Elise Van Der Schans est DRH de smartTrade, fournisseur de plateformes SaaS de trading et de paiements. L’entreprise dont le siège social est à Aix-en-Provence compte 240 collaborateurs répartis dans différentes filiales autour du monde : Londres, Istanbul, New York, Toronto, et Tokyo.
myRHline a rencontré Elise pour mieux comprendre la stratégie de développement des talents mise en place au sein de cette organisation positionnée sur le marché international du trading de devises (FOREX).
Pouvez-vous nous expliquer votre « vision » de DRH ?
J’accompagne des petites structures sur le poste de DRH. Trace One, l’entreprise où j’occupais mes précédentes fonctions, et smartTarde, mon poste actuel, ont un point commun : elles appartiennent à des fonds d’investissement qui acquièrent l’entreprise afin d’en accroître la valeur. J’entends par là valeur au sens global, revenus et humains.
J’ai rejoint smartTrade il y a deux ans — après l’arrivée du fonds d’investissement (2020) et le rachat d’une entreprise canadienne (2021) —, à la fin du plan d’intégration des deux entreprises pour endosser un rôle de DRH opérationnelle et accompagner le développement de l’entreprise.
Il faut savoir que nous opérons sur un marché de niche. Nous proposons à nos clients, pour la plupart des banques à travers le monde, l’accès à des plateformes qui permettent de collecter des informations boursières, de les agréger, puis de passer leurs ordres d’achat et de vente. En parallèle, nous mettons aussi à disposition une solution de paiement permettant à ces banques de proposer à leurs propres clients, d’autres banques, d’effectuer le paiement de ces devises.
Dès lors, la culture Tech est très présente chez smartTrade. Elle est notamment portée et impulsée par la volonté d’innovation du CEO. Et se retrouve, par conséquent, au sein des équipes composées par des ingénieurs, des doctorants ou d’anciens chercheurs qui sont aujourd’hui à nos côtés.
Autant d’éléments importants pour bien comprendre le contexte dans lequel évolue actuellement la fonction RH chez smartTrade. Nous sommes 6 et notre ambition est de mettre en place ce qui fait sens. À la fois pour le business de l’entreprise et son développement à tous les niveaux. Ce qui inclut le développement des collaborateurs.
Cette approche oblige à avoir un double prisme : est-ce qu’en tant que DRH j’apporte de la valeur à mon entreprise ? C’est-à-dire à son business, mais aussi aux équipes ?
L’objectif : transformer les ressources humaines
Depuis ma prise de poste, je fais donc en sorte de transformer la RH. D’une posture purement transactionnelle, je cherche à l’orienter davantage vers une approche de fonction partenaire du business. Ceci en restructurant par exemple la RH par business unit plutôt que par pays. Mon objectif étant notamment de créer des liens étroits avec le management.
Je considère que la fonction RH doit penser, organiser, déployer différentes actions pour restructurer et développer les ressources humaines. Ceci toujours en partenariat et soutien des opérationnels. Et c’est ce lien avec le business et la valeur ajoutée que l’on peut apporter au développement des collaborateurs qui me plaît à ce type de poste.
En ce sens, j’éprouve par exemple plus de satisfaction à augmenter un salaire, réussir à rattraper un salarié prêt à partir, permettre à un employé d’aller en formation en vue d’une promotion, etc.
Quelles ont été — ou sont encore — vos problématiques RH ?
Comme je l’expliquais, il y a eu beaucoup de changements ces dernières années avec l’entrée du fonds d’investissement dans le capital et l’acquisition de l’entreprise au Canada. Le tout en l’espace d’un an et demi, ce qui a bouleversé les équipes.
À cela s’est ajouté le phénomène de la Great Resignation, la grande démission, qui nous a fait perdre des pans entiers d’équipes. En particulier aux États-Unis et au Canada.
Un benchmark des salaires nécessaire
Le premier sujet à traiter a ainsi été le turnover. Il faut savoir que je suis arrivée en pleine période d’augmentation annuelle des salaires. J’ai dû, très rapidement, mettre en place un process sans disposer d’historique sur les pratiques établies.
Aussi, en accompagnement de ce process, nous avons décidé de mettre en place une analyse globale des salaires par le biais d’un benchmark. Nous avons mis en place la méthode Mercer pour finalement constater que la majorité de nos développeurs étaient payés en dessous du marché.
Nous avons présenté les analyses à la direction et avons obtenu le déblocage d’un budget afin de procéder à un réajustement à mi-année.
C’est ainsi que nous avons pu mettre en place, au fil de l’eau, notre road map RH. Même si la première année, il faut l’admettre, il s’agissait plus d’un travail d’observation et de réaction que d’anticipation.
La montée en compétence du management
L’autre volet, c’était l’accompagnement des managers. Je viens de donner un exemple et, pour schématiser, le personnel était géré dans une espèce de brouillard. Sans forcément connaître les règles du jeu. Il fallait donc travailler là-dessus justement pour favoriser le développement des collaborateurs et limiter le risque de perte de connaissance lié au turnover.
Ainsi, juste après le benchmark des salaires, nous avons mis en place une People Review en utilisant une matrice Nine Box. Mais surtout en embarquant les managers qui n’avaient jamais fait l’exercice, n’avaient jamais parlé de leur équipe d’un point de vue qualitatif.
L’idée, c’était vraiment d’identifier les performeurs les plus faibles, les potentiels à risque. En réalité, le management connaissait déjà plus ou moins les réalités du terrain. Mais une fois les choses mises à plat, sur le papier, on prend conscience des choses autrement. Et c’est ce qui nous a permis de mettre en place des plans d’action, d’accompagnement vers des trajectoires de carrière ou de développement par le biais de formations, de promotions, d’évolutions latérales.
De même, nous avons travaillé avec les managers à la construction de ponts. L’enjeu ? Comprendre pourquoi les mauvais performeurs étaient de mauvais performeurs. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils ne l’étaient pas parce qu’ils n’y arrivaient pas. Mais simplement parce qu’ils n’étaient pas formés par le management sur leur poste.
En somme, nous avons cherché en priorité à responsabiliser les managers. Pour qu’ils puissent prendre du recul et s’approprier le pilotage des compétences, l’onboarding, le transfert des connaissances, etc.
Autre exemple, dans le même esprit : la structuration du département Sales. Je parle bien de structuration et non pas de restructuration. Car, globalement, il n’y avait pas vraiment de culture Sales. Il a donc fallu mettre en place toute une revue de pipeline pour mieux organiser et anticiper l’activité afin de limiter la potentielle perte de clients.
L’enjeu était vraiment de les faire monter en compétence. Le département concerné a ainsi bénéficié d’une formation orientée sur le conseil à la clientèle et la connaissance des produits.
Aujourd’hui, cela fait un an qu’il est désormais stabilisé. Avec des collaborateurs qui performent, qui traquent leur temps, qui ont une bien meilleure vision des revenus, etc.
Comment vos outils RH accompagnent le développement RH chez smartTrade ?
À l’échelle de la RH, il y a aussi eu des changements. C’est simple, nous venons de remplacer absolument tous nos outils RH. Désormais, nous sommes équipés d’un nouveau SIRH, d’un ATS (Teamtailor) et d’une plateforme de gestion des talents : Elevo.
Pourquoi était-ce si important d’opérer cette évolution d’environnement RH ? Parce qu’elle s’inscrivait dans la continuité de notre approche RH visant à améliorer nos pratiques et nos process internes. Nous sommes une entreprise orientée Tech. La RH doit donc être moderne et se doter des derniers outils, les plus performants.
D’une part, cela permet au service RH d’être scalable par l’automatisation d’un maximum de tâches. Ce qui est absolument essentiel pour gagner en valeur ajoutée. En effet, si demain l’organisation réalise un nouveau rachat, intégrer les nouveaux collaborateurs ne sera plus aussi compliqué que par le passé.
D’autre part, ces équipements contribuent à fluidifier les relations avec les managers et à proposer des outils adaptés aux collaborateurs. En suscitant l’adhésion, ils servent, par ricochet, à soutenir nos ambitions et notre politique RH.
Par exemple, nous avons décalé de quelques mois la dernière Talent Review afin que celle d’Elevo soit opérationnelle. Un choix qu’on ne regrette pas du tout. L’outil est facile à prendre en main et plutôt intuitif. Certes, les managers avaient plus de maturité puisque nous avions déjà fait l’exercice l’an passé. Mais grâce à Elevo, nous avons pu avoir de vraies discussions avec eux : sur les collaborateurs, sur leur potentiel. C’est ensuite ce qui nous a permis de créer des plans, de générer des idées, d’organiser des changements, etc. Pour finalement faire évoluer les personnes de manière à exploiter au mieux leur potentiel, en les mettant au bon endroit.
En tant que DRH, c’est vraiment très satisfaisant de se dire qu’on peut faire en sorte de positionner les individus sur des postes où ils seront beaucoup, beaucoup, plus épanouis. Avec l’impact que l’on imagine sur l’entreprise.
Pour le moment, nous avons surtout déployé toute la partie gestion de la performance de l’offre Elevo, mais nous bénéficions d’ores et déjà de l’ensemble du package. Les autres fonctionnalités seront ensuite mises en œuvre au fil de l’eau, cette année et d’ici 2025.
Ce qui est très positif avec ces changements d’outils RH, c’est qu’en peu de temps, nous percevons déjà les bénéfices, dont certains que je n’avais même pas anticipés. C’est vrai pour Elevo dont je viens de parler, mais aussi en ce qui concerne le nouvel ATS, Teamtailor.
Les managers étaient très critiques sur le volet recrutement. Maintenant qu’ils ont une plateforme performante, la collaboration avec la RH, nécessaire à un bon recrutement, s’est mise en place. Tout est plus facile, nous avons pu recruter beaucoup plus rapidement. Ce qui encore une fois apporte une vraie valeur tant à l’entreprise qu’aux équipes elles-mêmes.
Selon vous, quel lien entre performance, engagement et développement RH ?
Lorsque nous avons fait les calibrations, je me suis rendu compte que l’évaluation des performances était biaisée. Dans les équipes, on estimait que répondre aux e-mails le soir, faire des heures supplémentaires, suffisait à évaluer un salarié et son engagement collaborateur.
En réalité, c’était plutôt du pifomètre. Basé sur un ressenti d’une forme d’implication, certes. Mais complètement décorrélé de l’analyse de la performance et de l’atteinte des objectifs.
De ce fait, nous avons revu notre système de gestion de la performance. En ce sens, début 2024, la RH a demandé la mise en place d’objectifs SMART détaillés, avec une revue à mi-année.
Dans cette optique, nous avons déployé des entretiens collaborateurs/managers. Non pas pour répondre à la nécessité communément admise d’accomplir des sortes de rituels un peu obligés. Mais pour insuffler plus de relation, plus de care management, au-delà des échanges centrés « business, business, business » du quotidien.
L’ambition est de gérer la performance de manière plus factuelle. Ceci afin qu’on arrive à mieux « reconnaître » les personnes d’une part, et à encourager la surperformance d’autre part puisque c’est le mandat qui m’a été donné. La performance des équipes, c’est bien, l’excellence, c’est mieux.
En réalité, il n’y a pas eu de changement drastique dans l’approche de la performance. Néanmoins, nous avons insufflé beaucoup plus de transparence. C’est-à-dire que nous avons expliqué aux managers comment évaluer et comment récompenser. Mais surtout nous avons communiqué ces règles du jeu aux collaborateurs qui, jusqu’alors, n’en avaient pas connaissance.
Pour ce qui est de la reconnaissance, nous avons aussi mis en place des primes exceptionnelles, symboliques peut-être, qui viennent valoriser l’engagement de telle personne sur tel ou tel projet. Ce qui, de notre côté, permet de générer une reconnaissance immédiate et nous apprend, à tous, à faire des feedbacks communs.
Quelles évolutions avez-vous constatées dans les attentes des collaborateurs ?
Après la crise, comme toutes les entreprises, la principale attente était pour le télétravail. Nous n’avons pas échappé à la règle. Outre-Atlantique, par exemple, nous avons permis aux équipes de faire du 100% télétravail. Car, dans le cas contraire, nos postes n’étaient même plus pris en considération. Ni par les collaborateurs ni par les candidats.
Maintenant, j’observe de vraies attentes en ce qui concerne le cloisonnement vie privée/vie professionnelle. Comme je l’ai indiqué en début d’entretien, nous avons beaucoup souffert de la grande démission et nous avons vu un certain nombre de collaborateurs partir. Entre autres, parce que le travail empiétait trop sur leur vie personnelle.
Notre problématique, c’est que l’activité suit la bourse. Nous fonctionnons donc en 24/7 avec du travail le week-end et des astreintes. Ceci afin de répondre aux besoins de tous nos clients en fonction des décalages horaires ou des rythmes de semaine (Middle East par exemple).
Pour répondre à ce besoin d’équilibre, nous avons adapté l’infrastructure de manière à offrir une vraie coupure du temps de travail. En ce sens, nous avons créé des postes dans chaque région. Afin que les équipes puissent désormais travailler sur cinq jours avec systématiquement deux jours de repos. Si les jours de travail tombent le week-end, nous adaptons la paie en conséquence parce que nous savons que c’est problématique pour nos collaborateurs.
Attentes des équipes françaises VS équipes anglo-saxonnes
En matière de développement, il y a une vraie différence entre les équipes françaises et les équipes anglo-saxonnes. Dans ces dernières, on nous demande, en particulier en Amérique du Nord, des plans de carrière. Or, à l’échelle de notre entreprise, ils sont compliqués à mettre en œuvre puisque nous n’avons pas la même visibilité que les grandes organisations.
En revanche, plus qu’un plan de carrière, nous devons être en mesure de proposer une trajectoire de développement. Ceci en expliquant qu’en étant à un poste X, on peut faire grandir le collaborateur sur une compétence Y. Pour, in fine, occuper des fonctions Z, etc.
Et ce, même si dans une entreprise comme la nôtre, il est plus probable que le collaborateur parte finalement sur une promotion (15% par an). Ou alors sur une mobilité internationale, un dispositif que nous actionnons régulièrement quand c’est possible.
À titre d’exemple, nous avons eu une Sales en Angleterre pour qui nous avons créé un poste aux États-Unis. Ce qui nous a permis de la garder dans nos effectifs puisqu’elle allait, de toute façon, suivre son mari muté dans ce pays.
Objectifs RH 2024-2025 : la formation et les compétences
De manière générale, la formation et les compétences font partie des objectifs RH 2024-2025 de smartTrade. C’est quelque chose à créer. Pour lequel nous voudrions, à terme, nous appuyer une nouvelle fois sur les modules proposés par notre outil Elevo.
En pratique, il y a beaucoup de sujets à voir, à aborder, à traiter en ce qui concerne le développement RH. Dans tous les secteurs d’activités, les regards sur la fonction ressources humaines tendent à évoluer, plus ou moins rapidement. Aujourd’hui, je pense que c’est à nous de pousser un peu les murs pour les prochaines générations.