La fonction managériale connaît une désertion croissante, avec seulement 20 % des travailleurs aspirant à devenir managers selon une étude Audencia Business School et BVA.
Face à ce déclin, les défis actuels des managers, tels que l’isolement (41 %) et la charge mentale, sont révélateurs.
Pour inverser cette tendance, 3 recommandations émergent, visant à revaloriser la fonction managériale et prévenir une pénurie future, à l’heure où manager semble plus difficile qu’auparavant.
Comment expliquer la désertion des managers ?
Faut-il craindre une pénurie de managers ?
La quête traditionnelle de nombreux collaborateurs visant à accéder à des postes de management semble être en déclin. Selon une étude Audencia Business School et BVA, seuls 20 % des collaborateurs aspirent aujourd’hui à devenir managers, contrastant fortement avec les ambitions passées.
Ce qui soulève des questions cruciales sur les raisons derrière cette désertion. Notamment, une enquête d’OpinionWay révèle que 54 % des managers actuels n’ont pas exprimé le désir initial de prendre en charge des responsabilités managériales. Ces chiffres indiquent un changement majeur dans la perception et la volonté des individus à occuper des postes de gestion.
Selon les résultats d’un récent baromètre Alan x Harris Interactive (2023), les managers sont nombreux à se sentir isolés (41 %), pris en étau entre les demandes des salariés et la charge mentale liée à la performance. D’ailleurs, 2 sondés sur 3 n’occupant pas de fonctions managériales n’y aspirent pas. De manière générale, 1 Français sur 2 considère que manager est plus difficile qu’avant.
Comment expliquer cet état de fait ?
Premièrement, le rapport au travail a complètement été bouleversé. Si le télétravail n’est, semble-t-il, plus aussi populaire qu’auparavant, il est intégré aux modes de travail à part entière lorsqu’il s’agit de métiers télétravaillables.
Le télétravail a certes beaucoup d’avantages, mais il pose aussi des questions à un niveau psychosociologique. N’attachant plus le travail à un lieu ou des horaires, il devient par exemple plus difficile de faire la différence entre un manager très impliqué dans son travail d’un manager complètement surmené.
Par ailleurs, il n’est plus à démontrer aujourd’hui que les attentes des salariés et candidats ont évolué depuis la pandémie. Une seconde édition du baromètre Alan publiée en fin d’année 2022 le démontrait déjà (diminution de l’importance liée au travail, remise en cause du sens de son activité, priorisation d’un work-life balance, etc.).
Or, les managers seraient trop peu équipés pour faire face à ces changements structurels, comme l’explique Jean-Emmanuel Ray, juriste et professeur à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne :
Toute la société, et donc les entreprises, était auparavant organisée de façon verticale, sur le modèle du pater familias. Or, les collaborateurs d’aujourd’hui n’ont pas été formatés à cette subordination, contrairement aux générations précédentes. C’est pourquoi les managers dégustent. (…)
Face à une désertion évidente, le défi du réenchantement
Pour revaloriser la fonction managériale et éviter une pénurie de managers, voici une liste de recommandations à destination des entreprises.
Répondre au besoin d’accompagnement des managers
À l’heure où les managers font face à des rapports de plus en plus individualisés au travail — et que les entreprises n’évoluent pas au même rythme à cet égard, tant s’en faut —, l’accompagnement des managers est fondamental. D’autant qu’ils sont précisément en demande d’accompagnement.
Plus de 2 managers sur 3 ressentiraient le besoin d’échanger avec leur hiérarchie quant à l’organisation du travail (Baromètre Alan x Harris Interactive, 2023). Et parmi les demandes des managers, les formations liées aux RPS en entreprise (risques psychosociaux) font partie des demandes les plus exprimées par les encadrants. On note d’ailleurs un clivage générationnel : les jeunes managers seraient plus sensibles à ces enjeux. Pour autant, ils auraient plus de mal à y répondre.
Et pourtant, c’est souvent les managers qui sont confrontés aux injonctions liées au bien-être des salariés, nécessitant certaines soft skills pour être un “bon manager”. C’est à eux que l’on demande de prévenir les risques psychosociaux, alors qu’ils y sont beaucoup confrontés eux-mêmes. D’ailleurs, 1 manager sur 2 est angoissé contre 35 % des non-managers.
- Le saviez-vous ? Selon Gurvan Collin, directeur du pôle Conseils pour GPA Initiatives (gestion et prévention de l’absentéisme), les demandes d’enquêtes en matière de RPS ont quadruplé entre 2021 et 2022, et celles sur la QVCT ont doublé sur la même période.
Prendre soin des managers
Si l’absentéisme a atteint son plus haut niveau depuis quelques années, les managers seraient concernés à double titre par l’absentéisme maladie. (Baromètre annuel absentéisme 2023, Malakoff Humanis) Un chiffre qui pourrait faire craindre, là encore, une désertion de la fonction.
Instaurer des mécanismes de soutien psychologique aux managers est donc crucial. Les entreprises devraient mettre en place des dispositifs en ce sens, pouvant se traduire par exemple par des sessions de coaching ou des groupes de parole, pour permettre aux managers de partager leurs défis et de recevoir un accompagnement adéquat. Cette approche contribuera à renforcer leur résilience et à maintenir leur motivation au travail.
En effet, selon Jean-Philippe Bouilloud, il n’y a aujourd’hui pas suffisamment d’espaces où les cadres peuvent s’exprimer, d’où le malaise psychologique. L’expert recommande ainsi la création d’espaces ou de collectifs favorisant l’écoute, l’entraide et le soutien.
“Ce type d’initiative existe dans certains grands groupes mais cela reste peu répandu. Or, ces espaces sont importants pour soulager la solitude des cadres. Ils ont besoin d’échanger hors hiérarchie des difficultés qu’ils rencontrent”, explique-t-il. Pourquoi ne pas créer des communautés de managers ?
Former les managers
La formation des managers n’est jamais négociable. Mais il ne s’agit pas de les former ou de les accompagner dans leurs premiers pas de manager et de les abandonner en cours de route.
D’autant plus à l’heure actuelle, où s’adapter au changement nécessite la mobilisation de soft skills plébiscitées. Anne Ruelleux, directrice du recrutement pour Capgemini, encourage les formations des managers dans un contexte de travail hybride :
Nous avons notamment mis en place un système de formations entre pairs ainsi qu’un programme de co-développement entre managers et RRH, auquel je crois beaucoup. Nous formons également nos managers au feed-back et à se montrer ouverts au ressenti de leur équipe. Cela libère la parole et c’est essentiel.
- Le saviez-vous ? Une majorité de managers serait intéressée pour se former à l’accompagnement des collaborateurs en arrêt maladie RPS, selon Malakoff Humanis.
Par ailleurs, notons que les managers ont désormais besoin de connaître les bases juridiques, ainsi que le soutient Jean-Emmanuel Ray, expliquant que notre société se “juridicise et se judiciarise”. Le manager devra obligatoirement suivre une formation liée au droit du travail s’il aspire à être crédible, ne serait-ce que pour connaître les fondamentaux.
Enfin, la formation des managers est nécessaire tout au long de leur carrière.
Une des raisons majeures de la désertion des postes de management est le manque de clarté sur les perspectives d’évolution de carrière. Les entreprises devraient instaurer des plans de carrière transparents, expliquant les occasions de progression et les avantages liés à la fonction managériale. Cela aidera à motiver les collaborateurs à embrasser ces responsabilités.