Ce matin de septembre 2022, je reçois pour la première fois en consultation, Anne, âgée d’une cinquantaine d’années.
Dès les premières minutes de conversation, elle fond en larmes et me dit d’une voix toute timide : « j’ai été faible, je n’ai pas tenu… ».
Elle me dit qu’elle s’est enfuie de son travail en pleine journée suite à une énième altercation verbale avec sa collègue et tellement « traumatisée » par ce qui s’est passé, son médecin traitant a décidé de lui prescrire un arrêt de travail de quatre semaines.
Chronique d’un harcèlement moral horizontal
En tant que psychologue spécialisée en clinique du travail, il m’est arrivé d’accompagner des patients ayant subi un harcèlement moral au travail de la part de leur supérieur hiérarchique et j’avoue que c’est la première fois que je suis face à une patiente qui a subi ce type de harcèlement au travail horizontal.
Anne, comptable depuis plus de 20 ans, a été débauchée en mars 2022 par une des associés d’un grand cabinet d’experts comptables, suite au départ d’une salariée présente dans le cabinet depuis plus de dix ans.
Elle a démissionné de son ancien poste et a rejoint ce cabinet où le poste tel qui lui a été présenté lui paraissait intéressant avec des conditions plus avantageuses notamment au niveau salarial.
Elle était intégrée au sein du service « paie » où avec sa collègue, elles sont en charge d’une trentaine de clients. La collègue en question est sur son poste depuis plus de cinq ans et à priori, elle aurait souhaité avoir le poste nouvellement occupé par ma patiente dans la mesure où l’occupant du poste assure la coordination fonctionnelle du service.
Mais ironie du sort… C’est sa collègue qui n’a pas été prise sur le poste qui devait la former sur l’utilisation des logiciels métier et elle devait par ailleurs former Anne sur certains dossiers.
Et selon Anne, la situation n’était pas simple dès le départ car les associés du cabinet n’avaient pas le temps à lui consacrer et sa collègue, « contrainte » par la hiérarchie d’assurer sa formation, ne l’a sans doute pas fait de gaieté de cœur. D’où son manque de patience, sa forte intransigeance, ses reproches et ses remontrances quasi quotidiens à l’égard de ma patiente.
Harcèlement entre collègues : comment cela est-il possible ?
Anne a eu beaucoup de mal à accepter l’idée qu’elle a subi un harcèlement moral de la part de sa collègue car elle était convaincue que ce qui lui est arrivé était de sa faute : elle n’était pas assez compétente sur le poste et elle était fragile.
Il a donc fallu dans un premier temps axer le travail d’accompagnement dans la déconstruction du mécanisme qui était en jeu afin qu’elle se déculpabilise et qu’elle réalise qu’elle est une victime.
Une hiérarchie très peu présente dans l’accompagnement à la prise de poste…
A sa prise de fonction, l’associée qui a débauché Anne l’a accueillie, l’a présentée à tous les salariés du cabinet et lui a présenté sa feuille de route pour les prochaines semaines. Et à l’issue de cette demi-journée d’accompagnement, Anne a été « confiée » à sa collègue.
Comme tout nouveau salarié arrivant dans une nouvelle entreprise, Anne avait besoin d’être soutenue, accompagnée et rassurée par ses supérieurs hiérarchiques. Mais ces derniers, par manque de temps sans doute, avaient estimé que sa collègue (et binôme) serait apte à assurer l’accompagnement à la prise de fonctions de Anne, son onboarding. Etant en charge de formation de sa nouvelle collègue qui occupe désormais le poste qu’elle a convoité, de l’extérieur, je trouve que la situation est assez « paradoxante » car celle qui doit être sous la responsabilité fonctionnelle de ma patiente, se trouve en position haute car elle est en charge de la faire monter en compétences.
Au bout de quelques jours, Anne se serait sentie « dépassée » et « insécurisée » car il y avait une multitude d’informations à noter, à retenir… Elle a commis les premières erreurs au bout de quelques jours, et sont apparues les tensions avec sa collègue ensuite, qui commençait à lui parler mal, à la réprimander en privé et en public.
Une hiérarchie qui tente de ménager la chèvre et le chou…
Anne qui est de nature réservée et discrète n’ose pas faire part directement à ces supérieurs hiérarchiques de ses difficultés et des tensions qui existent entre sa collègue et elle : « je ne voulais pas les déranger pour ça, et en plus, ils savent très bien ce qui se passe car nous travaillons en open space et les portes ne sont fermées que lorsque l’un des associés reçoit des clients ou doit passer des appels confidentiels », me dit-elle.
Elle en a parlé une fois à l’associée qui l’a débauchée de son ancienne entreprise et celle-ci lui aurait dit : « ne faites pas attention à ce qu’elle vous dit, elle a un fort caractère ». Avec le recul, Anne pense aujourd’hui que ses supérieurs hiérarchiques ne voulaient surtout pas « recadrer » sa collègue pour ne pas la froisser car elle est devenue indispensable au cabinet : elle a l’ancienneté et elle a une maitrise technique des logiciels utilisés.
Anne subit et vit très mal la situation de tension qui perdure : elle se sent lâchée par ses supérieurs hiérarchiques et elle commence à regretter son choix d’avoir démissionné de son ancien emploi. Et pas étonnant : les premiers troubles psychosomatiques sont apparus à peine quelques semaines après sa prise de poste.
Harcèlement au travail : quelles sont les conséquences pour la victime ?
Anne est venue me voir deux semaines après qu’elle s’est fait arrêter par son médecin traitant suite à l’altercation violente avec sa collègue. A l’issue de la première consultation, je décèle chez ma patiente, comme chez beaucoup victimes de harcèlement moral, un trouble de stress post-traumatique avec les symptômes suivants :
- Une angoisse aiguë avec des manifestations physiques (tremblements, tachycardie, etc.)
- Le retour en boucle des scènes de disputes avec sa collègue,
- L’insomnie réactionnelle avec des cauchemars intrusifs,
- Les atteintes cognitives présentes avec des troubles de concentration et de logique,
- Les atteintes psychiques entraînant une perte d’estime de soi, un sentiment de dévalorisation et de culpabilité, etc.
( Arrêt de travail pour dépression : découvrez la durée moyenne pour un tel arrêt.)
Harcèlement au travail : comment se reconstruire ?
Dans beaucoup de situations, le harcèlement au travail peut déclencher des troubles du stress post-traumatique, dans ce cas, l’accompagnement du médecin traitant (prescription d’un arrêt de travail accompagné ou non de prescriptions médicamenteuses) et d’un psychothérapeute pour mettre en récit le vécu – la souffrance de la victime et pour guérir du traumatisme à travers des thérapies telles que l’EMDR ou les TCC.
Le retour au travail peut être envisagé après plusieurs semaines d’arrêt avec idéalement un changement de service voire d’entreprise afin d’éviter que la victime se retrouve de nouveau face à son bourreau avec le risque de déclencher les mêmes mécanismes d’angoisse.
Dans le cas de Anne, d’un commun accord avec son employeur, elle a opté pour une rupture conventionnelle car il lui était impensable de travailler à nouveau avec sa collègue.
RH et managers ! Le harcèlement moral au travail nuit gravement à la santé mentale des salariés concernés, il est donc nécessaire d’agir en amont en inscrivant les situations de violence et de harcèlement en interne dans le cadre général de la prévention des risques psychosociaux.
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