La rédaction a eu le plaisir d’interviewer Jérôme Friteau, DRH de la CNAV, sur la thématique du sexisme au travail. Il a répondu à cette question : Les sujets propres à l’égalité, la diversité et l’inclusion dérangent-ils les professionnels des ressources humaines ?
Le sexisme au travail : un sujet qui dérange ?
Le dernier rapport HCE (Haut Conseil à l’Égalité) sur le sexisme en France est alarmant. Les discriminations fondées sur le sexe progressent dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. Elles ont principalement lieu dans «les sphères perçues comme particulièrement inégalitaires» : la rue et les transports (pour 57%), le foyer (49%), ou le monde du travail (46%). Le baromètre du HCE note par ailleurs un manque de confiance considérable vis-à-vis des institutions et des politiques dans la lutte et la formation contre les violences sexistes.
Les femmes sont toujours aussi nombreuses à vivre des situations de sexisme, ordinaire ou non, au travail. Ainsi, 80 % des femmes ont déjà eu le sentiment d’avoir été victimes d’inégalités de traitement en raison de leur sexe (37 % chez les hommes).
Selon Jérôme Friteau, les sujets liés au sexisme au travail et aux discriminations représentent effectivement des sujets sensibles pour les professionnels des RH. Notamment sur le réseau social professionnel LinkedIn.
Découvrez dans notre article sur le sujet : les 15 RH à suivre sur LinkedIn.
Mes pairs, les RH, sont peut-être fébriles à l’idée d’aborder ce sujet parce qu’il peut faire émerger de nombreuses problématiques au sein de nos organisations. Quand on soulève le couvercle, on ne sait pas ce qu’on va y trouver. C’est la même logique qu’avec le phénomène #MeToo finalement. Je pense que les RH ont peur de ce #MeToo, qui libère la parole et peut ouvrir la boîte de Pandore. Les mettant en porte-à-faux. Cela ne signifie pas qu’ils n’agissent pas. Mais ils ne sont peut-être pas toujours à l’aise pour commenter un post sur LinkedIn ou prendre la parole en personne à ce sujet.
Le DRH de la CNAV précise que c’est d’autant plus vrai sachant que les phénomènes sexistes touchent assez souvent des personnes qui ont un peu de pouvoir dans l’entreprise. Cela peut concerner des managers, ou même des cadres dirigeants. Ce sont donc des sujets sur lesquels le RH doit se sentir fort et surtout soutenu par la Direction Générale pour les aborder.
“ Si certains tabous existent dans leur propre entreprise, en s’exprimant, les professionnels des RH prennent des risques. Des salariés pourraient leur dire : “c’est bien joli de liker ou de commenter des posts à ce sujet, mais tu ferais bien de faire le ménage en interne “ affirme t-il.
Tolérance zéro face au sexisme au travail
Depuis un an, Jérôme Friteau observe une sorte de “phénomène de décompensation post crise sanitaire”, avec des comportements et des agissements déviants plus nombreux qu’auparavant. Il affirme avoir notamment traité des situations individuelles du sexisme au travail en nombre plus important que ces cinq dernières années. “Et j’en ai même fait un point d’actualité en CSE devant les partenaires sociaux”, précise t-il.
Alors, le télétravail favorise-t-il les comportements sexistes ? Certaines personnes adopteraient des comportements déviants car l’éloignement serait propice à créer une forme d’impunité.
Jérôme Friteau estime que dans les comportements sexistes, il n’y a pas toujours une forme d’intention de nuire ou de perversité. Par contre, il témoigne souvent d’une perte de repères absolue chez l’auteur d’agissements sexistes. Il explique que récemment, il a dû effectuer un certain nombre de licenciements pour faute, dont plusieurs avec des accusations de harcèlemement et un avec la qualification de harcèlement sexuel. Les salariés concernés, notamment lorsqu’ils sont cadres, avec une franchise parfois manifeste, ne comprennent véritablement pas ce qui leur arrive.
Nous affichons une tolérance zéro face à ces comportements sexistes, dès lors qu’ils sont portés à notre connaissance et documentés. Les collaborateurs doivent être au courant de la politique de l’employeur. Si notre posture face à ces comportements inacceptables n’est pas exemplaire, forcément, ce phénomène risque de s’amplifier. Lorsqu’on a suffisamment d’éléments et qu’on arrive à sanctionner un harceleur et à qualifier les faits, un immense soulagement est perceptible chez les personnes qui ont pu en être victimes.
« Ce sentiment génère une mécanique de reconnaissance professionnelle très puissante ”, précise t-il. De la part de la victime mais aussi des autres membres de l’équipe ou des managers ayant pu être témoins de tels comportements.
La nécessité d’adapter sa politique de recrutement
Par ailleurs, selon lui, certaines entreprises appliquent des stratégies de recrutement qui vont totalement à l’encontre d’une politique en faveur de l’inclusion et de la diversité. Selon lui, les sujets liés au sexisme au travail s’expriment aussi sur la question des diplômes et des formations initiales requises.
“ Certaines grandes entreprises, notamment dans le conseil, affichent qu’elles recrutent exclusivement dans certaines écoles. Même si ces écoles peuvent s’investir elles-mêmes sur des programmes de rééquilibrage en faveur des femmes, par exemple, on ne peut pas appeler ça de la diversité pour l’entreprise qui recrute sur un ou deux diplômes ” estime Jérôme Friteau. « Je me demande même comment le modèle économique d’un grand cabinet de conseil peut être viable avec des profils monolithiques sur une même mission. Les clients de ces structures peuvent avoir l’impression d’avoir des clones en face d’eux, qui réfléchissent tous avec le même prisme, quelle que soit la nature de la problématique professionnelle rencontrée ou le projet à conduire, qui emporte systématiquement de multiples dimensions.” affirme t-il.
Selon lui, pour créer véritablement de la valeur, les visions de profils complémentaires, qui ont des expertises différentes, des histoires professionnelles et des origines sociales différentes, doivent se contrebalancer et se compléter pour créer une performance globale.
Quelles solutions face à ces discriminations fondées sur le sexe ?
Selon le baromètre Ekilibre Conseil 2022, 60% des salariés, du public comme du privé, ont déjà été exposés au moins une fois à un agissement à caractère sexiste ou sexuel dans le cadre de leur travail. Les femmes sont 57 % à avoir déjà été confrontées à des blagues ou remarques à caractère sexiste. Au sein des catégories socio-professionnelles supérieures, 2 femmes sur 3 seraient concernées.
En mars 2022 est entrée en vigueur une loi qui durcit la répression du sexisme au travail. Les propos et les comportements à connotation sexiste répétés sont susceptibles d’être qualifiés de « harcèlement sexuel ». Ce qui peut en effet donner lieu à des poursuites pénales. Les “blagues” sexuelles ainsi que les comportements sexistes peuvent engendrer de lourdes conséquences pour leurs auteurs.
Alors, comment lutter contre le sexisme au travail ? Comment lutter contre ces discriminations dans la sphère professionnelle ? Comment préserver la santé physique et mentale des salariés, leur qualité de vie et conditions de travail (QVCT) ?
Que dit le droit en matière de sexisme au travail ? Le code du travail précise dans l’article L1153-1 : “Aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”.
Le rapport du HCE propose en ce sens d’instaurer un volet préventif, un “plan d’urgence global” destiné aux organisations.
Le constat est clair. La prévention face au sexisme doit être inculquée dès le plus jeune âge. Et au quotidien, la lutte contre ces stéréotypes doit porter sur la protection et la répression, mais également sur la sensibilisation dès le plus jeune âge, comme le précise également l’Anact.
Le rapport du HCE prévoit à cet effet des actions pour lutter contre le sexisme au travail :
- Une obligation de résultats pour les politiques d’égalité
- D’exiger des mesures telles que la réduction des écarts de salaire, des dispositifs de lutte contre le harcèlement sexuel ou moral dans le secteur privé, “évaluées sous trois ans”
- La mise en action de l’index égalité Pénicaud dans le secteur public
- Des sanctions allant jusqu’à 1 % de la masse salariale en cas de non-respect des mesures
- Un plan national d’orientation professionnelle afin d’orienter “les jeunes filles vers les métiers scientifiques, techniques, numériques, et d’avenir”