C’est formidable de constater à quel point la Marque Employeur fait couler beaucoup d’encre : entre des blogs thématiques (souvent rédigés par des acteurs de bonne volonté mais dont l’expérience en accompagnement et création de Marques Employeur reste toute relative) aux grandes entreprises qui multiplient les postes de Responsable de Marque Employeur dont la seule mission reste le sourcing et l’attractivité, ce concept est plus que jamais à la mode.
La Marque Employeur est incontournable.
On pourrait s’en réjouir si sa contribution allait dans le sens d’une harmonie sociale et de la valorisation à la fois de la valeur travail et de relations humaines durables. Force est MALHEUREUSEMENT de constater qu’il n’en est rien.
Partant du principe que la Marque Employeur n’est que la Marque traitée sous l’angle employeur (c’est-à-dire la contribution comportementale, identitaire, métiers, managériale, sociétale (…) des salariés face aux engagements de la Marque), la définition que j’avais créée, et déposée en 1998, (à l’époque Président de Guillaume Tell au sein de Publicis ) est plus que jamais d’actualité : « la mise en COHERENCE de toutes les expressions employeur de l’entreprise, internes et externes, et ce, au nom de la performance de cette dernière ».
Il est impressionnant de constater le nombre de sociétés dont le graal est de figurer dans les palmarès des enquêtes de référence en terme d’attractivité auprès des jeunes diplômés ou de décrocher les labels qui vous confèrent un statut d’employeur de premier choix. Ces dernières se glorifiant alors d’une Marque Employeur performante.
Si tout cela sonnait vrai, y aurait-il autant de mal-être dans les entreprises (à commencer chez les cadres) et autant de cloisonnement dans les organisations managériales et RH en particulier ? Y aurait-il aussi autant de défiance chez les jeunes vis-à-vis des entreprises ?
Le manque de cohérence entre les paroles et les actes, entre valeurs personnelles et professionnelles, est ce qui discrédite aujourd’hui la parole de l’entreprise.
A un moment charnière où les modèles RH sont à réinventer, où les relations humaines professionnelles se tissent indépendamment de l’entreprise, où face aux écueils des générations sacrifiées, relever le défi de la fidélité salariale est une gageure, le concept de Marque Employeur vit une crise sémantique inouïe tant les entreprises peinent à s’adapter aux évolutions sociologiques.
Le travail devient le bien le plus important à acquérir et à protéger face à une paupérisation accrue de la population qui, dans la mouvance des réseaux sociaux, commence de plus en plus à bannir les frontières «de l’équilibre de vie perso/pro » initié dans la mouvance des 35H au profit « de vies pleines » (cf. Zygmunt Bauman).
La plupart des entreprises continue à être dans l’incantation d’un monde idéal, joue avec les gadgets à la mode mais ne répond que rarement aux aspirations de sens de leurs publics internes et externes. Rares sont celles qui se donnent véritablement à vivre en aventure humaine sur la durée. Refrain vieux comme le monde me direz-vous et vous avez raison, mais refrain inexcusable à l’heure de l’internet mobile.
Pour que l’avenir de la Marque Employeur ne soit pas en trompe-l’oeil, il est important de souligner que le vrai enjeu est d’inventer une nouvelle écriture corporate pour les entreprises. La Marque Employeur dessine aujourd’hui ce qui sera commun d’appeler demain, le CORPORATE HUMAIN.
Mon expérience, développée par les centaines d’entreprises que j’ai eu le plaisir de conseiller et les milliers d’interviews de dirigeants que j’ai pu réaliser, m’amène à fixer trois priorités majeures pour l’avenir de la Marque Employeur et l’avènement du Corporate Humain :
Mobiliser les dirigeants d’entreprise sur le sujet de la Marque Employeur
Au risque d’en choquer plus d’un, il est affligeant de constater le manque d’implication des leaders sur le sujet. Pour preuve, la nature même des appels d’offres qui n’a pour ainsi dire pas changer en 20 ans, si ce n’est la présence accrue des services achats ; rares sont les dirigeants à recevoir les agences, à commencer par les DRH eux-mêmes, censés être les dépositaires du concept. Le travail d’investigation culturel est la plupart du temps exclu car bien évidemment il faut aller vite. Délai moyen accordé entre 2 et 4 semaines ! Rencontrer les dirigeants pour les questionner sur leur ambition humaine ? Impensable ! Donner la parole aux salariés pour mesurer l’écart entre le brief et le vécu ? Trop compliqué !
Soyons raisonnables, comment peut-on penser, si on part du principe que ce concept de Marque Employeur est aussi important qu’on le dit, que des agences aussi brillantes soient elles, puissent faire un vrai travail sérieux, distinctif et pérenne sans entrer dans « l’intimité » de l’entreprise ? Pour bâtir une stratégie pertinente, il faut un travail de fond compris entre un et plusieurs mois… Ce qui bien sûr a tendance à relativiser l’impact des illusionnistes capables de vous packager une Marque Employeur en quinze jours ou vous faire croire qu’avec leur solution miracle, clé en main, vous serez doté d’une Marque Employeur. Les rites, la culture, le langage, le management, la transmission, la plateforme de Marque passent aisément à la trappe alors qu’ils sont les composantes même de l’éthique de la démarche.
UNE VRAIE STRATEGIE DE MARQUE EMPLOYEUR EST LE MIROIR DE L’AMBITION HUMAINE DE LA GOUVERNANCE POUR LES 5 ANS A VENIR EN ADEQUATION PARFAITE AVEC LA STRATEGIE DE MARQUE DE L’ENTREPRISE.
Jouer « petits bras » ou « courte vue » sur le sujet revient à se déjuger et à envoyer le pire des signaux à ses parties prenantes, internes et externes.
Doter enfin la Marque Employeur de vrais budgets et de vrais moyens
Avec « 70% des consommateurs 25/49 ans qui déclarent que l’intérêt porté à ses salariés par une entreprise va de plus en plus conditionner l’acte d’achat de ses produits ou de ses services (IPSOS) », « 84% des citoyens qui affirment ne pas avoir confiance en la parole de l’entreprise (Congrès HR 2013) », qui peut nier l’impact de la Marque Employeur dans toutes les composantes institutionnelles de l’entreprise ? Et pourtant, il est pathétique de constater le peu de moyens alloués au rayonnement de la Marque Employeur. A un moment où nous flirtons dangereusement avec les 30% de chômage chez les jeunes, où l’entreprise est plus que jamais pointée du doigt, où le moral des salariés n’a jamais été aussi bas, qu’attend-on pour investir massivement sur le sujet ? La plupart des entreprises contrairement à celles et ceux qui voient toujours le verre à moitié vide sont vertueuses, pourquoi ne le font-elles pas plus savoir ?
En France, il n’est pas de bon aloi d’être transparent sur le plan RH : soit on joue de la surenchère au risque d’être discrédité – l’image de ces campagnes RH qui louent le paradis sur terre – soit au contraire, on se la joue discrétion totale en croyant que l’attractivité, la fidélisation et la réputation s’auto-entretiennent par l’opération du Saint-Esprit. La réalité est plus crue et triste aussi : confié la plupart du temps aux DRH, ce concept de Marque Employeur est pénalisé par l’absence de moyens de ces derniers (à titre d’exemple, les budgets de communication RH ont été réduits de 80% en 20 ans au profit de solutions techniques de sourcing et au détriment de l’image). En 15 ans, les DRH, ayant, avec beaucoup trop de docilité, respecté les diktats des directions financières n’ont pas su légitimer leur rôle central dans le débat du sens en entreprise et se sont vus progressivement dépossédés des moyens financiers nécessaires. Une solide réputation employeur et une marque employeur forte ne se décrètent pas mais se bâtissent sur la durée.
Dans sa sagesse, le législateur a déjà exclu du périmètre publicitaire (Loi Sapin 1994), la communication RH lui reconnaissant son rôle sociétal ; dans le contexte social actuel, les stratégies de Marque Employeur devraient être sponsorisées par les pouvoirs publics, tant l’économie a besoin de clairvoyance et de positivisme pour faire renaître une confiance perdue ! Au-delà du clin d’oeil à tous ceux qui appauvrissent la parole humaine de l’entreprise en vantant des recettes à 3€ six sous ou ceux qui voudraient faire du statut social de l’entreprise un sujet publicitaire, véritable porte ouverte à toute les manipulations, mon expérience m’a, là aussi, appris qu’il n’y a pas de fatalisme à la pauvreté des moyens alloués à la Marque Employeur :
1. Il n’y a de réels budgets que pour les réelles ambitions humaines : soit on est fier de ce que l’on représente en tant qu’employeur, et on se donne les moyens de le faire savoir pour assurer durablement sa compétitivité employeur, soit on reste adepte d’un opportunisme de bon aloi.
2. Il est possible de se doter de vrais moyens économiques pour bâtir et promouvoir une solide réputation employeur sans faire dépenser un euro de plus à l’entreprise ! Comment ? En opérant l’arbitrage qui dépasse les guéguerres internes d’égos et de territoires au profit d’une vision transversale de la Marque Employeur via une contribution décrétée par la Direction générale (et elle seule, c’est son devoir) de l’ensemble des directions émettrices de messages internes /externes. J’évalue selon les secteurs d’activité, cette contribution entre 2 et 15% des budgets de publicité, de communication financière, de communication environnementale, scientifique (…) qui viendraient s’additionner aux budgets classiques de communication interne ou de recrutement pour faire simple. Dans les périmètres « donateurs », cela ne changerait absolument rien à leur performance respective. Celui qui prétendrait le contraire joue contre son camp.
LA MARQUE EMPLOYEUR EST UN SUJET D’AVENIR, VERITABLE POSTE D’INVESTISSEMENT DONT LE ROI NE DOIT PAS SE MESURER EXCLUSIVEMENT EN TERMES D’ATTRACTIVITE, DE COÛT DU CV ET DE FIDELISATION, MAIS AUSSI ET AVANT TOUT EN TERME DE REPUTATION.
Oser la créativité exclusive !
La fierté d’être ne se développe pas en proposant de ressembler à tout le monde ! La Marque Employeur est le Maillot de l’entreprise ; elle sublime ce qui fait sa différence culturelle, identitaire, spirituelle aussi. A l’heure où les entreprises n’ont jamais eu autant de choix en termes, de support de communication, force est de constater le manque d’ambition créative.
L’approche « outils », le manque de mise en perspective des besoins, la technicité des sujets (recrutement, intégration, social…) prennent le pas sur le fond. On peut estimer à 80% le pourcentage de grandes entreprises qui n’ont jamais travailler de discours socle employeur !
La créativité commence par la force des mots et des concepts ! En amont de toute Marque Employeur doit se développer une plateforme sémantique structurante en interne comme en externe, si on ne veut pas prendre, comme c’est trop souvent les cas, les mots pour des idées !
En matière de Marque Employeur, parler de créativité c’est avant tout parler de justesse et de précision : au nom de la culture, de l’histoire, de la vision, la Marque Employeur doit viser une créativité cohérente avec la vraie vie des salariés et les engagements de la Marque ; une Marque Employeur réussie, c’est une démarche qui cautionne une posture de sélectivité assumée. Encore une fois, il ne s’agit pas de Pub mais d’Humain avant tout !
Dotée de moyens « dignes », la Marque Employeur peut être multicanale et éviter les raccourcis du genre « il faut être sur Facebook ou sur tel ou tel réseau social». Chaque terrain de jeux réclame une adaptation créative de la prise de parole employeur et ne doit pas laisser primer la forme sur le fond !
L’entreprise doit comprendre que sa Marque Employeur peut s’exprimer partout dès lors que le média est juste, pertinent, cohérent avec ses rites culturels. C’est d’ailleurs pour cela que le métier d’agence conseil ( cf l’ACCE- Association des Agences Conseil en Communication pour l’Emploi) existe depuis plus de soixante ans : savoir conseiller au-delà de toute vision partisane ou mercantile.
LA MARQUE EMPLOYEUR CULTIVE ET DEVELOPPE LE CAPITAL CONFIANCE DE LA MARQUE, SON EXPRESSION CREATIVE NE DOIT EN RIEN ETRE TIMOREE MAIS BIEN AUDACIEUSE AU CONTRAIRE.
En conclusion, si l’on peut accepter que le concept de Marque Employeur fasse parler de lui, il lui reste à prouver son importance stratégique corporate. Et comme on peut lire un peu partout que le Capital Humain est la première richesse des entreprises, il est permis d’espérer ou de continuer à sourire …
Qui est Didier Pitelet ?
Reconnu comme l’un des meilleurs experts européens en communcation et en management, Didier Pitelet, après 16 ans passés à la tête de plusieurs entreprises de conseils et de communication, a fondé Moons’Factory en 2006 (Onthemoon, Moonpress, E-Walking et Moons’Académy), premier groupe spécialisé dans le conseil en réputation d’entreprise.
Ses ouvrages et notes de conjoncture développent depuis plus de dix ans les enjeux de gouvernance d’entreprise et de management des relations humaines pour les années à venir.Il a publié en février 2013 aux éditions Eyrolles « Le Prix de la Confiance ».