La reconnaissance et la constatation d’une situation de harcèlement moral n’est pas conditionnée à la constatation d’une dégradation effective de l’état de santé du salarié ou de ses conditions de travail.
Décision du 11 mars 2025 : Pourvoi n° 23-16.415
Dans ce cas d’espèce, une salariée a saisi la juridiction prud’homales de diverses demandes indemnitaires liées à la rupture et à l’exécution de son contrat de travail, faisant valoir notamment une situation de harcèlement moral se traduisant par des avertissements injustifiées et une absence de prise de congés lors de l’année 2016.
Le Conseil de Prud’hommes de Paris déboute la salariée de ses demandes relatives au harcèlement moral, décision qui sera confirmée en appel, ces deux juridictions estimant que la salariée ne rapporte pas la preuve que les faits dont elle fait état ont eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail ou une altération de son état de santé.
La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la problématique suivante : en présence de faits établis laissant présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral, peut-on refuser de caractériser celui-ci au motif qu’aucune dégradation des conditions de travail ou d’altération de l’état de santé de la salariée n’est établie ?
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La définition du harcèlement moral (L1152-1 du Code du Travail)
L’on rappellera la lettre de l’article L 1152-1 du Code du Travail qui définit le harcèlement moral et dispose :
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Cette définition suppose donc que les agissements en cause aient « pour objet ou pour effet » une dégradation des conditions de travail du salarié, situation qui peut potentiellement avoir pour effet d’altérer son état de santé. Une lecture attentive de ce texte permet donc de constater que la loi n’exige pas une dégradation avérée des conditions de travail tout comme elle n’exige pas que la santé du salarié soit effectivement atteinte. La possibilité qu’elle le soit suffit à caractériser la situation de harcèlement.
Or, en l’espèce, la Cour d’appel de Paris a reconnu que la salariée établissait des faits précis permettant de supposer l’existence d’un harcèlement moral. En effet, conformément à l’article L 1154-1 du Code du Travail, il revient au salarié de présenter des « éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement », à charge ensuite pour l’employeur d’y répondre.
La Cour poursuit en admettant que l’employeur échoue à rapporter la preuve que lesdits éléments étaient étrangers à tout harcèlement. En revanche, elle refusait la reconnaissance de la situation de harcèlement moral au motif que les faits n’avaient pas entraîné la dégradation effective des conditions de travail de la salariée ni de son
état de santé.
Par cette position, la Cour sous-entend et considère donc que, faute de caractériser ladite dégradation, aucune situation de harcèlement ne pouvait être établie.
Ce faisant elle s’éloignait de la lettre du texte et ajoutait une condition à celui-ci. Par conséquent, c’est de manière logique que la Cour de cassation formule sa motivation ainsi :
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’avertissement du 8 septembre 2015 était injustifié et que l’employeur ne fournissait aucune explication sur l’absence de sollicitation de la salariée quant à la fixation de ses congés en 2016, ce dont il résultait que l’employeur ne prouvait pas que ces deux agissements étaient étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Le message est sous-entendu mais il est parfaitement clair, la dégradation effective de l’état de santé du salarié et de ses conditions de travail n’est pas une condition nécessaire à la caractérisation d’une situation de harcèlement moral.
Cette application stricte de l’article L 1152-1 du Code du Travail est d’autant plus bienvenue qu’elle permet un alignement logique sur la jurisprudence établie de longue date par la chambre criminelle, laquelle considère que « la simple possibilité de cette dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral ». (Cass. Crim. 6 déc. 2011, pourvoi n°10-82.266).
Si l’infraction pénale est différente de la faute civile en ce qu’elle ne nécessite pas que les effets de l’acte se soient effectivement produit pour aboutir à une condamnation, il s’agit en toutes hypothèses dans le cas présent de faire une stricte application du texte.
Source(s) documentaire(s) :
- Pourvoi n° 23-16.415 — 11 mars 2025 Cour de cassation