Nadine REGNIER ROUET, Avocat à la Cour, spécialisé en droit social, nous apporte son expertise et son regard sur l’actualité du droit social.
Devinette : elles ont vu le jour durant l’été 2008 ; employeurs et salariés en signent 20.000 en moyenne par mois ! De quoi s’agit-il ?
En mai 2010, 19.502 ruptures conventionnelles ont été homologuées par le Ministère du Travail. En tout, ce sont 320.000 contrats de travail qui se sont terminés « à l’amiable » depuis l’instauration de ce mode de rupture « en douceur » du contrat de travail.
La rupture conventionnelle des articles L 1237-11 et suivants du Code du travail a beaucoup d’atouts :
Elle est, notamment, accessible aux représentants du personnel avec cette réserve que la convention de rupture doit alors être autorisée par l’inspection du travail compétente (article L 1237-15).
Les statistiques de Pôle Emploi démontrent qu’elle permet aussi de se séparer en douceur des seniors…
Elle ouvre droit à une indemnité de rupture versée par l’entreprise au salarié -elle n’est donc pas « indolore » pour l’entreprise ! – et aux allocations de Pôle Emploi, comme dans le cas d’un licenciement. C’est d’ailleurs ce qui en fait le succès auprès des salariés.
L’indemnité de rupture est au moins égale à l’indemnité légale de licenciement, mais atteint le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement dans les entreprises relevant de branches d’activité représentées par le Medef, la CGPME ou l’UPA, soit la majeure partie des cas de recours.
L’indemnité de rupture suit le même régime social et fiscal que l’indemnité de licenciement (sauf pour les salariés seniors qui peuvent faire valoir leurs droits à la retraite d’un régime de base, pour lesquels elle est soumise aux cotisations sociales).
La rupture conventionnelle fait même mieux que le licenciement puisqu’une faible ancienneté de moins d’un an du salarié candidat à la rupture conventionnelle lui permet malgré tout de bénéficier de l’indemnité de rupture au prorata des mois de présence à l’effectif de son employeur. C’est encore une bonne raison d’opter pour ce mode de rupture du contrat de travail.
Cependant, ce succès tous azimuts n’implique pas la réussite totale des ruptures envisagées : procédure relativement complexe et risques d’erreur, nécessité absolue d’un troisième œil -celui de l’inspection du travail- qui peut s’opposer à la rupture, possibilité de litiges après signature de la rupture, voilà quelques désagréments auxquels il faut penser au moment de choisir cette manière de rompre les ponts juridiques avec son salarié !
I – Rappel de la procédure
Si la rupture est amiable, elle doit cependant respecter une procédure qui inclut :
– Un ou plusieurs entretiens préalables au cours duquel (desquels) les parties négocient la convention et peuvent à cet effet se faire assister,
– un délai de rétractation de 15 jours calendaires après la signature, utilisable par l’employeur ou par le salarié, la rétractation se faisant par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l’autre partie à la convention ou par lettre remise en main propre contre décharge, afin que cette rétractation ait date certaine,
– enfin, la fameuse demande d’homologation à l’administration du Travail, par écrit, qui, elle aussi, génère un délai d’examen de 15 jours ouvrables courant à compter de la réception de la demande par l’administration.
Par conséquent, rupture conventionnelle ne veut pas dire rupture sans façons et sans délai ! (Pour aller plus loin : la procédure à suivre en cas de licenciement à l’amiable.)
Notamment, et ce point peut poser problème dans certaines fonctions, le salarié fait partie de l’effectif de l’entreprise et son contrat de travail se poursuit sans aucun changement pendant la procédure que nous venons de rappeler puisque la date de rupture agréée par les parties est au plus tôt le lendemain de la date d’homologation par l’administration (ou le lendemain de la fin du délai d’homologation).
Mon conseil aux responsables RH : révisez bien la procédure avant de vous lancer et, si possible, demandez conseil en amont à un professionnel du droit social qui saura répondre à vos questions, valider votre processus interne et vous accompagner au mieux.
L’Administration du Travail a, d’autre part, rappelé récemment les employeurs au respect des règles relatives aux licenciements collectifs pour motif économique et instruit ses inspecteurs de traquer les fausses ruptures conventionnelles à répétition qui cachent en fait des licenciements collectifs pour motif économique déguisés, ceci dans le but de contourner la législation sur les « grands » licenciements (dix personnes et plus) qui s’accompagnent d’une procédure d’information / consultation des représentants du personnel et d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Par conséquent, procéder à la multiplication de ce type de ruptures sur un bref laps de temps est déconseillé.
II – Rupture conventionnelle : elle peut être annulée par le juge
Une rupture conventionnelle signée et homologuée peut néanmoins encourir le risque d’être annulée par le Conseil de Prud’hommes, le recours devant être introduit dans les 12 mois de l’homologation (ou du refus d’homologation par l’administration).
Exemple de ce contentieux avec cette décision du Conseil de Prud’hommes des Sables-d’Olonne, du 25 mai 2010 qui a annulé une rupture conventionnelle, pourtant homologuée par l’inspection du travail, après avoir constaté que l’employeur l’avait conclue afin de s’exonérer à bon compte de ses obligations (notamment, de reclassement) envers son salarié devenu inapte suite à un accident du travail.
Les faits :
La convention avait été signée quatre jours après la visite de reprise du salarié qui l’avait déclaré inapte à son ancien poste et 15 jours avant que l’inaptitude ne soit confirmée par la deuxième visite. Le salarié, se ravisant, a saisi le Conseil de Prud’hommes pour faire constater que la rupture conventionnelle avait été signée au détriment de ses droits…
La décision :
Le Conseil a conclu à un détournement des articles L. 1226-2 et suivants du Code du travail (obligation de rechercher à reclasser le salarié inapte) par l’employeur en se basant
(1) sur la chronologie des faits et
(2) sur le contenu de la convention de rupture : l’indemnité conventionnelle avait été fixée à un montant très inférieur à celui de l’indemnisation prévue pour les salariés licenciés suite à une inaptitude d’origine professionnelle.
Décryptons ensemble ce jugement innovant (qui est d’ailleurs frappé d’appel) :
Le Code du travail ne précise pas si la rupture conventionnelle est ouverte aux cas de salariés devenus inaptes suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Dans le passé, s’agissant de ruptures amiables, la Cour de cassation s’est prononcée contre la possibilité de telles ruptures dès lors que le salarié était en période de suspension de son contrat de travail, avant visite de reprise, mais elle ne s’est apparemment pas prononcée sur leur validité si elles sont conclues après la fin de cette période de suspension, comme en l’espèce. Le jugement est donc novateur à ce titre.
Cependant, la Cour de cassation, dans le cas de ruptures amiables conclues avec des salariés inaptes, a décidé que l’employeur ne peut éluder l’obligation de recommencer à payer le salaire du salarié inapte (et non reclassé ou non licencié dans les formes et avec l’indemnisation requise) par la signature d’une telle rupture amiable. Autrement dit, elle a fait échec à la tentative de l’employeur d’utiliser une rupture amiable du contrat de travail pour contourner la Loi et échapper à ses obligations financières à l’égard de son salarié. Le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes des Sables-d’Olonne s’inspire de cette jurisprudence.
Enfin, sur les conséquences de l’annulation de la rupture conventionnelle, le Conseil de Prud’hommes a dû à nouveau innover dans le silence de la Loi et il a décidé que cette rupture annulée avait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, si cette décision est confirmée dans ses effets juridiques, le risque encouru par l’employeur qui aura abusé de l’usage de la rupture conventionnelle pourra se chiffrer lourdement, tout aussi lourdement qu’en cas de licenciement abusif, à savoir :
– dommages intérêts fixés à un plancher minimum égal à six mois bruts de salaires (si l’ancienneté du salarié est d’au moins une année et que l’entreprise compte au moins 11 salariés),
– remboursement à Pôle Emploi à titre de pénalité de l’équivalent de six mois d’allocations de chômage versés au salarié,
– dépens de l’instance judiciaire et, probablement,
– condamnation sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, qui obligera l’employeur à rembourser à son ex-salarié une partie des frais d’avocat que ce dernier aura dépensés dans cette affaire.
Mon conseil aux responsables RH : les circonstances entourant la rupture conventionnelle ainsi que l’économie financière de la rupture sont des éléments à prendre en considération pour évaluer votre « zone de risque juridique ».
Prendre conseil auprès d’un avocat spécialiste du droit social, préalablement à la signature de la convention, permet souvent d’identifier ce risque juridique potentiel ou un vice de forme ou de procédure -, risque que l’Avocat saura chiffrer pour la trésorerie de l’entreprise.
Nadine REGNIER ROUET
Avocat à la Cour, spécialisé en droit social
A propos de Nadine REGNIER ROUET
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