Quels sont les enjeux RH de l’hôtellerie en 2024 ? Et comment y répondre ? Voilà les questions posées à Mariana Machado, DRH IHG Hôtels & Resorts dans les régions Europe du sud, CIS & Géorgie.
Créativité RH, développement des talents, tendance à l’hyper individualisation… Dans cet entretien, la directrice des ressources humaines du groupe hôtelier nous livre sa vision d’une stratégie RH efficiente.
Quels sont les principaux enjeux RH dans le secteur de l’hôtellerie ?
L’hôtellerie est un métier de passion qui a de nombreuses opportunités à offrir en matière de développement de carrière, de mobilité, etc. Malheureusement, comme beaucoup de secteurs, l’hôtellerie a souffert après la crise sanitaire d’une pénurie de talents, certes moins marquée qu’ailleurs, qui a impacté nos activités.
Selon moi, le premier enjeu RH pour l’hôtellerie est de faire preuve de créativité pour aller chercher les candidats. Pour cela, il faudra communiquer sur le fait qu’il s’agit d’un secteur accessible à tous : peu importe l’école d’où l’on vient (ou non d’ailleurs), si la passion du service est là, il y a une place dans nos entreprises.
De fait, nous devons aussi réfléchir à comment l’industrie peut s’ouvrir à d’autres voies pour recruter en élargissant les « cibles » de recrutement. Je pense notamment aux seniors, réfugiés, candidats en reconversion… Différentes populations qui constituent de véritables viviers de recrutement, mais qui, à ce jour, ne sont pas suffisamment exploitées. Et ce, alors même qu’il s’agit de potentiels collaborateurs qui seront à la fois très impliqués dans leur travail et très engagés auprès de l’entreprise.
Les canaux de recrutement évoluent. Poster une offre d’emploi ne suffit plus. Il faut désormais sourcer autrement, faire du marketing RH, établir de nouveaux partenariats, etc. Comme je le disais, il est donc essentiel d’apprendre à se détacher des circuits classiques et d’adapter nos postures RH aux nouvelles réalités.
C’est vrai pour l’hôtellerie, mais ça l’est pour l’ensemble des entreprises, et je pense que changer la manière dont on aborde le recrutement constitue un véritable challenge pour les RH.
Après la créativité, l’engagement et le développement des talents en interne
Aujourd’hui, je trouve qu’on ne valorise pas assez les mobilités internes. Sur ce point, je ne parle pas uniquement de l’évolution hiérarchique telle qu’on a l’habitude de l’entendre, mais d’une approche transverse de la mobilité. Concrètement :
- Qu’est-ce que l’entreprise peut offrir en termes d’évolution de carrière ?
- Quel est le processus RH ?
- Est-ce que tel collaborateur ou telle collaboratrice a la possibilité de se développer en interne ? De quelle manière ?
- Est-ce qu’il faut prévoir de la formation ?
Autant de points sur lesquels les RH travaillent souvent, sans vraiment communiquer dessus. Empêchant ainsi les collaborateurs de percevoir la valeur ajoutée de leur employeur.
Pour être très honnête, je peux compter sur les doigts de la main le nombre d’entreprises qui, aujourd’hui, sont reconnues pour cette façon d’aborder la mobilité et qui s’engagent à la développer pour saisir l’opportunité qu’elle représente : un levier de rétention des talents à part entière dans un contexte où les collaborateurs ont tendance à rester moins longtemps.
Chez IHG, on parle beaucoup de critical experiences. Si je prends l’exemple d’un directeur des ventes dans un hôtel classique, quelle est la prochaine étape pour lui ? Est-ce qu’il a vraiment envie de monter d’un échelon, de devenir directeur d’hôtel ? Pas toujours.
Pour le garder dans mes effectifs, je peux par exemple lui proposer de prendre un poste similaire dans une autre région, un autre pays. Tout comme je peux le faire évoluer vers un poste de mentor ou lui proposer des projets transverses.
C’est une nouvelle vision des ressources humaines qui commence tout juste à arriver en France, mais qui existe déjà dans d’autres pays. Car il y a beaucoup de choses à faire en matière de pilotage des parcours professionnels.
Il me paraît ainsi essentiel que les RH s’engagent sur cette voie, prennent de la vitesse pour repenser les ressources humaines et leur rôle dans l’entreprise.
Quel regard portez-vous sur la tendance à l’hyper individualisation dans la gestion des talents ? L’entreprise devra-t-elle prendre en compte tous les besoins individuels ?
C’est une question que je me pose souvent, mais personnellement je pense que c’est une vision très startup. En effet, il est possible d’individualiser lorsque l’entreprise est composée d’une vingtaine de salariés. Mais dans les groupes ayant plus de 20 000 collaborateurs, c’est assez utopique.
Dans une entreprise comme la mienne, j’ai par exemple la charge d’une masse salariale très importante, dans plusieurs hôtels répartis sur une large zone géographique. Dans cette configuration, il faut être réaliste : l’individualisation est bien trop complexe à mettre en œuvre pour les équipes.
En revanche, en tant que DRH, mon objectif est de m’assurer que si l’entreprise n’est pas en mesure de répondre parfaitement à tous les besoins, elle doit faire le maximum pour essayer de les satisfaire.
Donc cela signifie qu’il faut penser flexibilité du travail, développement personnel des collaborateurs, mobilité comme je l’ai déjà évoqué.
De même, il nous revient aussi de parler de la rémunération ou encore du bien-être des collaborateurs. Tous les sujets qui concernent — de près ou de loin — certaines populations au sein de l’entreprise doivent être abordés et traités dans la mesure du possible, en ayant une vision holistique.
L’individualisation, c’est en réalité du 50/50
De son côté, l’entreprise doit apporter des réponses sur différents sujets. Tandis que le collaborateur doit savoir dire si ça lui convient ou non. Au besoin, les deux parties trouvent un compromis. Dans le cas contraire, chacun est d’accord pour continuer de son côté.
J’ai toujours géré les équipes de cette manière : si un besoin est important pour un salarié, mais que je ne suis pas en mesure de le satisfaire, je suis la première à l’aider à trouver un autre poste. Car nous savons tous que s’il y a une frustration, un mécontentement, ça ne peut pas marcher.
À l’inverse, si j’ai la capacité d’accéder à sa demande, c’est mon rôle de le faire.
En résumé, l’entreprise doit prendre des engagements, mais elle a des limites. Tout comme l’employé. À partir du moment où chacun est clair, chacun comprend les limites de l’autre, il n’y a pas de surprise.
L’inclusion fait partie des engagements IHG pour 2030. Qu’est-ce que ça signifie pour vous de créer une culture inclusive ?
L’inclusion est un grand sujet. Mais concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? À mon sens, cela peut très simplement se traduire par la volonté d’ouvrir la porte de l’entreprise à tout le monde.
Comment ? En ayant des règles claires pour tous. Je m’explique. Je suis brésilienne et j’ai une formation en marketing. Il y a 6 ans, j’ai fait une reconversion professionnelle vers les ressources humaines, mais je n’ai pas le « background RH » demandé par beaucoup d’entreprises.
Pourtant, je suis aujourd’hui directrice des ressources humaines au sein du groupe IHG Hôtels & Resorts.
Ne pas connaître certains aspects de ressources humaines aurait pu être un frein, mais j’ai tout de même envoyé ma candidature et j’ai eu affaire à un recruteur qui s’est dit : « Si j’embauche Mariana, je dois mettre en place un plan d’action pour qu’elle puisse réussir. »
J’ai été embauchée et l’entreprise a tout de suite créé un plan d’accompagnement pour moi. En contrepartie, il faut que j’apprenne les différents sujets qui touchent l’administration RH. Il y a donc une adaptation et un investissement de part et d’autre.
Et, en définitive, il me semble que c’est de cette manière qu’il faut appréhender l’inclusivité en 2024 : en laissant à tout le monde la possibilité de rejoindre l’entreprise. Cela implique de déployer des politiques RH très transparentes sur l’approche à avoir pour : s’assurer que chacun à sa chance d’une part, et construire un environnement de travail sécurisé d’autre part.
Selon vous, la formation s’inscrit-elle comme un levier de la stratégie RH 2024 ?
Oui, mais à une condition. À mon sens, la formation pourra s’inscrire comme un levier stratégique d’engagement et de développement uniquement si elle n’est plus déconnectée de la stratégie talents.
Aujourd’hui, je trouve que l’on voit encore trop souvent des départements formation centrés sur eux-mêmes : ils conçoivent des plans de formation et des parcours pédagogiques, mais les KPIs comme le taux d’inscription et le taux de complétion ne sont pas bons. Pourquoi ? Parce qu’en l’état la valeur de l’apprentissage continu n’est pas claire pour les équipes qui ne savent pas toujours ce que la formation va leur apporter.
J’ai travaillé au sein de départements learning, donc je défendrai toujours la formation et je suis convaincue de la plus-value qu’elle apporte. Mais il faut prendre du recul, être pragmatique et définir des objectifs concrets : il ne s’agit plus seulement de répondre à une obligation administrative, mais, je le répète, de servir la stratégie talents.
C’est-à-dire prendre en compte la formation dans notre stratégie RH pour définir les priorités du learning. Ainsi, la formation doit s’intégrer à nos objectifs de développement, et pas seulement graviter autour. Cela fait toute la différence.
Par exemple, en tant que DRH, j’ai plusieurs priorités en ce qui concerne le développement des compétences : management, soft skills et service client. Les enjeux sont importants puisqu’il s’agit de driver du business, de faire évoluer les collaborateurs et d’ouvrir de nouvelles perspectives, pour l’entreprise et les salariés. La formation dispensée doit donc être en adéquation avec ces priorités.
Comment répondre aux enjeux RH 2024 ?
Nous le constatons tous, l’environnement des entreprises ne cesse d’évoluer. Les marchés sont de plus en plus concurrentiels, les attentes des candidats et des collaborateurs ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, plus personne ne fait toute sa carrière auprès du même employeur et la pénurie des talents existe vraiment, à différents niveaux selon les industries.
Aujourd’hui, nous sommes donc à un tournant pour les métiers des ressources humaines. On ne recrute plus de la même manière, on ne fait plus évoluer les équipes comme avant.
Il faut arrêter de réfléchir la RH comme nous l’avons toujours fait. Le monde du travail a besoin de stratégies pensées pour les individus et pas uniquement pour les procédures. Il faut casser les codes, faire preuve d’inventivité, repenser nos manières d’appréhender la gestion des ressources humaines.
C’est, je pense, à cette condition que nous serons en mesure de créer un milieu professionnel agile, inclusif et performant. En 2024, mais aussi dans les années à venir.