Congés inadaptés, solitude du collaborateur, accompagnement délicat pour les managers… La gestion du deuil par l’entreprise est un sujet complexe, inhérent à la vie privée du salarié et pas toujours simple à considérer pour les organisations.
Pourtant, cette gestion du deuil fait aussi partie intégrante de la QVCT. Car elle révèle, entre autres, la capacité d’une entreprise à reconnaître l’humain derrière le salarié.
Alors, quelles sont les bonnes pratiques pour soutenir les collaborateurs dans ce moment sensible ? Comment accompagner sans être intrusif ? Des questions — profondément sociales, mais encore trop marginales — auxquelles cet article tente de répondre.
Deuil : une épreuve universelle pourtant mal considérée en entreprise
Un cadre réglementaire peu adapté
En France, les congés accordés à la suite d’un décès varient selon le lien de parenté avec la personne disparue. Un système qui, en l’état, donne l’impression de hiérarchiser les deuils, sans toujours correspondre à la réalité vécue par les personnes.
Voici ce que prévoit le Code du travail en matière de congés accordés en cas de décès d’un proche :
| Lien de parenté avec la personne décédée | Durée des congés |
Enfant :
|
14 jours
+ 8 jours de congé de deuil pour l’enfant de moins de 25 ans |
| Personne de moins de 25 ans à charge effective et permanente | 14 jours |
| Enfant | 12 jours |
| Époux(se), partenaire de Pacs ou concubin | 3 jours |
| Père, mère, beau-père ou belle-mère | 3 jours |
| Frère ou soeur | 3 jours |
| Autre membre de la famille | Aucun congé prévu |
Bien que chaque situation soit différente, déjà, le cadre réglementaire imposé complexifie la position des RH.
Dans les faits, les arrêts de travail liés à un deuil durent en moyenne 34 jours, bien au-delà du droit initialement prévu.
Un accompagnement souvent improvisé
Autre constat : la prise en charge des salariés en deuil relève souvent de l’improvisation. En entreprise, le sujet est perçu comme tabou, dans une zone grise entre vie privée et vie professionnelle.
Faute d’une sensibilisation au préalable, la prise en compte des conséquences se trouve limitée. Car l’impact d’un deuil dépasse le cadre psychologique et le collaborateur peut faire face à des difficultés :
- physiques (maladies aigües ou chroniques, douleurs diverses, troubles du sommeil, pertes de concentration…) ;
- affectives (blessure émotionnelle) ;
- familiales (ruptures, déchirements) ;
- sociales (isolement, déréalisation), ;
- spirituelles (remise en question, changement de priorités) ;
- matérielles (pertes de revenus, de logement, blocages administratifs).
Dans ce contexte, l’écoute et la considération sont primordiales, là où l’administratif et la gestion des détails pratiques prennent souvent le dessus, par manque de formation des accompagnants eux-mêmes.
Alors quelle est la posture à adopter et, par opposition, les comportements à éviter pour aider les collaborateurs en situation de deuil ?
Accompagner le collaborateur en situation de deuil
Il n’existera jamais de « recette miracle » pour aider un collaborateur à faire face à un décès. Pour certains, le retour au travail sera quasi immédiat, pour d’autres la reprise sera difficile, voire impossible.
Dans tous les cas, il ne s’agit ni d’un protocole à suivre, encore moins d’une formalité. L’accompagnement de l’entreprise doit offrir un cadre souple pour respecter les besoins du salarié, sans négliger son entourage professionnel.
Tout commence par un échange direct. Un entretien avec la personne concernée, mené avec tact et confidentialité, permet d’explorer ses besoins, ses attentes et les impacts possibles sur son quotidien professionnel. Il s’agit de co-construire une reprise adaptée. Ce dialogue contribue aussi à garantir un traitement équitable entre salariés, tout en évitant les écueils du favoritisme ou de la subjectivité.
Offrir des appuis concrets
Au-delà d’une écoute bienveillante, l’accompagnement vise à trouver et mettre en place des solutions adaptées. Par exemple :
- aménagement temporaire du temps ou du lieu de travail ;
- orientation vers des dispositifs d’aide existants (publics, associatifs, internes) ;
- appui administratif ;
- mobilisation de ressources spécialisées telles que la médecine du travail, une assistante sociale, un soutien psychologique, un coach, une rencontre avec une association spécialisée, etc.
Le retour au travail doit faire l’objet d’attentions spécifiques mais l’accueil ne doit pas être surjoué non plus. Aborder la situation avec sincérité et simplicité en demandant d’excuser par avance les possibles maladresses est déjà un premier pas pour désamorcer un possible malaise.
Et quand le retour au travail est impossible ?
11 % des salariés en deuil finissent par quitter leur emploi. Parfois, le temps ne suffit pas. Le décalage avec le quotidien de travail et les tracas du bureau sont trop importants.
Plutôt que de forcer une reprise coûte que coûte, mieux vaut ouvrir la discussion sur les alternatives possibles (temps partiel thérapeutique, congé sans solde, reconversion, etc.).
Soutenir les équipes : éviter le silence, prévenir les tensions
L’absence prolongée d’un collègue impacte le collectif. Et pourtant, les équipes sont souvent les grandes oubliées de ces situations. Le réflexe de « ne rien dire » peut générer flou, rumeurs ou maladresses involontaires. La solution : miser sur une communication sobre, transparente et encadrée, sans empiéter sur la confidentialité.
Idéalement, les informations peuvent être partagées à l’initiative du salarié concerné. Si ce n’est pas possible, les RH ou le manager peuvent relayer le minimum nécessaire, avec son accord.
Il est également utile de préparer les équipes à la reprise : comment réagir ? Faut-il en parler ? Quelle posture adopter ? En cas de deuil particulièrement difficile (perte d’un enfant, décès violent…), ces repères évitent de basculer dans l’évitement ou l’excès de compassion.
Quelques gestes simples peuvent faire la différence : proposer un échange individuel à ceux qui le souhaitent, faire quelques visites informelle, envoyer un message collectif de soutien…
L’enjeu n’est pas de rajouter de nouvelles responsabilités aux managers (au risque de les saturer et de les fragiliser davantage) mais de créer un écosystème d’entraide, piloté par le manager avec le concours actif de l’ensemble des collaborateurs en mobilisant les ressources internes (RH) et externes (experts, associations…).
Épauler les managers : pivots à protéger
En première ligne, les managers se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes face à des situations émotionnellement complexes. Ils doivent faire preuve d’écoute, d’adaptation, de maintien d’équipe… sans toujours disposer des ressources ou repères nécessaires.
Leur fournir un appui spécifique est donc essentiel, via des:
- espaces de parole sécurisés, confidentiels ;
- ressources relais (RH, consultants, partenaires spécialisés) pour ne pas tout porter seuls ;
- outils de formation à la gestion des situations sensibles, incluant les réactions émotionnelles variées (colère, retrait, indifférence…).
L’enjeu n’est pas de tout déléguer aux managers (au risque de les saturer et de les fragiliser davantage) mais de créer un écosystème d’entraide, où chacun — RH, collaborateurs, professionnels externes — contribue à alléger la charge.
Dépasser le cadre légal : une autre manière d’accompagner le deuil en entreprise
Si l’accompagnement humain est essentiel, l’entreprise peut également jouer un rôle déterminant en allant au-delà des obligations légales. Cela passe notamment par un accord d’entreprise plus favorable à des situations particulières : durée supplémentaire ou congé en cas de décès d’autres membres de la famille par exemple.
Certaines organisations intègre même le deuil périnatal (« fausse couche » avant, pendant voir juste après la naissance), un événement encore négligé, quand il n’est pas tout simplement passé sous silence.
La gestion du deuil en entreprise, un indicateur de maturité sociale ?
En abordant la question du deuil, c’est un signal fort que lance l’entreprise. Dans les moments les plus difficiles, elle ne détourne pas le regard. Au contraire, elle reste présente, attentive, et responsable.
En structurant son accompagnement — à travers des postures managériales adaptées, un soutien collectif et des dispositifs concrets — l’employeur :
- renforce sa culture de la solidarité et du respect ;
- développe un climat de confiance et d’écoute ;
- affirme une vision du travail centrée sur l’humain, au-delà des résultats.
Source(s) documentaire(s) :
- Accompagner les collaborateurs endeuillés (…), Cercle vulnérabilités et Société

