travail, celle-ci « se déroule entre l’employeur (ou son représentant) et la délégation de chacune des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. Cette délégation comprend le délégué syndical de l’organisation dans l’entreprise ou, en cas de pluralité de délégués, au moins deux délégués syndicaux ».
Les discussions peuvent en outre porter sur d’autres sujets que ceux qui ont été prédéfinis par la loi. Cela peut être l’occasion pour les syndicats de porter une revendication collective particulière (ex : en matière de formation professionnelle).
Les NAO, pas une règle dans toutes les entreprises ?
Afin d’interroger « les prises que se donnent les salarié·es – ou pas – dans les rapports de force qu’ils et elles peuvent construire avec les directions pour répartir les fruits de leurs activités communes de production », il faut garder en tête que les NAO ne sont pas la règle dans toutes les organisations. (Blavier, Pélisse, 2021)
Pour rappel, le ministère du Travail indique que sont concernées par les NAO en entreprise toutes celles qui sont constituées « d’une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives et dans lesquelles est présent au moins un membre de la délégation élue du personnel au CSE. »
Sont concernées toutes les entreprises d’au moins 50 salariés (avec un seuil d’effectif qui permet de désigner un délégué syndical) au sein desquelles a été désigné au moins 1 délégué. Sont concernées également toutes les organisations de moins de 50 salariés « dès lors qu’un membre de la délégation élue du personnel au CSE aura été désigné en qualité de délégué syndical. »
Angèle Linares