En perpétuelle et fulgurante croissance, l’Inde attire grandes et plus petites entreprises. Pour conquérir ce nouveau marché, inutile de se vêtir d’un costume de maharadja et de s’y rendre à dos d’éléphant. Tout au plus est-il conseillé d’accepter de porter le bindi, ce fameux point rouge au milieu du front.
Interview avec Laurent Goulvestre, spécialiste de l’inter-culturalité et de l’Inde en particulier, co-auteur de « Bien Communiquer avec vos interlocuteurs indiens », aux Editions Afnor.
Vous intervenez à la fois auprès des entreprises indiennes pour les conseiller sur leur approche des Occidentaux ; et des entreprises occidentales qui souhaitent se tourner vers l’Inde[1]. Quelle partie de notre culture d’entreprise les indiens ont-ils le plus de mal à accepter ?
Le principal obstacle, c’est l’esprit colonialiste dont font encore preuve les Occidentaux. Ils imposent leur méthode de travail, donnent l’impression de savoir mieux que les Indiens, qui en souffrent psychologiquement.
De l’autre côté du miroir, quelle particularité indienne faut-il prendre en compte dans les relations professionnelles qui est particulièrement difficile à assimiler pour un occidental ?
La principale différence, c’est la notion du temps, qu’il s’agisse du déroulement des projets, des rendez-vous ou des tâches administratives. Les démarches sont extrêmement longues. Un conseil : lors d’un projet, datez toutes les échéances précisément. Demandez à votre interlocuteur son avis sur les délais. S’il propose une date proche de ce que vous pensiez, c’est parfait. Si vous lui imposez une date, augmentez les points de contrôle et le budget relation. L’Indien va vous rendre le projet dans les temps, mais prendra cette pression comme une excuse à la non-conformité du projet.
Avant de fixer une date, il faut prendre la religion en considération. Et même l’horoscope, les astres… Pour l’inauguration d’une usine par exemple, mieux vaut se renseigner auprès d’eux et voir si la date convient.
Dans votre ouvrage, vous parlez des religions, des rituels, de la réincarnation, de la purification. La religion, la spiritualité, sont-ils des sujets incontournables pour quelqu’un qui souhaiterait travailler avec l’Inde ?
Il faut s’intéresser à leur religion, ce qui ne signifie pas qu’un homme d’affaire occidental athée ne puisse pas faire des affaires en Inde. Même si l’on ne pratique pas, il faut s’y intéresser, et surtout ne pas s’en moquer. L’extra-professionnel est très important en Inde. C’est bien d’aller visiter un temple, d’accepter le point rouge – le bindi – ou le collier de fleurs.
Dans votre ouvrage, vous précisez qu’il est courant de commencer la discussion par du « Small Talk » – qui peut durer de 20 à 50 minutes ! – sur des sujets autres que le « business ». De quoi parle-t-on alors ?
Il est bien d’arriver la veille de votre premier rendez-vous pour visiter les principaux bâtiments de la ville : le temple, la Porte de l’Inde si vous êtes à Dehli. Ainsi, le lendemain matin, vous pourrez parler de vos visites pendant le Small Talk. Cela fera plaisir à l’Indien parce que vous montrerez une curiosité pour son pays.
Vous pouvez aussi parler de votre famille. C’est important. L’Indien n’hésitera pas à vous poser des questions assez directes sur votre vie de famille, votre posture dans l’entreprise. Il essaie de comprendre votre positionnement social. Cela lui permet de se situer, sans pour autant porter un jugement. Les Indiens ont une forte acceptation de la différence. Leur religion est complètement fantastique. Il est d’ailleurs très difficile d’épater un Indien.
Quelle est l’importance de la notion de caste ? Dans le livre, vous expliquez que c’est une question qui ne se pose pas ? Comment un Français peut-il savoir à quelle caste appartient son interlocuteur ?
La caste n’est pas un problème, il faut même éviter d’en parler. Le seul fait de poser la question de la caste risque de vous placer en mauvaise posture. Les Indiens vont penser que vous jugez leur culture. Elles ont été abolies en 1950, comme la dot. Mais 4000 ans de coutumes ne disparaissent pas comme ça. La notion de caste est même loin d’avoir disparue ; elle a tendance à se renforcer par le fait de la discrimination positive.
On peut poser cette question lorsqu’on est devenu ami, que l’on s’est rencontré trois ou quatre fois. Les Occidentaux peuvent avoir accès à toutes les castes. Plutôt que de connaître la caste de son interlocuteur, il est bien plus intéressant de connaître sa région d’origine.
Comment sont perçus les Français ? Ont-ils vraiment cette image négative de nous que vous décrivez dans votre ouvrage : arrogants, toujours en grève, peu courageux vis-à-vis du travail… ?
Très peu d’Indiens connaissent la France, pas plus de 40 000 personnes sur 1,2 milliard. Ils nous trouvent très exigeants. On a tendance à être directif, mais l’Indien s’en accommode… jusqu’à un certain point.
Le piège, en Inde, pour les PME, c’est que l’on rencontre des gens qui nous ressemblent. On ne se méfie pas. Pourtant, nos cultures sont bien différentes. Il faut s’y rendre souvent et ne pas se fier aux prix facial. C‘est vrai, la main d’œuvre est parfois 10 fois moins cher. Mais, de par mon expérience, une fois installé, quand le système tourne, on peut espérer un gain de 30 à 40% en marge réelle. Ce qui signifie qu’il y a des frais périphériques colossaux. Je parlais tout à l’heure, par exemple, du budget relation. Mais les allemands y sont, les italiens aussi, les anglais, les américains. Eux ont un mode de communication factuel, chiffrable, explicite. Pour bien communiquer avec les Indiens, c’est ce mode de communication qu’il faut adopter.
Typhanie BOUJU
[1] Le site de Laurent Goulvestre : www.goulvestre.com