Comment favoriser un réel accompagnement du manager en 2023, à l’heure où ces derniers sont pris en étau entre les demandes des collaborateurs et les impératifs de performance ?
Ce jeudi 20 avril, la rédaction a assisté à la conférence organisée par Alan marquant le lancement de la 3ème édition de son baromètre sur le bien-être des salariés en entreprise, réalisé avec Harris Interactive, avec un focus sur le rôle du manager.
A quelles difficultés sont-ils confrontés aujourd’hui ? Comment perçoivent-ils leur rôle dans le monde du travail et le futur du travail ? Comment améliorer leur accompagnement ? Comment les aider à améliorer leur accompagnement et encadrement des équipes ?
Pour répondre à ces questions, l’entreprise Alan, dont les problématiques QVCT sont au centre de l’activité, reçoit 4 intervenants :
- Jean-Emmanuel Ray, agrégé de droit, professeur à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne et spécialiste du droit du travail ;
- Jean-Philippe Bouilloud, docteur en sociologie, professeur d’organisation et de sociologie des sciences à l’ESCP Business School ;
- Anne Ruelleux, Directrice du recrutement chez Capgemini ;
- Paul Sauveplane, DRH chez Alan, l’un des premiers à incarner la particularité de la culture d’entreprise d’Alan.
Les principaux enseignements du baromètre
La santé mentale en entreprise du point de vue des Français et des salariés
La prise en compte de la santé mentale des salariés et des managers est le point cardinal de la question du sens aujourd’hui. Mais c’est aussi vrai pour les Français de manière générale.
Ce baromètre fait état d’un premier indicateur phare : il y a un réel enjeu du bien-être en entreprise exprimé par les Français (+5 points par rapport à la précédente édition).
Côté salariés, ces derniers sont plus nombreux à reconnaître que dans leur entreprise, des choses ont été mises en place en ce sens (+12 points par rapport à l’année précédente).
On observe chez Alan une différence très importante entre ce type de salarié – bénéficiant d’accompagnement sur les questions QVCT – et les structures où rien n’est mis en place.
Or, lorsque c’est le cas, on bénéficierait d’un niveau d’engagement collaborateur plus important. Ce qui est nécessaire pour fidéliser les collaborateurs.
En outre, la facilité pour les employés d’évoquer ces enjeux, bien qu’encore minoritaire, a progressé de 7 points.
Mais des disparités subsistent selon les tailles d’entreprises et le niveau d’information des salariés.
Le manager de 2023 réclame plus de soutien et d’accompagnement
Si l’état psychologique en entreprise s’est sensiblement amélioré, le stress, l’angoisse et l’inquiétude parallèlement continuent d’augmenter de façon paradoxale. Et cela est particulièrement ressenti par les managers.
Or, du point de vue des Français, ce métier fait partie des postes clés au sein des entreprises comme nous le montre la restitution du baromètre Alan/Harris Interactive.
Les fonctions d’encadrement allient les prérogatives tenant à la performance, à l’organisation, aux relations interpersonnelles avec les collaborateurs. Ce métier serait beaucoup plus difficile à exercer qu’avant, notamment face aux nouveaux modes de travail.
Il faut pouvoir faire face à des rapports de plus en plus individualisés au travail, avec des structures qui n’évoluent pas au même rythme à cet égard. Le manager a donc besoin d’autant plus d’accompagnement – cela semble fondamental.
Car ils sont nombreux à se sentir isolés (41 %), pris en étau entre les demandes des collaborateurs et le souci de performance qui ne régresse pas face aux impératifs de performance insufflés par la hiérachie.
D’ailleurs, ils réclament plus de soutien, plus d’accompagnement, d’autant plus que 2 managers sur 3 ressentiraient le besoin d’échanger avec leur hiérarchie sur l’organisation du travail.
Cette fonction, qui a peut-être plus que jamais besoin d’accompagnement, ne donne pas nécessairement « envie » aujourd’hui : 2 sur 3 non-encadrants ne souhaiteraient pas le devenir.
Notons que les formations en risques psychosociaux font partie des demandes les plus exprimées par les encadrants, avec un clivage générationnel. Les jeunes encadrants sont plus sensibles à ces enjeux mais se sentent plus en difficulté à pouvoir y répondre.
En outre, selon le sociologue Jean-Michel Bouilloud, “Un manager qui réussit bien peut exercer pendant très longtemps et va s’effondrer. Le travail ne lui a pas donné les mêmes satisfactions”.
Une carence en accompagnement du manager sur le droit du travail ?
Pour Jean-Emmanuel Ray, le manager de 2023 a besoin d’accompagnement sur les problématiques liées au droit du travail. Et celles-ci pourraient bien être étroitement liées aux risques psychosociaux susmentionnés.
Jean-Emmanuel Ray ne mâche pas ses mots : selon lui, les managers de proximité sont en première ligne pour “morfler un maximum”.
En janvier 2020, lorsque l’on demandait à travailler chez soi, on nous répondait “C’est pas Netflix ici !”, s’exprime le conférencier. Aujourd’hui, tout a changé. Le télétravail, bien qu’ayant incontestablement ses avantages, a cristallisé toutes les tensions, notamment d’un point de vue juridique.
“Aujourd’hui, quelqu’un qui ne connaît pas le droit ne peut être bien dans sa peau”, lance l’intervenant face à la salle.
La fonction d’encadrement d’aujourd’hui a besoin d’accompagnement sur les risques juridiques, y compris pénaux. Notamment en matière de harcèlement moral. “Tandis qu’avant, le harcèlement moral, c’était la subordination”, image-t-il. Jean-Emmanuel Ray soutient que notre société se juridicise et se judiciarise. Il y a de plus en plus de lois. Le manager devra obligatoirement suivre une formation en droit du travail s’il veut être crédible – ne serait-ce que pour “avoir les bases”.
Or, celui-ci verrait le droit comme une contrainte, « qui ne protège même pas les collaborateurs”, lance-t-il. Pourtant, le droit du travail a une fonction organisationnelle qui sert non seulement le salarié mais aussi l’intérêt de l’entreprise.
Indemnités de fin de contrat, négociation individuelle, qu’est-ce que le Smic… Le manager d’aujourd’hui a besoin d’un réel accompagnement sur ces sujets selon cet intervenant.
Pour « être crédible » à l’égard des collaborateurs et des supérieurs, on a besoin d’un accompagnement sur les bases du droit du travail, notamment sur ces volets :
- Discrimination
- Harcèlement sexuel et moral
- Risques psychosociaux (“On n’envoie pas de mail le dimanche matin !”, Etc.)
Mais il s’agit aussi de rassurer les professionnels qui exercent cette fonction d’encadrement car ces derniers peuvent avoir des appréhensions, des craintes sur toutes ces ces questions.
L’accompagnement du manager par l’écoute et la formation
Une carence en lieux d’écoute, d’échanges et d’entraide ?
La crise sanitaire a obligé le monde de l’entreprise à se réinventer, et avec lui, la fonction managériale. Le rapport juridique au travail a changé, comme on a pu le voir précédemment. Mais ces changements des modes d’organisation (flex-office, etc.) posent aussi de grandes questions psychosociologiques, notamment d’un point de vue équilibre vie professionnelle vie personnelle selon Jean-Philippe Bouilloud, sociologue. Mais aussi d’un point de vue droit à la déconnexion. Autant de sujets qui impactent les collaborateurs et, avec eux, les professionnels de l’encadrement, la fonction RH, etc.
En outre, le sociologue insiste sur le fait que les collaborateurs peuvent aimer leur job, mais plus on monte dans la hiérarchie, plus il y a un enjeu judiciaire important. Les managers sont “coincés” entre deux impératifs et doivent jouer le rôle de “filtre” alors qu’ils ne seraient pas écoutés par personne – ou pas assez.
Il n’y a pas d’espace où les cadres peuvent s’exprimer, donc il y a un malaise psychologique.
D’où l’importance de cet accompagnement, dans l’intérêt de tous et toutes.
Comment Capgemini accompagne les managers au quotidien par la formation ?
Capgemini met un point d’honneur à l’accompagnement des fonctions d’encadrement via la formation.
Selon Anne Ruelleux, Directrice recrutement chez Capgemini, la société a mis en place un programme Making leaders conçu par emlyon business school et Capgemini pour développer ses leaders. “Tout individu a un career manager formé”, insiste-t-elle. Ces métiers de l’encadrement seraient très suivis et formés.
“Nous avons une ligne directe vers un avocat (…) et des formations obligatoires très suivies, notamment sur le harcèlement…”, avec des lignes rouges connues en cas de problème.
En outre, Anne Ruelleux souligne la nécessité d’oeuvrer à l’accompagnement des femmes aux fonctions d’encadrement. Selon elle, souvent, les jeunes femmes se sentent moins légitimes à exercer ce type de métier. Il s’agirait de les aider à combattre ce qu’on nomme couramment “syndrome de l’imposteur”. Il y a aussi un système de mentorat dédié aux femmes.
Le sociologue Jean-Philippe Bouilloud observe que “Lorsqu’un homme est promu, il est content », tandis que les femmes ont tendance à vouloir cocher toutes les cases selon Anne Ruelleux.
Accompagnement des managers : entre rêve et désillusion
Une fonction qui n’attire plus ?
Fonction trop complexe, trop d’impératifs juridiques… Le management ne ferait donc plus rêver ?
Prudence toutefois. Chez Capgemini, cette tendance n’a pas été observée, mais les personnes orientées sur la partie conseil aspirent à la fonction managériale, tandis que d’autres fonctions en ont éprouvent moins l’appétence.
“Mais on voit qu’il y a besoin de plus d’accompagnement depuis la survenue de la crise sanitaire”, insiste-t-elle.
Selon le sociologue Jean-Philippe Bouilloud, il y a un réel besoin de formation et de réflexion sur l’organisation du travail en elle-même.
Il y a beaucoup de débats sur les entreprises libérées, mais qu’il s’agisse de réussite ou d’échecs, il faut échanger collectivement sur ce que l’on veut pour son entreprise.
L’accompagnement du manager, un impératif pour (mieux) encadrer
Selon Paul Sauveplane, DRH chez Alan, il y a un discours très présent chez les managers, lesquels vont dire tenir à leur équipe, mais ne pas pouvoir répondre aux besoins de tout le monde. Ce qu’ils recherchent, c’est d’avoir les moyens de (mieux) communiquer avec leur équipe. D’ailleurs, le manager a besoin d’accompagnement dans l’appréhension des risques psychosociaux et des troubles musculo-squelettiques notamment.
En outre, durant cette conférence intitulée « Manager et encadrer aujourd’hui : rêve ou désillusion ?« , on insiste sur le fait que le management passe avant tout par l’écoute. « Un bon manager » serait quelqu’un qui parlerait très peu et écouterait beaucoup.
Mais avec le télétravail, on observe un paradoxe selon Paul Sauveplane : il y a un écart entre l’aspiration à faire moins de « surveillance » (ou flicage) de la part du manager et la position quasi-freelance des équipes aujourd’hui en télétravail avec tout ce que cela peut impliquer. Et le jour où les choses ne vont plus, ces professionnels de la gestion d’équipe risquent d’être pointés du doigt parce qu’ils seraient « responsables de leur bien-être mental ».
- Remarque : qu’il s’agisse des salariés ou des managers eux-mêmes, il faut être attentif aux signaux faibles : faire attention aux personnes qui travaillent trop (d’où l’importance du droit à la déconnexion). Si l’on ne parvient pas à exécuter ses missions dans les temps impartis et que certaines personnes travaillent davantage, cela peut être le symptôme d’une surcharge de missions ou d’une désorganisation.
- Pour aller plus loin : zoom sur la fonction d’encadrement chez Alan
Le poste de manager est « un peu dissous au sein d’Alan » selon Paul Sauveplane. Et cela a trait à la culture d’entreprise particulière de l’organisation, avec deux aspects très forts de cette culture :
- La responsabilité distribuée : il s’agit de la capacité, quelque soit notre niveau dans l’entreprise, de prendre des décisions qui vont venir « embarquer la société », mais rester le décideur ou la décideuse final(e) ;
- Le coaching : cette démarche d’accompagnement qu’est le coaching vient essayer de transformer le rôle du manager. Ce dernier va s’ouvrir aux autres pour que les salariés puissent s’exprimer davantage. Il s’agit notamment pour les managers de développer l’une des soft skills essentielles à ce métier : la capacité d’écoute. Il s’agit d’encourager la culture du feedback, que le feedback soit « toujours partagé ». Ce qui constitue un autre défi car, selon Paul Sauveplane, « nous n’avons pas été élevés comme cela ». Autant d’habitudes qu’il s’agit de déconstruire pour mieux (re)construire. D’ailleurs, chez Capgemini, il y aurait « le management hiérarchique existe peu », complète Anne Ruelleux.