Si les difficultés de recrutement sont de mise dans les entreprises, l’inverse est aussi vrai : de nombreuses personnes éprouvent encore des difficultés d’accès à l’emploi. C’est notamment le cas de 5,4 millions de personnes vivant au sein de 1 514 Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville (QPV), représentant pas moins de 8,2 % de la population française et 13 % des demandeurs d’emploi.
Plus encore, ces quartiers connaissent un taux de chômage bien supérieur à la moyenne nationale, rendant l’accès à l’emploi plus difficile pour leurs habitants.
Expérimenté en 2018 et déployé en 2020, le dispositif « emploi franc » vise précisément à faciliter l’embauche de résidents des quartiers prioritaires de la politique de la ville en offrant aux employeurs une aide financière. Cette dernière est accordée sous forme de primes variables en fonction du type de contrat (CDI ou CDD d’au moins 6 mois).
Cependant, l’efficacité de ce dispositif suscite des réserves. Une enquête menée par la Dares en 2022 a révélé que dans la majorité des cas, les emplois auraient été pourvus par les mêmes candidats même en l’absence de l’aide financière, ce qui suggère un effet d’aubaine.
Éclairages.
Emploi franc : définition et objectifs poursuivis
Le dispositif appelé « emploi franc », expérimenté par le gouvernement depuis 2018 et généralisé en 2020, permet à un employeur de percevoir une aide financière lorsqu’il recrute une personne résidente d’un quartier prioritaire de la politique de la ville.
L’objectif de cette politique ? Réduire les difficultés d’accès à l’emploi pour les personnes résidant dans ces quartiers, où le taux de chômage est 2 fois plus élevé que dans le reste de la France. Cette mesure se veut-elle lutter contre les discriminations liées à l’emploi ? Selon la Dares, à diplôme, âge ou parcours équivalents, il est plus complexe pour ces personnes d’avoir accès à l’emploi. Au-delà des discriminations liées à l’origine réelle ou supposée, le lieu de résidence ou le fait d’habiter en QPV peut constituer un frein à l’embauche.
Cette aide financière se traduit par une prime variable selon le contrat de travail :
- dans le cadre d’un CDI, l’employeur peut percevoir 5 000€ par an, durant 3 ans maximum ;
- dans le cadre d’un CDD d’au moins 6 mois, l’employeur peut percevoir 2 500€, durant 2 ans maximum.
Attention : quel que soit le motif, si le contrat de travail est interrompu au cours des 6 premiers mois, l’aide ne sera pas distribuée. En revanche, lorsque le contrat est interrompu après les 6 premiers mois et avant son terme, la prime « emploi franc » est calculée de façon proportionnelle à la durée effective de travail.
Bon à savoir : la prime « emploi franc » peut être cumulée avec les autres aides à l’embauche en contrat de professionnalisation. En revanche, la prime ne se cumule pas avec d’autres aides de l’État liées à l’insertion professionnelle, à l’accès ou au retour à l’emploi.
Les conditions à remplir pour être éligible à cette aide :
- Être à jour de ses obligations fiscales ;
- Ne pas avoir déjà bénéficié d’une aide de l’État à l’insertion professionnelle pour le nouvel employé ;
- Ne pas recourir au licenciement économique sur le futur poste en emploi franc dans les 6 mois précédant le recrutement ;
- Le salarié recruté ne doit pas avoir déjà appartenu à l’effectif de l’entreprise durant les 6 derniers mois ;
- Le contrat doit être un CDI ou CDD d’au moins 6 mois ;
- Ne pas bénéficier de cette aide dans le cadre d’un contrat d’apprentissage ;
- Le nouvel employé doit appartenir à l’une des 3 catégories suivantes : il s’agit d’un demandeur d’emploi inscrit à Pôle emploi, d’un adhérent à un contrat de sécurisation professionnelle ou d’un jeune suivi par une mission locale, mais non inscrit en tant que demandeur d’emploi.
Enfin, cela va sans dire, le salarié recruté doit impérativement résider dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Comme le rappelle l’INSEE, les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont des « territoires d’intervention du ministère de la Ville, définis par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014. Leur liste et leurs contours ont été élaborés par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) », devenu depuis janvier 2020 l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires).
Emploi franc : une politique efficace ?
Pour comprendre comment les emplois francs influent sur les décisions liées à l’embauche, la Dares a mené cette année son enquête auprès d’organisations ayant recruté via ce dispositif en 2022.
- Le saviez-vous ? Sur l’année 2022, 26 800 personnes habitant au sein d’un QPV ont été recrutées dans le cadre de la politique de l’emploi franc, sur 48 900 bénéficiaires en fin d’année, d’après la Dares.
Toutefois, le ministère du Travail a récemment noté une baisse du dispositif de 1,6 % par rapport à 2021.
Après quatre années consécutives caractérisées par un recours croissant aux emplois francs depuis leur lancement en 2018, les entrées en emploi franc marquent en 2022 un léger recul.
Selon le rapport de la Dares, si la très grande majorité des embauches en emploi franc sont conclues dans le secteur tertiaire (83 %), notamment dans le commerce (14 %) et l’hébergement-restauration (13 %), on note que le dispositif « emploi franc » n’a pas d’effet sur le choix de la personne recrutée dans 77 % des cas. Autrement dit, les postes auraient été pourvus par la même personne en l’absence du dispositif.
Un effet d’aubaine
On parle alors d’effet d’aubaine : en l’absence d’aide financière, le recrutement aurait eu lieu au même moment, et avec la même personne. Un effet qui pourrait être accentué par les communications de Pôle emploi et du SPE auprès des entreprises. Pour 28 % de l’ensemble des recrutements en emploi franc en 2022, les employeurs ont déclaré avoir eu contact avec un opérateur du SPE, « et que cela les a conduits à demander l’aide sans que cela influe sur leur décision de recruter la personne. Ces situations sont principalement dues à des contacts qui ont lieu après la décision de recruter. », indique la Dares. En outre, on note que l’effet d’aubaine est plus important quand le recruteur est dans une entreprise composée de plusieurs établissements (85 % vs 72 % pour une entreprise comptant un seul établissement). En revanche, les effets d’aubaine seraient peu différenciés selon les caractéristiques des bénéficiaires.
Outre les effets d’aubaine relevés, un « effet emploi » qui correspond aux embauches qui n’auraient pas eu lieu ou auraient eu lieu au moins 6 mois plus tard sans le dispositif. À peine 6 % des embauches n’auraient pas eu lieu sans cette aide financière. Un effet emploi qui serait d’ailleurs un peu plus important dans les entreprises de moins de 10 salariés. Et dans 5 % des cas, les employeurs auraient recruté un autre talent (on parle d’« effet de substitution »).
En définitive, pour près d’une embauche en emploi franc sur dix seulement, la mesure a permis d’embaucher une personne résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville et cela n’aurait pas été le cas en l’absence du dispositif.
Ceci étant dit, l’aide financière liée aux emplois francs a pu avoir un impact au moment où le recrutement a eu lieu, selon la Dares qui explique aussi que la difficulté des employeurs à « se le remémorer » amène à « sous-estimer les effets emplois, de substitution et d’aubaine mesurés via l’enquête ».
En outre, on observe tout de même un effet du dispositif sur la qualité de l’emploi pour les embauches en CDI, comme l’indique ce tableau.
Malgré un fort effet d’aubaine, les emplois francs améliorent la qualité des emplois créés sans l’aide
En conclusion, l’analyse de la Dares nous apprend que les emplois francs témoignent d’un fort effet d’aubaine, puisque la majorité des emplois auraient été pourvus par le même talent en l’absence de l’aide financière.
Cependant, il est à noter que l’effet du dispositif a été plus marqué pour les embauches en CDI, ce qui suggère un impact positif sur la qualité de l’emploi en la matière. Sans la mise en place de cette aide financière, la part des CDI et celles des contrats à temps complet auraient été moins élevées.
Les emplois francs améliorent la qualité des emplois qui auraient été créés sans l’aide. D’après les employeurs, parmi les embauches n’étant pas associées à une création d’emploi, la part de CDI et celle des contrats à temps complet auraient été moins élevées en l’absence du dispositif.
En somme, le dispositif « emploi franc » a contribué à l’embauche de résidents de quartiers prioritaires, mais son efficacité varie selon les cas, et la mesure serait jugée peu dynamique, avec des effets d’aubaine et des résultats plus positifs pour les emplois en CDI. Toutefois, l’impact global du programme dépend des caractéristiques des organisations.