La question du bien-être au travail est au centre des préoccupations dans une société où l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle est sans cesse menacé.
Et pour cause, la frontière entre vie privée et vie publique est fondamentalement remise en cause avec la place, désormais indétrônable, des outils connectés dans tous les temps de vie et sur tous les sujets.
A l’heure du droit à la déconnexion, la première question que pose l’outil digital est celle du besoin.
Pour y répondre, faites une pause !
Imaginez
Un lundi de décembre 1980.
Vous partez travailler.
Comme tous les matins, vous choisissez de rejoindre votre lieu de travail à pied pour faire un peu d’exercice et observer le monde se réveiller.
Le ciel est couvert. L’atmosphère est froide, saisissante.
Chacun enfonce un peu plus le menton dans l’écharpe, et rentre les épaules pour lutter contre la sensation de froid. Les rues scintillent sur le thème de Noël et votre regard accroche en chemin quelques vitrines illuminées.
Bien emmitouflé dans votre manteau, vous passez devant le “petit café du coin” et décidez de vous arrêter quelques minutes avant de vous rendre au bureau.
A l’intérieur du café, le matin s’anime, rythmé par le tintamarre des tasses à café qui claquent sur le bar. La radio crache un “It’s been a hard day’s night”, couvert par les commentaires sur la une des journaux et le temps pourri.
Vous y retrouvez quelques collègues et têtes connues, échangez avec quelques-uns poignées de mains, commentaires, sourires.
Vous commandez votre café.
Dans ce lieu convivial, vous vous sentez bien.
Votre esprit vagabonde dans le souvenir de votre week-end.
Votre cerveau passe naturellement en revue les priorités de votre journée professionnelle et familiale, pendant que vous profitez d’un moment à vous, un moment de pause.
C’est agréable d’observer la vie autour de soi.
Vous êtes connecté à ce que vous ressentez, aux sensations de l’instant : le froid dehors, les sons qui se mêlent, le goût du café chaud, (d’ailleurs il est bien serré) et votre corps mobilise tranquillement les ressources dont il a besoin pour cette journée.
Observez
Un lundi de décembre 2019.
Vous partez travailler.
Vous avez passé une partie de la soirée à boucler un dossier “hyper urgent” sur l’ordinateur. Pour vous endormir, vous avez essayé la dernière appli conseillée pour apprendre à respirer, avec un succès mitigé.
Comme tous les matins vous avez déjà vérifié vos notifications, mails, sms sur Messenger et Whatsapp.
Vous ouvrez les derniers conseils de votre appli coaching professionnel. Elle est top celle-là. Vous faites le point de votre réalité virtuelle sur Facebook, Linkedin, Instagram, Twitter.
Vous avez dans la tête tous les mails professionnels et personnels et vous avez le sentiment de maîtriser les informations essentielles à votre vie.
Il faut faire vite car une grosse journée vous attend et il n’est pas question de flancher. Vous décidez de partir en voiture et les yeux rivés sur Waze.
Vous criez contre celui qui n’avance pas devant, et maudissez le cycliste qui vient de traverser n’importe comment.
Vous vérifiez encore les sms, courriels, notifications de votre sélection d’applis préférées.
Vous recevez un coup de fil auquel vous DEVEZ répondre, bien sûr.
La porte du bureau est déjà là, sans transition.
Vous filez à la machine à café avec votre smartphone dont vous ne quittez pas l’écran, oups pardon, vous n’aviez pas vu votre collègue « Bonjour, désolé, bonne journée ». Vous replongez dans l’écran.
Vous êtes assis, prêt à démarrer la journée, bien encadré.
Face à vous, l’écran de l’ordinateur. A portée de main, l’écran de votre smartphone. A votre droite le téléphone du bureau. Le café machine, là où il reste de la place.
Vous êtes opérationnel.
L’appli « Boire de l’eau » vous rappelle qu’il est l’heure de boire de l’eau. L’appli “Faire une pause” devrait sortir prochainement. Tout est parfait.
Et vous, ça va ? Il est bon le café ?
Méditez
Vous avez décidé de recentrer votre attention sur vos besoins fondamentaux.
Au fait, à l’état naturel, de quoi ai-je besoin pour aller bien ?
Vous établissez la liste de vos priorités et vous vous rendez compte que vous avez peut-être négligé le corps, et les signaux qu’il vous adresse à travers les 5 sens …
Il doit être courageux de supporter que vous l’ignoriez, tandis qu’il continue à porter votre tête, (et accessoirement le smartphone), n’est-ce pas ?
De fil en aiguille, naturellement, vous vous posez une question cruciale :
A quel besoin répond réellement l’utilisation des outils numériques ?
En effet, côté entreprise, le tout digital présente des atouts non négligeables permettant d’assurer une continuité dans le travail.
Ainsi, le salarié se doit d’être connecté pour répondre aux enjeux professionnels et peut se retrouver très rapidement dans une disponibilité mentale permanente.
Tout gérer à distance via la multiplicité des outils numériques peut donner l’illusion d’une simplification des procédures et d’une liberté professionnelle offerte aux salariés.
Insidieusement, le rythme professionnel se modifie et les temps de pause s’effacent au profit de la nécessité de répondre à un appel, à un mail, à un sms, de remplir l’agenda partagé, de transférer un document…
Progressivement, ces pratiques s’inscrivent comme une norme professionnelle, qui profite à la fluidité et à la rapidité de communication pour l’entreprise. La norme investit votre intimité.
Quels sont les besoins réels des salariés ?
Si l’on en croit le baromètre d’octobre 2019 de l’Ugict-CGT, sur les opinions et attentes des cadres, 3 besoins prioritaires sont pointés du doigt :
- l’équilibre vie privée vie professionnelle (66 %),
- le contenu et le sens du travail (51 %),
- le salaire (51 %).
L’équilibre vie professionnelle-vie privée représente donc de loin le besoin prioritaire, doublé d’un constat d’augmentation récurrente de la charge de travail et de la durée réelle de temps de travail.
Si le droit à la déconnexion existe (article L2242-8 du code du travail), il ne semble ni acquis, ni effectif dans sa mise en œuvre.
60 % des cadres souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion “effectif”, afin de “préserver leur vie privée et leur santé” et seulement 16% des grandes entreprises ont instauré des règles de déconnexion.
Le “droit à la déconnexion” est entré dans le code du travail, et c’est son existence même qu’il convient d’interroger.
Le droit à la déconnexion présuppose qu’il y ait un devoir de connexion.
Ce devoir de connexion digitale implicite fait-il partie des besoins fondamentaux à respecter pour préserver l’équilibre d’un professionnel et favoriser efficacement sa productivité ?
Dans cette course effrénée à la performance et à la rapidité, il y a quelques grands oubliés :
L’écoute du corps, la valorisation de l’autonomie professionnelle, et le respect des limites privées qui définissent l’espace vital.
Véritable sujet de santé publique, l’hyper-connexion serait-elle en train de se hisser à la première place du podium des risques professionnels et…personnels ?
Ombeline Cadiergue