La table ronde « IA & formation : la révolution ? », qui s’est tenue lors de l’Open Education Night 2024, organisée par Edflex, a réuni plusieurs experts pour débattre de l’impact de l’intelligence artificielle sur le monde de la formation. À cette occasion, Eneric Lopez (Microsoft France), Raphaël Droissart (Edflex), et Thomas Chassat (Colas) ont partagé leurs analyses sur cette transformation.
Entre la promesse d’une personnalisation accrue des parcours de formation et la montée en puissance des outils d’IA générative, les intervenants ont discuté des opportunités et des défis liés à cette technologie. Loin de remplacer l’humain, l’IA semble plutôt devoir jouer le rôle d’alliée, facilitant l’acquisition de compétences tout en valorisant l’ingéniosité et la créativité des apprenants.
Alors, l’IA révolution ou évolution de l’environnement Learning ? La réponse semble davantage résider dans l’équilibre entre la machine et les compétences humaines.
La formation à l’intelligence artificielle
Un enjeu individuel, organisationnel et national
Pour introduire la discussion sur les enjeux de la formation à l’intelligence artificielle, Eneric Lopez, directeur de l’IA chez Microsoft France, a mis en lumière l’accélération des avancées technologiques. Pour ce faire, il s’est notamment appuyé sur l’exemple de ChatGPT, qui a conquis 100 millions d’utilisateurs en deux mois à peine, là où il avait fallu plus de 15 ans à Internet pour y parvenir.
Une adoption massive et rapide qui, selon lui, bouleverse les usages. Et ce, aussi bien pour les entreprises que pour les individus. Face à cette (r)évolution, il a d’ailleurs indiqué avoir constaté deux phénomènes émergeant parmi les collaborateurs :
- le syndrome FOMO (Fear of Missing Out), c’est-à-dire les salariés qui craignent de ne pas suivre le rythme des évolutions ;
- l’appréhension FOBO (Fear of Being Obsolete) qui quant à elle désigne les employés qui redoutent que l’IA prenne leur emploi.
Une tension particulièrement perceptible pour les TPE/PME.
Une étude de la BPI publiée en mars dernier indique que sur 40 000 dirigeants de ces structures, l’IA générative n’est utilisée que par 3 % d’entre elles. En cause ? Le manque de formation et de ressources adaptées à cet usage.
Preuve que la formation apparaît comme la clé de voûte de cette transition. Il est donc nécessaire — si ce n’est incontournable — de former les collaborateurs afin de leur permettre de surmonter cette « peur » de la technologie. Mais aussi pour qu’ils deviennent eux-mêmes des acteurs du changement.
Considérant que la formation à l’IA concerne autant les grandes organisations que les plus petites, Eneric Lopez a ainsi expliqué qu’il s’agit à la fois d’un enjeu collectif pour les entreprises et d’une responsabilité individuelle. En clair, d’un passage obligé pour devenir des citoyens et collaborateurs éclairés face à l’intelligence artificielle.
Pour soutenir cette vision, il s’est d’ailleurs appuyé sur le rapport de la Commission de l’IA qui engage à « former sans délai, massivement et en continu ». Ceci à travers 3 recommandations :
- Recommandation n° 6 : Généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire (…).
- Recommandation n° 7 : Investir dans la formation professionnelle continue des actifs et les dispositifs de formation autour de l’IA.
- Recommandation n° 8 : Former les professions créatives à l’IA dès les premières années de l’enseignement supérieur et en continu.
Des directives suivies par Microsoft qui, comme l’a souligné Eneric Lopez, s’est engagée à former un million de Français sur le sujet d’ici 2027.
Un plan également en accord avec la démarche qui consiste à s’appuyer sur la formation et la sensibilisation pour que l’IA devienne un atout, un levier de compétitivité et d’employabilité, plutôt qu’une source de craintes.
L’intelligence artificielle : la perception d’une fusée à 3 étages
Pour Raphaël Droissart, l’un des co-fondateurs d’Edflex, l’adoption de l’intelligence artificielle en entreprise nécessite une approche structurée et progressive, qu’il compare à une « fusée à 3 étages ». Cette stratégie répondrait aux problématiques FOMO et FOBO évoquées précédemment.
Alors, de quoi s’agit-il exactement ? Le premier étage correspond à l’acculturation et la sensibilisation. À ce titre, il s’agit d’intégrer des modules de formation sur l’IA aux formations obligatoires des salariés. Il précise qu’il ne s’agit pas nécessairement de « réinventer la roue » puisque les contenus d’acculturation à l’IA existent déjà en nombre et peuvent être exploités sans coûts excessifs.
Beaucoup de contenus existent sur le sujet. Je pense par exemple à un épisode de la série Inside Bill’s Brain qui aborde déjà des éléments essentiels pour sensibiliser le grand public.
Pour atteindre le deuxième étage, le directeur des opérations chez Edflex recommande de créer un réseau d’ambassadeurs IA au sein des entreprises. La population des managers étant plus faciles à mobiliser pour jouer ce rôle et diffuser une vision positive des usages de l’intelligence artificielle.
Enfin, l’accès au 3e étage passe par l’utilisation de cas pratiques. L’objectif ? Illustrer la valeur de l’intelligence artificielle dans le quotidien des collaborateurs. Car il faut bien l’admettre : la théorie seule ne suffit pas à rendre la formation à l’IA tangible et efficace. Il faut aussi que les individus puissent vraiment comprendre leur intérêt à utiliser l’IA dans les tâches quotidiennes. Et pour cela, rien de plus concret que de leur donner la main sur l’usage des outils par des démonstrations métiers.
La curiosité et la culture de la donnée
Pour Thomas Chassat, l’adoption de l’intelligence artificielle repose avant tout sur une attitude de curiosité et sur la capacité à développer une culture de la donnée au sein des entreprises. En effet, il a souligné le fait que : si ces innovations transforment la façon de travailler, c’est surtout une réalité pour ceux qui s’en emparent avec une approche curieuse et positive.
Bien entendu, il ne s’agit pas ici d’un « positivisme béat ». Mais plutôt d’adopter une attitude proactive. C’est-à-dire de chercher à comprendre et à expérimenter ce que les technologies peuvent apporter.
Il est facile de trouver des raisons de ne pas s’approprier l’IA. Les contraintes du quotidien, les priorités professionnelles, la peur de la nouveauté, ou que sais-je encore. Pourtant, le passage à l’action est essentiel. C’est précisément par l’expérimentation des technologies que l’on peut en percevoir la valeur ajoutée. Lorsque l’on déploie l’IA, les bénéfices deviennent rapidement évidents.
Le responsable formation et développement des talents chez Colas a ainsi rappelé que l’élément central de cette mise en œuvre est la culture de la donnée. Or, si la majorité des collaborateurs saisissent déjà des données dans les systèmes d’information, ils n’ont pas toujours conscience de l’intérêt ni du rôle de ces datas dans les processus décisionnels.
Et c’est bien là une responsabilité des entreprises. Elles doivent acculturer les collaborateurs sur l’utilité et l’importance de la qualité des données. Sans quoi, il y a un risque que l’intelligence artificielle soit à l’origine de décisions biaisées ou erronées.
Dès lors, former à l’IA implique de former aussi sur la data. Pour cela, il faut créer des liens transversaux entre les métiers. Ceci notamment grâce aux data lakes qui rassemblent des informations exploitables pour tous.
Selon Thomas Chassat, ce processus est d’ailleurs la clé pour que l’intelligence artificielle devienne véritablement un outil — utile et efficient — permettant un gain de temps. Celui-ci étant destiné à libérer de la disponibilité pour des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme la création ou l’innovation.
Data, inclusion, éthique : les 3 piliers de l’efficience IA
Pour conclure ce premier volet de la conférence, le directeur IA et impact social de Microsoft a mis en avant 3 piliers pour réussir l’intégration de l’intelligence artificielle en entreprise :
- L’approche data driven par les managers qui doivent avoir la capacité de créer un environnement où la circulation des données entre les entités est facile et fluide ;
- L’inclusion qui nécessite le déploiement d’une stratégie IA dans laquelle toutes les équipes sont impliquées (exit la démarche descendante, donc !) ;
- La responsabilité par la sensibilisation aux enjeux éthiques de l’intelligence artificielle (mise en place de chartes, formations spécifiques, etc.).
L’intelligence artificielle au service de la formation
La démocratisation du machine learning en formation continue
Dans les faits, l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le domaine du Learning a révolutionné la manière dont les entreprises répondent aux besoins de développement des compétences. Pour Raphaël Droissart, l’IA apporte d’ailleurs une hyperpersonnalisation à grande échelle, transformant le lien entre le référentiel de compétences et le contenu de formation.
En effet, là où les référentiels de compétences étaient autrefois statiques, l’IA permet désormais de les rendre dynamiques et connectés. Les compétences peuvent s’adapter en temps réel aux évolutions du métier et aux besoins de l’entreprise.
Concrètement, cela signifie que l’IA est capable de connecter les compétences attendues avec les contenus de formation disponibles. Ceci en croisant les données spécifiques à chaque métier et à chaque individu. Grâce aux avancées des technologies comme le NLP (Natural Language Processing), il devient donc possible de dépasser les freins à la formation et d’apporter des réponses ciblées, rapides et personnalisées aux besoins individuels.
Ainsi, l’IA permet de réduire le délai traditionnellement long entre l’identification des besoins et l’accès à des contenus pertinents. De plusieurs jours, semaines, ce temps de latence est désormais de quelques minutes. Dès lors, le collaborateur peut ainsi recevoir rapidement une proposition de formation adaptée à son métier, mais aussi à ses intérêts personnels dans une approche à la Netflix du Learning.
Il n’y a rien de pire que de se voir proposer des contenus qui ne correspondent pas à ses besoins ou attentes. L’IA évite ce problème en offrant des recommandations sur mesure.
L’IA s’inscrit alors comme une véritable force dans le processus de transformation de la formation puisqu’elle permet de :
- raccourcir la chaîne de décision et d’orientation ;
- d’offrir un apprentissage plus pertinent et motivant pour les apprenants.
En conséquence, les entreprises peuvent mieux accompagner l’évolution des compétences et anticiper les besoins de demain. Mais surtout proposer à leurs employés des plans de formation plus dynamiques et efficaces.
Une transformation de l’apprentissage par l’IA
Aujourd’hui, l’IA facilite l’indexation, le chapitrage et le sous-titrage de vidéos pédagogiques à moindre coût. C’est ainsi que Colas a, par exemple, pu produire des centaines de vidéos (en 18 langues) sur des gestes métiers.
De même, l’IA favorise aussi le déploiement des pratiques de microlearning. Ceci par l’intermédiaire d’applications qui proposent aux apprenants des contenus courts, adaptés, qu’ils peuvent consommer à tout moment et sur n’importe quel support. ATAWADAC : Any Time, AnyWhere, Any Device, Any Content, ndlr.
Des micro-apprentissages qui aident évidemment à intégrer la formation dans la routine quotidienne. Et ce, sans perturber les tâches opérationnelles.
Grâce à ces outils, nous avons pu mesurer des gains significatifs en compétences techniques et comportementales (soft skills). Ceci en comparant des groupes avec et sans solutions.
Intelligence artificielle et formation, une nouvelle définition de l’apprentissage continu ?
De manière générale, l’intelligence artificielle représente une nouvelle étape dans la manière dont les entreprises conçoivent et déploient la formation. Lors de la table ronde, Eneric Lopez a pu décrire des scénarios où l’IA joue un rôle clé dans la personnalisation, l’attractivité et l’interactivité des parcours de formation.
Selon lui, l’un des concepts les plus prometteurs est celui de l’inférence des compétences. En effet, grâce à l’IA générative, les savoir-faire d’un collaborateur peuvent être déduits de ses actions. Sans que celui-ci ait à déclarer explicitement ses besoins.
Par exemple, en observant les comportements d’une personne dans un environnement comme Minecraft, l’IA peut analyser des soft skills telles que la collaboration ou la prise de décision. Dans ce contexte, la machine identifie des compétences clés et pousse des parcours de formation ciblés, sans intervention humaine.
À l’instar de ce qui se fait dans le recrutement, on imagine aussi facilement l’usage de ces données par des agents conversationnels intelligents ou des tuteurs virtuels, capables d’accompagner le collaborateur dans son apprentissage qui deviendrait un processus en temps réel.
En parallèle, il devient de plus en plus facile de capturer des savoir-faire — qu’il s’agisse d’un métier ou d’une nouvelle norme — et de les diffuser rapidement sous un format digital. Grâce aux outils de l’intelligence artificielle, il semblerait donc que la démocratisation dans la création de contenu pédagogique (user generated content et user generated training) ne soit plus très loin.
En ce sens, l’IA ne se contente donc pas d’optimiser les processus d’apprentissage. Car, en réalité, elle redéfinit aussi la manière dont les collaborateurs accèdent à la formation et y participent.
IA et formation : révolution ou évolution ?
Qu’on la considère comme une révolution ou une évolution naturelle, l’intelligence artificielle redessine les contours de la formation en entreprise. En effet, l’IA ouvre la voie à des méthodes d’apprentissage plus personnalisées, plus rapides et plus efficaces. Elle permet aussi d’adapter les formations aux besoins individuels tout en optimisant la gestion des compétences à l’échelle des organisations.
Cependant, cette transformation ne doit pas occulter l’essentiel : les compétences humaines demeurent au cœur de la performance. L’esprit critique, l’adaptabilité, et l’intelligence émotionnelle s’imposent comme des qualités indispensables dans un environnement de travail enrichi par l’IA.
Contrairement aux craintes que la technologie a pu générer, l’enjeu n’est donc pas de remplacer l’humain par la machine. Mais plutôt de créer des synergies où l’humain peut tirer parti de l’intelligence artificielle pour développer sa créativité et sa capacité à innover.
Les points clés à retenir :
- La formation à l’intelligence artificielle est la première étape pour surmonter les craintes induites par l’IA et permettre à chacun de s’adapter aux nouveaux défis technologiques.
- L’IA s’illustre comme un outil d’hyperpersonnalisation de la formation continue et d’amélioration de l’expérience d’apprentissage.
- La capacité des entreprises à développer une culture de la donnée est la clé d’une intégration réussie de l’IA.
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