Ce matin d’avril 2023, je reçois un appel ! Au bout du fil, un monsieur qui souhaite me rencontrer assez rapidement car il est actuellement en arrêt : son travail l’use mentalement et physiquement.
Je lui propose une téléconsultation, et il me répond : « ce n’est pas possible Madame, je préfère vous rencontrer à votre cabinet. Je me fixe une règle : je ne parle pas de travail à la maison… ».
Je reçois donc Philippe, une semaine après notre premier échange.
Âgé d’une cinquantaine d’années, avec une carrure imposante, Philippe est un ancien de l’armée qui s’est reconverti dans le civil. Il travaille depuis cinq ans dans un cabinet d’études dont les prestations sont principalement réalisées à destination du Ministère des Armées.
C’est la première fois de sa vie selon lui qu’il ressent un tel mal-être au travail, aussi, il souhaite que je lui apporte des éclairages sur ce qui lui arrive car il pense que comprendre ce qui ne va pas pourra l’aider à se réajuster et à prendre de la distance afin que son travail qu’il apprécie, ne soit pas source de souffrance.
A travers son récit très clair et lucide, nous avons pu mettre en exergue quelques facteurs pathogènes dans l’environnement et les conditions de travail (QVCT).
Une surcharge de travail …
Philippe travaille dans ce cabinet d’études depuis cinq ans, il est chef de projets et il encadre cinq techniciens.
Quand il a été embauché, le site comptait dix-huit salariés et au fur et à mesure, l’effectif a baissé car les salariés partants (retraite, démission, etc) n’ont pas été remplacés. Dans ce secteur d’activité dit « sensible », le processus de recrutement est tellement long et rigoureux que l’entreprise peine à trouver des candidats.
Aussi, depuis plusieurs mois Philippe doit fonctionner quotidiennement à flux tendu car son effectif n’est pas au complet puisque deux techniciens partis depuis plusieurs mois n’ont pas encore été remplacés.
Le volume des commandes et le nombre de projets n’ont pas pour autant diminué. Et Philippe, en bon soldat, gère les projets et les commandes, pallie au manque d’effectif dans son unité et protège ses collaborateurs en faisant en sorte que le manque d’effectif ait le moins d’impact possible sur ces derniers, il ne souhaite pas que ses collaborateurs s’épuisent comme lui.
Depuis le dernier trimestre 2022, Philippe enchaîne les semaines de 50 à 55 heures en mettant de côté ses activités sportives et associatives. Le travail a fini également par empiéter sur sa vie de famille car ces derniers temps, même à la maison, il n’arrêtait pas de penser à son travail, l’empêchant pleinement de profiter des temps hors travail.
Dans le cas de Philippe, il n’était pas étonnant qu’il se soit usé physiquement et émotionnellement car la charge de travail est devenue trop importante et la charge mentale et le stress l’ont été également car dans son travail, les retards de livraison ne sont pas acceptables.
Impossibilité de faire un travail de qualité…
Clinicienne du travail, je suis convaincue qu’il n’y a pas de qualité de vie au travail sans travail de qualité !
Et Philippe les derniers mois estime avoir fait du « sale boulot », un travail qui n’est pas à la hauteur de qu’il peut faire et de ce qu’il doit faire.
Avec un effectif réduit, des délais de réalisation contraints, Philippe estime que le travail qu’il fournit est de qualité moyenne, « j’en ai même honte quelquefois », me dit-il.
Faire un travail de cochon est très pathogène pour la santé et le bien-être au travail car certes, il est important que le travail que nous réalisons soit reconnu par les autres (managers / collègues / patients ou clients), et il est également nécessaire que nous nous reconnaissions dans le travail que nous fournissons.
Au travail, nous engageons une partie de notre subjectivité, et nous avons besoin d’être fiers de notre travail, de pouvoir nous dire à la fin de la journée : « j’ai bien travaillé » ou « je suis content de ce que j’ai réalisé aujourd’hui ». Aussi, ne pas se reconnaître dans son travail fait mal à notre égo et à terme peut être source d’une grande souffrance pour les salariés.
Et dans le cas de Philippe, dont le professionnalisme et la fiabilité sont deux valeurs importantes, fournir aux commanditaires un travail de qualité moyenne le met dans un conflit de valeurs car il doit respecter les délais de livraison donc être davantage dans le quantitatif au détriment du qualitatif.
Comment préserver sa santé mentale et celle de ses collaborateurs dans un tel contexte ?
Il n’y a pas de doute, mon patient aime son travail : le contenu de ses tâches le stimule intellectuellement, il apprécie le cadre de travail, il estime que les relations avec ses collaborateurs sont saines…. Donc pas question de quitter l’entreprise.
De mon point de vue, le bien-être au travail doit être une démarche co-construite entre les salariés et les managers.
Côté entreprise : revoir les conditions de travail
Il était impensable pour son entreprise que Philippe, l’ancien militaire solide, le collaborateur professionnel, et toujours fidèle au poste soit arrêté pour cause d’épuisement professionnel.
Aussi, quelques jours avant sa reprise, son responsable régional (N+2) lui a proposé un échange téléphonique afin de savoir comment il se sentait et dans quel état d’esprit il se trouvait à quelques jours de la reprise du travail.
Suite à cet échange, son responsable lui a proposé la mise en place d’une nouvelle organisation avec notamment un recours à des prestataires externes à qui seront confiées quelques missions en attendant que l’effectif soit au complet, l’objectif étant de réduire la charge de travail de mon patient et de son équipe.
Côté salarié : mettre en place des stratégies « individuelles » afin de préserver sa santé au travail
J’estime que mon patient est chanceux d’avoir eu une hiérarchie qui était à l’écoute et prête à mettre en place une nouvelle organisation de travail qui soit plus favorable à la santé de ses salariés.
Néanmoins, il m’a semblé opportun que Philippe fasse quelques réajustements afin que le travail (avec son lot de difficultés) impacte moins sa santé mentale.
- Philippe, professionnel fiable doit apprendre, dans certaines situations, à dire « Non » à sa hiérarchie car il sait maintenant que ses capacités de résistance et d’adaptabilité ont des limites,
- Il est nécessaire qu’il réduise son temps de travail afin de pouvoir reprendre des activités « plaisirs /plaisantes » qui lui permettront de se ressourcer mentalement,
- Il lui sera bénéfique de prendre le temps pendant sa pause méridienne (qui ces derniers mois était inexistante) de faire de la marche ou de la méditation de manière à se départir des angoisses et du stress quotidien.
Prendre soin de soi, s’octroyer des moments de plaisirs sont des facteurs de préservation de sa santé au travail car la qualité de vie hors travail influe sur la performance des salariés.
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