La VAE a dix ans. Peu connu du grand public, ce dispositif se développera-t-il ou bien restera-t-il un outil marginal du Talent Management ? Les entreprises qui l’ont expérimenté restent engagées dans la démarche.
« Nous avons constaté que le simple fait de s’engager dans la démarche rassure et donne confiance dans un environnement Pharma en pleine mutation », remarque Jean-Baptiste Cocheteux, responsable du développement des hommes et des organisations chez Boehringer Ingelheim. Anecdotique au sein de cette entreprise avant 2012, la VAE (Validation des acquis de l’expérience), qui, consacrant l’expérience du salarié par un diplôme, est un facteur de reconnaissance et d’amélioration de son employabilité, a trouvé sa place parmi d’autres dispositifs de développement RH. À ce jour, une dizaine de collaborateurs du groupe pharmaceutique ont entrepris de faire valider leur expérience par un diplôme, des profils ventes et des fonctions support. « Dans un contexte d’incertitude très fort, ces personnes se placent dans une dynamique favorable à leur employabilité, nous les soutenons. Par ailleurs, nous les incitons à utiliser tous les dispositifs à leur disposition : DIF, CIF, bilan de compétences notamment », complète-t-il.
Ne pas faire de la VAE pour faire de la VAE
Chez Bouygues Bâtiment Île-de-France – Habitat Social, on s’intéresse aussi à la démarche. Si l’ascenseur social fonctionne encore dans ce secteur, si l’on y préfère les résultats aux diplômes, on sait néanmoins que si un Bac+2 pouvait atteindre un poste de directeur il y a vingt ans, c’est moins vrai aujourd’hui. Avec trois collaborateurs préparant actuellement un diplôme, plus deux ayant validé les leurs, l’entreprise « n’est pas dans la course au volume, cherche la qualité », comme le précise son directeur RH & communication, Frédéric Sénéchal. Il développe : « C’est un outil qui favorise la reconnaissance du salarié. Il permet de fuir ses fantômes, de se donner confiance, y compris au sein même de l’entreprise et donc d’oser postuler en interne ou ailleurs. » Chez Boehringer Ingelheim, on n’a pas voulu privilégier un dispositif plutôt qu’un autre, ni cibler uniquement une population. « Dans le cadre du Talent Management, nous avons sensibilisé nos managers à l’importance d’accompagner le changement et de rendre leurs collaborateurs acteurs de leur employabilité », explique Jean-Baptiste Cocheteux.
Communiquer sur un dispositif mal connu
La VAE a fêté ses dix ans cette année. Dix ans pour dresser un bilan, c’est court. A fortiori quand aucune entreprise n’a dix ans d’expérience de la VAE. « Il faut laisser le temps au temps, pour que les gens s’approprient la démarche, pour que les entreprises aient du recul sur leurs actions et accompagnent au mieux leurs salariés », poursuit M. Sénéchal. L’entreprise de BTP informe ses collaborateurs lors d’une réunion annuelle. « C’est une communication orale et directe devant un certain nombre de personnes. Nous avons aussi une approche plus individualisée », signale-t-il. Le développement de l’employabilité et des compétences est le fer de lance de Boehringer Ingelheim. Début janvier 2012, ses collaborateurs ont été sensibilisés au sujet lors de cafés RH internes. Puis, la campagne des entretiens de mi-année (moment privilégié pour discuter du plan de développement individuel) a été l’occasion de sensibiliser les managers à la VAE et de rappeler l’importance des différents dispositifs internes et externes dans le plan de développement.
Toutefois, la VAE est un outil encore très marginal de la gestion des RH. Une VAE ne se décrète pas, certes, il faut que le salarié soit demandeur, mais l’entreprise peut l’y inciter, elle y trouve un bénéfice puisque c’est notamment un outil de fidélisation, elle pérennise ainsi un savoir-faire. Les entreprises craindraient-elle de perdre leurs collaborateurs après l’obtention de leur diplôme ? Se méfieraient-elles d’éventuelles et soudaines revendications en termes de promotion et de rémunération ?
Faux prétextes pour David Rivoire, dirigeant fondateur de VAE Les 2 rives, organisme spécialisé dans l’accompagnement VAE, et auteur avec Emmanuel Schaeffer de Génération VAE (Ed. FocusRH) : « Une étude réalisée par Asterès révèle que l’amélioration de son employabilité et la reconnaissance sociale arrivent en tête des motivations pour faire une VAE, alors que la volonté de départ de l’entreprise et l’augmentation de salaire se placent respectivement à l’avant-dernier et dernier rang. » Ce résultat montre que ce dispositif peut être un bon outil pour mesurer la motivation au travail d’un salarié.
Une problématique plus sociologique qu’organisationnelle, Vincent Causse, directeur général de VAE Les 2 rives
« Les diplômés ont du mal à admettre que l’on puisse obtenir un diplôme sans passer par les bancs de l’école pendant des années. Tant que le dispositif est utilisé de façon marginale, il est toléré mais de là à souhaiter qu’il se développe… »
Au pays des diplômes ce n’est pas un paradoxe, c’est une chapelle.
M. Causse poursuit : « La VAE est une courbe d’expérience, il faut en faire pour réaliser ce qu’elle apporte non seulement au salarié mais encore, à l’entreprise. Tant qu’on n’aura pas suffisamment de preuves qu’elle est un outil de promotion du savoir et de l’expérience, on ne s’en servira pas comme d’un levier de motivation, d’employabilité, de promotion de la personne. Les RH valoriseront mieux le parcours VAE quand ils visualiseront le dossier d’un candidat. RH, lisez ces dossiers, ils sont de grande qualité et un signe fort de la motivation du collaborateur ! ».
Être clair sur ses attentes et sur le soutien à apporter
« La VAE ne vise pas à développer de nouvelles compétences, elle permet au collaborateur de valoriser et de consolider son parcours et ses expériences grâce à l’obtention d’un diplôme reconnu au niveau national. Ainsi, le collaborateur prend en main son employabilité, gagne en confiance, ce qui est très positif dans un contexte d’incertitude », pointe Jean-Baptiste Cocheteux. Comme il s’agit d’une démarche personnelle, le rôle de l’entreprise consiste à accompagner le salarié dans sa démarche, à clarifier ce que sera son soutien. Ainsi, Boehringer Ingelheim apporte un soutien financier dans le cadre du DIF, sur le temps de travail, à hauteur de deux journées d’absence pour l’ensemble de la démarche. Ces journées peuvent notamment être utilisées pour la préparation (en collectif) et la soutenance devant le Jury, éventuellement dans le cadre de l’accompagnement et ce, afin de maximiser le taux de réussite. Le groupe prend en charge les frais de certification, les frais annexes (transport par exemple) et, « en cas de validation partielle, un financement complémentaire – plafonné – est possible dans le cadre du DIF, pour repartir en formation afin de compléter son diplôme. Le coût de l’accompagnement en lui-même est pris en charge par l’OPCA. On est donc dans une vraie logique de partenariat », précise M. Cocheteux. Il conclut par ce conseil : « Soyez très attentifs au positionnement de la démarche VAE dés le départ afin de ne pas créer d’attentes démesurées sur l’évolution interne qui découlerait de la VAE. »
Sophie Girardeau