Mesurer le développement professionnel relève-t-il de la philosophie d’entreprise ou de l’investissement ? Peut-on mesurer le ROI de la formation ? Existe-t-il des outils ? Ces questions figuraient au programme de la conférence organisée par l’Institut CRF le 25 juin 2013. Témoignages et réponses.
La rentabilité de l’action de l’entreprise dans le développement de ses hommes se calcule-t-elle ? La question, dès lors qu’elle est posée, est potentiellement polémique car elle touche le point de la valeur de l’entreprise – de plus, en mettant l’humain et l’argent dans le même panier, elle tente un rapprochement qui provoque des réticences.
Et elle entraîne d’autres interrogations : existe-t-il des outils de mesure de la formation et faut-il investir dedans ? Peut-on raisonner en termes de ROI sur ce sujet qualifié d’irrationnel par certains ? D’autres assurent, comme Benoît Montet, directeur France de l’Institut CRF, que les outils existent déjà au sein de l’entreprise et que cette mesure est nécessaire : « Il ne faut pas en avoir peur car cela renforce la crédibilité des RH. »
« La formation n’est pas une fin en soi, il faut en mesurer l’efficacité »
Chez TNT Express France et Lyreco on est convaincu de cette nécessité. Ainsi, TNT Express France a mis en place en 2008/2009 un outil baptisé EFEL (Évaluation de la Formation En Ligne).
Destiné aux managers, il permet le suivi d’un processus de formation et la mesure de son efficacité. « Attaché au module d’inscription, il déclenche, dès le début du processus, l’envoi automatique d’un courriel pour que le manager organise en amont de la formation un entretien avec son collaborateur, même chose en aval », explique Sylvain Martinet, responsable de la formation et du développement des compétences de cette entreprise.
Support d’incitation et de justification, puisque le manager est responsable d’un budget formation, EFEL fait partie intégrante du cursus management maison et a été adapté depuis sa création. « La formation n’est pas une fin en soi, il faut en mesurer l’efficacité et tous les dispositifs ne sont pas mesurés de la même façon. Ainsi, sur des formations transverses d’envergure, ce dispositif est complété par d’autres outils. Par ailleurs, cela demande un travail pédagogique quotidien sur l’utilisation de la formation, pour en rappeler les enjeux », précise M. Martinet.
ROI vs ROE
Lyreco utilise pour sa part un outil nommé « Bilan annuel des plans de formation ». Il comprend une partie chiffrée (les classiques indicateurs clés d’un département formation), une partie mesure d’efficacité et une partie enseignements à tirer pour l’avenir. « On touche là un sujet où il est compliqué d’être objectif et très concret », remarque Thibault Lamiaux, DRH de Lyreco.
Le calcul du ROI pose problème, certes, « sauf pour certaines formations techniques, on n’arrive jamais à l’évaluer à 100%, notamment parce qu’on ne sait pas quelle est la part de l’efficacité de la formation dans un résultat, ou parce qu’il est incalculable, par exemple sur des formations managériales ou comportementales », ajoute-t-il. Toutefois, d’autres mesures significatives sont possibles avec le ROE (return on expectation) qui s’appuie sur les objectifs de la formation.
Après avoir investi tant dans tel dispositif, après avoir effectué une analyse macro et micro du ROE d’un plan de formation, « on doit pouvoir dire si l’on a atteint son objectif, de différent points de vue : entreprise, département par département, métier par métier, formation par formation », complète Thibault Lamiaux. Compte tenu de tous ces éléments, il s’agit ensuite d’appliquer le traditionnel PDCA (Plan, Do, Check, Act). Par ailleurs, une pratique courante chez Lyreco consiste à fixer un objectif d’entreprise plutôt qu’un objectif de formation : « Ainsi, le DRH, bien qu’il ne soit pas patron des ventes, a les mêmes objectifs que lui si l’objectif global est un +50% des ventes. »
Les préalables à l’efficacité
Puisqu’il s’agit de mesurer l’efficacité d’une formation, il faut en poser les préalables. Les débats du 25 juin ont permis de faire ressortir que cette efficacité passe par :
- La motivation au travail du salarié, son initiative. « Toutes les séances d’identification des potentiels (revues des talents, GPEC appelée maintenant GEPP, people reviews…) oublient que la motivation du collaborateur est fondamentale. Quand on est désigné haut potentiel, se sent-on comme tel ? Il n’est pas évident de refuser un programme HP, on risque de passer pour un looser », pointe Benoît Montet.
- Un bon timing. « Un programme de développement doit arriver au bon moment, c’est une clé ; si on suit une formation en langues ou en management qui ne peut s’appliquer à rien derrière, à quoi bon ? », poursuit-il.
- La connaissance des attentes des initiateurs des programmes. « Comme il est difficile de savoir ce qu’il faut mesurer, on doit préciser ce qu’on attend d’une formation. Cela doit être défini selon des objectifs globaux mais aussi personnalisés, il faut un objectif individuel pour chaque bénéficiaire. Les outils informatiques et interactifs permettent de les déterminer ».
Les temps de mesure de l’entreprise ne sont pas adaptés
On ne tire pas sur une fleur pour la faire pousser pas plus qu’on ne force le développement d’une personne. « On a tendance à vouloir caler la mesure de l’efficacité de ces programmes sur les temps de mesure de l’entreprise, qui sont essentiellement financiers (le quarter, l’année…), or développer les hommes prend du temps. Le temps de mesure indicatif ne serait-il pas plutôt trois à cinq ans ? », pointe Benoît Montet. Toutes les entreprises peuvent se dire qu’hormis les trois premières années où il est difficile d’avoir des indications valables, la mesure est pertinente car elles ont du recul sur les outils qu’elles utilisent.
Croiser les indicateurs qui existent déjà dans l’entreprise
Thibault Lamiaux parle d’un « faisceau d’indices » dont il faut tenir compte pour mesurer l’efficacité d’un dispositif de développement. Cette mesure a beau être difficile, elle est possible en croisant les indicateurs qui existent déjà dans l’entreprise : taux de promotion interne, niveaux de performance issus des évaluations annuelles, taux de turn-over, d’absentéisme, valeur ajoutée (la montée en gamme dans les produits basiques, la part des nouveaux produits dans le total des ventes produits…). Il s’agit d’aller chercher des indicateurs pas uniquement RH et de voir si on peut établir des corrélations avec les outils du développement professionnel.
Enfin, on mesure assez peu en France, ce qui peut expliquer qu’on trouve compliqué de le faire. « La difficulté est d’aller trouver des chiffres, de les faire parler sans leur faire dire n’importe quoi, de croiser des données, il faut des ressources pour cela et c’est le rôle du contrôleur de gestion RH ; les outils, eux, sont suffisamment à la pointe », conclut Benoît Montet.
Sophie Girardeau