Sans un référentiel de vraies valeurs, pas de marque employeur cohérente et pérenne. C’est le postulat de Vincent Rostaing, fondateur de Le Cairn 4 IT, et Jérôme Guibourgé, sémioticien. Ils expliquent la nécessité et l’intérêt de son élaboration, un travail où facteur temps et mode collaboratif occupent une place importante.
« La marque employeur est un cri qui vient de l’intérieur », plaisante Vincent Rostaing, fondateur de Le Cairn 4 IT, spécialiste de l’optimisation du cycle de vie professionnel. La référence musicale peut faire sourire, l’analogie n’en est pas moins juste, qui met l’accent sur la nécessité d’un accord entre le dedans et le dehors pour éviter le « grand écart » entre le discours marque employeur et les pratiques managériales. Une gymnastique inconfortable à laquelle l’entreprise peut difficilement se soustraire « lorsque les valeurs qui composent sa marque employeur ne sont pas en relation avec ses valeurs internes », comme l’observe Jérôme Guibourgé, sémioticien et consultant en planification de contenu. Des choses qui arrivent quand les valeurs cuisinées par le marketing et la communication ne sont pas complètement alignées sur les valeurs intrinsèques de l’entreprise.
C’est dans toutes les strates d’une organisation qu’il faut aller chercher ces dernières : « Dans ses statuts, sa raison sociale, les objectifs de son créateur, dans ses différentes productions et représentations – packaging, agencement des bureaux, e-réputation, etc. », explique Vincent Rostaing. Mis bout à bout, ces différents éléments constituent le fameux ADN de la marque. Leur cohérence fait celle de l’image globale de l’entreprise, marque employeur comprise.
Par ailleurs, comme l’entreprise intègre de plus en plus de valeurs sociétales, elle peut de moins en moins se permettre de jouer sa partie sans se soucier de « la pression sociale, de l’opposition du public, relayée grâce aux médias », note Jérôme Guibourgé. Cette meilleure prise en compte de « l’interdépendance des cultures et des individus, cette recherche éthique » sont des contraintes qui, idéalement, doivent profiter à l’individu comme au collectif.
Motivation, performance, sens et qualité de vie au travail
« Ce sont les valeurs qui font agir les gens – dès qu’on les traite comme des outils techniques, ça ne fonctionne plus –, il faut donc que les valeurs soient entendues par tout le monde dans l’organisation », explique notre sémioticien. La psychologie a démontré que les valeurs sous-tendent nos motivations, la sociologie a montré qu’elles n’ont de consistance que si elles sont partagées et la sociologie du travail a constaté que les entreprises les plus performantes sont celles qui arrivent à mobiliser des personnes ayant les mêmes valeurs. On comprend donc qu’en l’absence d’un socle de vraies valeurs communes, une entreprise ne peut motiver et impliquer correctement ses différentes parties prenantes (collaborateurs, clients, partenaires…).
De plus, comme le signale Vincent Rostaing, on peut « accrocher plein de wagons à un référentiel de valeurs solide, grâce à lui, il est plus facile par exemple d’élaborer une politique RSE, de faire passer ses messages internes jusque dans l’ergonomie d’un poste de travail et, en améliorant le sens au travail, de contribuer à la prévention des risques psychosociaux. » C’est un référentiel de valeurs ad hoc qui permet en outre d’éditer un guide d’utilisation des réseaux sociaux à l’usage des salariés ; cela signifie que ce travail sur le référentiel est aussi collaboratif : les employés peuvent se dire que les idées fortes de l’entreprise sont bien « celles qu’ils ont contribué à faire émerger ».
Cohérence, cohésion, congruence
Le temps est l’allié de la cohérence de la marque employeur. « Il faut en prendre pour savoir sur quel socle on s’appuie, sinon la marque employeur est stratagème, écran de fumée, une stratégie vouée à l’échec dans un monde converti au 2.0, où ce que l’on fait en interne se sait en externe », souligne Vincent Rostaing. Ainsi, c’est lors d’un travail de fond que l’on comprend en quoi deux coopératives sont finalement différentes. Passée la première impression, – qui dit coopérative dit valeurs communes ? à vérifier –, un travail sur leur référentiel de valeurs respectifs fait émerger que l’une est dans une logique de rentabilité tandis que l’autre cherche à produire au meilleur coût pour nourrir le plus de personnes possibles. Ainsi, la fusion prévue ne se fera pas.
Fabriquer ce référentiel passe par un travail sur la cohérence de « l’univers de sens de l’entreprise », explique Jérôme Guibourgé. Puis sur la cohésion au sein même de chacun de ses discours, sur la façon dont ils s’articulent entre eux. Enfin, sur la congruence, c’est-à-dire sur la façon dont on intègre ceux à qui l’on parle : « Une partie de celui à qui s’adresse l’entreprise doit se retrouver dans son langage ».
Les entreprises les plus avancées sur le sujet, comme la RATP ou AXA, ont édité des chartes de langage à partir de l’analyse de trois dimensions :
- Verticale : il s’agit de prendre en compte les éléments de langage partagés partout dans l’entreprise, à tous les niveaux hiérarchiques.
- Horizontale : on prend en compte les éléments partagés entre les différents services, départements, entités…
- En profondeur : on étudie les éléments de langage partagés sur des mêmes postes.
Un travail qui rappelle que les premiers vecteurs de la marque sont les salariés, qui parlent d’elle en bien ou en mal. « On pense une charte sémantique, éditoriale, rédactionnelle par exemple et par-dessus, on fait participer tous les collaborateurs, dans les différentes logiques », poursuit-il.
Toutefois, il est tout à fait possible de détecter les valeurs intrinsèques d’une entreprise sans aller jusqu’à l’élaboration d’une charte de langage. « C’est l’identification aux valeurs qui fait gagner en cohérence le discours employeur », conclut M. Guibourgé.
Des valeurs, oui, mais des vraies « Une vraie valeur n’est conditionnée par rien, c’est elle qui conditionne. La liberté, l’amour sont de vraies valeurs. En revanche, parmi celles qui sont généralement mises en avant par les entreprises, on trouve de vraies fausses valeurs : la performance ou le succès par exemple (ils sont conditionnés par un ensemble de critères). On trouve aussi des valeurs tellement évidentes qu’elles sont inefficaces, telles que la différence (pour qu’une entreprise existe, elle est obligée d’être différente des autres) ou la confiance (une marque qui n’installe pas de confiance entre elle et ses clients disparaîtra). Rappelons qu’une valeur n’a pas forcément de contenu éthique ou moral, ce n’est pas ce que nous recherchons dans ce travail. Ce qui compte pour une entreprise c’est de sélectionner et de hiérarchiser des valeurs, techniques et/ou collectives, à partir desquelles dégager du sens pour communiquer et agir. » Jérôme Guibourgé, consultant en planification de contenu et sémioticien. |
Sophie Girardeau