Qu’il s’agisse de stratégie, de finances ou de RH, les informations et décisions de ces domaines sont majoritairement confidentielles en entreprise. Ces données, considérées comme sensibles, ne sont accessibles qu’à la condition de faire partie des hautes strates hiérarchiques de l’entreprise, ou d’appartenir à l’équipe RH ou Finances.
Mais depuis quelques années, quelques centaines d’entreprises ont décidé qu’il en serait autrement en leur sein. Elles affirment que cette transparence, pilier culturel de leur organisation, est l’une des clés de leur performance. Si certaines vont même jusqu’à prôner la transparence radicale (sur les salaires, la trésorerie, l’évolution de la stratégie, etc), d’autres au contraire soulignent les limites de la transparence dans le monde professionnel.
Pourquoi la transparence ?
Lorsque l’on interroge les start-up et scale-up, ces entreprises de la tech souvent adeptes de transparence en interne, sur les raisons de leur passage à la transparence, elles se retrouvent en grande majorité sur les points suivants :
- aligner les équipes sur les vrais enjeux de l’entreprise, en temps réel ;
- prévenir les erreurs ou éviter qu’elles se reproduisent ;
- sortir des jeux de pouvoir autrefois permis par la rétention d’information ;
- stimuler la curiosité des salariés et favoriser une culture d’entraide et d’organisation apprenante.
Ces entreprises, comme Alan, ManoMano, Aircall ou encore Back Market, se considèrent plus agiles et plus performantes grâce à leur culture de la transparence. Mais toutes ne vont pas aussi loin dans la transparence, chacune a sélectionné les domaines sur lesquels elle applique de la transparence ou non.
À quels domaines s’applique la transparence ?
Trois domaines sont principalement concernés : la stratégie de l’entreprise, les finances et les RH.
La stratégie de l’entreprise, souvent en partie déjà connue des salariés, peut devenir plus transparente notamment dans les domaines suivants :
- les données, critères de décisions et débats au sein de la direction ayant mené à tel ou tel choix de stratégie ;
- les projets stratégiques en préparation ;
- les zones sur lesquelles la direction a encore des doutes ;
- la vision de l’entreprise face à une difficulté rencontrée (baisse des ventes, évolution technologique, etc).
L’entreprise Alan, pour aller encore plus loin, va même jusqu’à rendre publics ses rapports trimestriels qu’elle envoie à ses investisseurs (Alan – 2023 Q3 Letter to Shareholders)
Côté finances, la plupart des informations ont toujours été confidentielles. Les entreprises qui optent depuis peu pour la transparence rendent accessibles aux salariés des informations telles que la trésorerie, les prises de commande, le chiffre d’affaires, la marge ou encore la rentabilité. Et ce en temps réel ou à des échéances régulières (mois, trimestre, etc).
Et côté RH, le champ possible de la transparence est assez large : la politique RH de l’entreprise, les critères des décisions RH et les informations RH. Cela peut donc aller de la politique liée au télétravail (quelles règles, pour qui, pour quelles raisons) aux mobilités (qui est concerné, qui l’a décidé et pourquoi) en passant par les salaires (qui est payé combien, depuis quand, sur la base de quels critères). Notons que la transparence salariale reste encore très rare dans les entreprises, c’est le volet le plus extrême de la transparence dans le domaine RH.
Quels bénéfices ?
La transparence sur la stratégie de l’entreprise et les finances de cette dernière peuvent créer de la valeur à plusieurs endroits. En premier lieu, elle renforce l’adhésion des équipes au projet de l’entreprise face à des dirigeants qui ne peuvent qu’assumer les directions prises et à prendre, et les expliquer en détail. Les équipes savent donc pourquoi elles font ce qu’elles font et connaissent l’impact qu’elles ont grâce à leurs actions quotidiennes. On peut y voir une réponse à la fameuse quête de sens des salariés. Ensuite, la transparence stimule l’engagement des salariés. En effet, en mettant leurs équipes dans le secret de la confidence, les managers peuvent créer une proximité plus forte et sincère, et permettre des discussions qui sinon n’auraient jamais vu le jour. Enfin, cette transparence aura un effet important de prévention et de régulation des erreurs. En ayant accès à beaucoup d’informations stratégiques et financières, les salariés auront de bien meilleures chances d’aller dans la bonne direction lorsqu’ils prendront des initiatives ou des décisions.
Côté RH, la transparence permet avant tout de faire en sorte que les politiques RH produisent mieux leurs effets. Par exemple, c’est en connaissant tout le contexte d’une politique de mobilité (origine, accord d’entreprise et historique de sa négociation, enjeux pour l’entreprises, critères exhaustifs, etc) que les salariés pourront comprendre si et comment en bénéficier. Ensuite, la transparence en RH permet de mettre fin aux rumeurs et frustrations, qui, on le sait, vont bon train en entreprise notamment à la période des entretiens annuels (“untel a eu telle promotion car c’est le chouchou du manager”, “untel a obtenu telle augmentation alors qu’il ne le mérite pas”, etc). Enfin, on retrouve aussi les effets positifs de la transparence observés côté finances et stratégie : c’est moins infantilisant pour les équipes, ce qui permet de responsabiliser et de mieux engager, et cela crée un contexte de confiance qui permet de prévenir et de réguler plus facilement de nombreux problèmes.
Quelles limites ?
Côté stratégie et finances, on observe généralement deux principales limites à la transparence. La première est la fuite possible d’informations stratégiques en dehors de l’entreprise. Si tous les salariés y ont accès, il est de fait possible que certains salariés, mal intentionnés ou non, puissent transmettre ces informations à des concurrents de leur employeur – potentiellement après avoir changé d’entreprise. La deuxième limite est liée à l’infobésité. Si tout est transparent, cela fait énormément d’informations à la disposition des salariés. Et donc à moins d’organiser très efficacement l’information et de communiquer proactivement, le risque est que les informations importantes soient noyées dans la masse. La transparence deviendra alors contre-productive.
Côté RH, la transparence peut générer des effets de bord. Qu’on parle d’argent (via le salaire), d’opportunités de carrière (via les mobilités) ou de statut professionnel (via l’obtention d’un poste à responsabilité), on se retrouve confrontés à la complexité de l’être humain. En effet, la transparence augmente la possibilité de se comparer aux autres, à ce qu’ils ont obtenu où à ce qu’ils gagnent. Par exemple, dans le domaine de la transparence salariale, un salarié peut se sentir obligé de travailler plus s’il sait qu’il est le mieux payé de son équipe, ou il peut au contraire se démotiver s’il réalise qu’il est moins bien payé que d’autres qui, selon lui, font le même travail que lui. La transparence amène donc de nouveaux problèmes à gérer pour les RH.
Toute cette repose sur un équilibre. Elle oblige à dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Et à rendre des comptes sur ce qui a été fait. Cela peut créer beaucoup de valeur quand les règles sont claires, perçues comme objectives et respectées par l’entreprise. Mais cela peut nuire à l’entreprise quand les règles sont floues ou appliquées inégalement par les managers. Car cela créera alors un sentiment d’injustice d’autant plus fort que l’intention initiale était de créer plus de confiance, de justice et d’équité.
Ce pourquoi la transparence est avant tout une question de culture d’entreprise, et non une “décision” ponctuelle qui viserait à faire évoluer son organisation.
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merci pour cet article complet