Télétravail et surveillance semblent aller de pair depuis le premier confinement. Des logiciels “espions”, qui visent à surveiller les télétravailleurs, sont en effet en forte hausse depuis quelques mois. Craignant que les salariés baissent en productivité, les entreprises déploient en masse des logiciels pour traquer leur quotidien, en témoigne l’étude menée par le cabinet de consultants ISG, spécialiste de la recherche et du conseil en technologie pour de grands groupes internationaux. Sur 2000 entreprises interrogées, les dirigeants montrent un intérêt 500 fois supérieur à la normale pour ces dispositifs de surveillance.
Télétravail et surveillance : vers un flicage intrusif ?
Une autre étude encore, celle de TOP10VPN, confirme que les recherches autour des outils de surveillance ont bondi depuis le premier confinement. Et c’est tout le comportement digital du salarié que ces logiciels de surveillance dressent, grâce à certains paramètres : le nombre d’appels quotidiens, le temps passé en ligne sur des sites “productifs” et “non productifs”, l’enregistrement de sites web visités, le nombre d’e-mails expédiés, enregistrement des frappes, des clics de souris…. Les messageries instantanées sont contrôlées, tout comme le nombre d’e-mails envoyés. Parfois, il s’agit de captures d’écran aléatoires de l’ordinateur du salarié, effectuées toutes les 5 minutes.
Les logiciels Hubstaff et Clevercontrol semblent être les deux outils les plus sollicités, mais des équipements digitaux de plus en plus sophistiqués ne cessent de naître, à l’instar de Teramind, DeskTime, Kickidler, Time Doctor, FlexiSpy Crossover… Ces logiciels peuvent s’installer facilement à distance, sans même prévenir le salarié. Un tel niveau de surveillance, jugé intrusif, est légal aux Etats-Unis. Mais ce n’est pas le cas en France.
Télétravail et surveillance en France
En France, d’après l’article 6 de l’Accord national interprofessionnel relatif au télétravail du 19 juillet 2005, le salarié doit être prévenu de l’installation de ces logiciels et ces derniers ne peuvent être utilisés que si c’est justifié et proportionné, prévient la Commission nationale informatique et libertés ( Cnil). “Le principe de proportionnalité est le principe selon lequel les libertés individuelles doivent toujours être respectées. La Cnil a mis en place tout un tas de délibérations pour encadrer l’usage des outils technologiques par le salarié, pour protéger sa vie privée qui reste un droit fondamental dans l’exercice de sa vie professionnelle. Donc l’employeur peut s’introduire pour contrôler le travail du salarié, mais sur le plan juridique, c’est quelque chose qu’il ne pourra pas utiliser contre son salarié ou l’utiliser pour expliquer que, compte-tenu de tels ou tels éléments, son travail n’est pas satisfaisant. Il ne peut en définitif utiliser ces outils pour accéder à des éléments qui relèvent de la vie privée du salarié.” expliquait Alexandre Lazarègue, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit du numérique au micro de RFI.
L’entreprise doit aussi respecter les prescriptions du règlement général sur la protection des données (RGPD) et le Comité social et économique (CSE) doit être informé et consulté en amont.
Les conséquences d’une surveillance intrusive
D’après une autre étude de GetApp, les salariés réfractaires à ces outils de surveillance perçoivent une infantilisation et un manque de confiance de la part de la hiérarchie (41%), sont davantage stressés (48%), craignent une intrusion dans la vie privée (37%), et un manque de liberté et d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Cette surveillance abusive peut également donner lieu à l’hyperconnexion et au burn-out.
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Pour ne pas rompre la confiance et le contrat tacite et moral entre les salariés et les managers, l’entreprise se doit de rassurer, d’accompagner et engager les collaborateurs, afin de faire vivre la culture d’entreprise et de motiver les équipes. Utilisée à l’extrême, cette surveillance pourrait s’avérer contre productive.