La vie de l’entreprise implique parfois des modifications importantes dans sa situation juridique : fusion, cession, succession…Dans ces circonstances, la loi prévoit le transfert des contrats de travail au nouvel employeur, impliquant notamment la continuité de la relation contractuelle et le maintien provisoire de certaines dispositions conventionnelles.
En tant qu’employeur comment gérer cette étape juridiquement technique et complexe ? Situations concernées par le transfert des contrats de travail, effets sur la relation contractuelle, sur les mandats des représentants du personnel, sur l’application des conventions et accords collectifs… On fait le point.
Transfert automatique des contrats de travail : dans quelles circonstances ?
Conditions d’application du transfert des contrats de travail
Le transfert des contrats de travail est prévu par l’article L1224-1 du code du travail. Il s’applique si les deux conditions suivantes sont réunies.
Transfert d’une entité économique autonome
Le transfert des contrats de travail s’applique si le changement dans la situation juridique de l’employeur doit aboutir au transfert d’une activité économique. Peu importe ses caractéristiques : lucrative ou non, production ou service, activité principale ou secondaire…
L’entité transférée doit être autonome :
- Activité poursuivant un objectif propre, spécifique et détachable de l’activité principale de l’entreprise (cass. soc. 23-1-2002 n° 99-46.245)
- Moyens corporels ou incorporels (matériels, locaux, brevets…) et humains (personnel dédié, autonomie dans la gestion du personnel…)
- Gestion et comptabilité propre
Quelques exemples d’une entité économique autonome : activité de gestion clients soc. 13 mai 2009, n° 08-42005), rayon boucherie d’un supermarché ( soc. 26 sept. 1990, n° 86-40813).
Maintien de l’identité de l’entité transférée
Le transfert des contrats de travail s’applique si le maintien de l’activité est une condition indispensable au transfert des contrats. Pour autant, cette activité peut être seulement de même nature, elle n’a pas à être forcément identique.
Ainsi, la condition est remplie en cas de changement dans le profil de la clientèle (cass. soc. 12-10-2004 n° 02-44.309) ou dans les modalités d’exploitation.
En revanche l’identité n’est pas maintenue si l’activité est répartie auprès de repreneurs différents (cass. soc. 3-3-2009 n° 07-45.641).
Bon à savoir. Si ces conditions ne sont pas remplies, le transfert reste parfois possible s’il est prévu par convention ou accord collectif. Certains secteurs d’activités prévoient spécifiquement cette possibilité : restauration collective, propreté, sécurité…
Transfert des contrats de travail : quelles situations ?
Les situations concernées par le transfert automatique des contrats de travail sont mentionnées dans l’article L1224-1. Pour autant, cette liste n’est pas limitative.
Succession
Le décès de l’employeur entraîne la transmission des contrats de travail aux héritiers. Ces derniers pourront alors décider de la poursuite de l’activité, de la vente (transfert des contrats de travail) ou de fermer l’entreprise (licenciement pour motif économique).
Cession de l’entreprise
La vente de l’entreprise, qu’elle soit totale ou partielle, entraîne le transfert des contrats de travail à condition que les conditions soient respectées (cession d’une entité économique autonome et poursuite de l’activité).
Exemple : cession de l’ensemble des dossiers d’un avocat à un autre (cass. soc. 25-9-2007 n° 06-41.892)
Fusion, mises en société
Les opérations touchant le capital social de la société entrent dans le champ de l’article L1224-1 : fusion (absorption ou création d’une nouvelle société), création d’une filiale pour l’activité concernée…
En revanche, la prise de participation dans une société n’entraîne pas le transfert d’une entité économique.
Transfert des contrats de travail : autres motifs
D’autres situations ont été confirmées par la jurisprudence :
- Prestation de service et sous-traitance : externalisation d’une activité, changement de prestataire…Exemple : changement de concessionnaire pour l’exploitation de remontées mécaniques (cass. soc. 9-11-2005 n° 03-47.188)
- Distribution commerciale : reprise de la commercialisation des produits d’une marque et de la clientèle attachée (cass. soc. 13-4-1999 n° 96-44.254)
- Location gérance : mise en location gérance d’un fonds de commerce, changement de locataire-gérant…
Effets du transfert sur les contrats de travail
Transfert automatique des contrats de travail et de plein droit
Le transfert des contrats de travail se fait automatiquement au nouvel employeur, sans formalité particulière.
Seules obligations :
- Entreprises cédantes et cessionnaire : Information et consultation du CSE
- Entreprise cédante de moins de 250 salariés : Information des salariés concernés
Tous les employés titulaires d’un contrat de travail en cours d’exécution et affectés à l’entité transférée sont concernés.
Bon à savoir. Le transfert s’impose aux employeurs comme aux salariés. Ainsi il n’est pas possible de subordonner le changement d’employeur à l’accord préalable du collaborateur (cass. soc. 20-4-2005 n° 03-42.096).
Poursuite du contrat de travail
Le contrat se poursuit dans les mêmes conditions : le salarié conserve sa qualification, sa rémunération, son ancienneté.
Toutefois, cela n’empêche pas l’entreprise cessionnaire de modifier le contrat de travail de l’employé selon la procédure habituelle (notamment en recueillant l’accord clair et non équivoque du salarié). Les juridictions seront attentives à une telle modification : elle ne doit pas avoir pour objet de contourner les dispositions de l’article L 1224-1.
De même, le nouvel employeur peut procéder à des licenciements si les conditions légales sont réunies (par exemple : motif économique lié à la réorganisation de l’entreprise).
Bon à savoir. Il est possible d’invoquer des fautes commises chez le précédent employeur pour justifier un licenciement pour motif personnel (cass. soc. 29-5-1990 n° 87-40.151).
Situation des salariés représentants du personnel
Autorisation de l’inspection du travail en cas de transfert partiel
L’entreprise cédante est tenue de suivre la procédure spécifique prévue pour le licenciement des salariés protégés si le transfert partiel concerne un ou plusieurs représentants du personnel.
Elle doit par conséquent en demander l’autorisation à l’inspecteur du travail. Il vérifiera en particulier que le collaborateur est bien affecté à l’entité cédante et que sa prise en compte dans les effectifs transférés n’est pas un prétexte pour l’exclure de l’entreprise.
En cas de refus, l’entreprise doit garder le salarié en lui proposant un emploi similaire et une rémunération équivalente.
En revanche, l’autorisation n’est pas requise en cas de transfert total. Les contrats sont transférés de plein droit, y compris ceux des représentants du personnel.
Les mandats sont-ils maintenus ?
En cas de transfert total les mandats suivants sont maintenus si l’entreprise conserve son autonomie juridique (c.trav.art.L.2143-10, L.2314-35, L.2316-12) :
- DS et DS central
- Représentants de section syndicale
- Élus du CSE et CSE central
- Représentants syndicaux au CSE
S’agissant d’un transfert partiel, le maintien des mandats est prévu si le transfert porte sur un ou plusieurs établissements distincts qui conservent ce caractère (cass. soc. 3-2-1998 n° 95-41.423). Dans le cas contraire, le transfert entraîne la cessation des mandats des représentants du personnel (cass. soc. 17-12-2008 n° 07-42.839).
À défaut d’être maintenus, les mandats prennent fin de plein droit à la date du transfert. Les élus concernés conservent leur protection pendant un délai de 6 mois.
Quelles conséquences sur les dispositions collectives applicables ?
Le transfert des contrats de travail a-t-il des conséquences sur les disposition collectives applicables ?
CCN et autres accords collectifs
Survie temporaire des accords
Le transfert entraîne automatiquement et de plein droit la mise en cause des dispositions conventionnelles de l’entreprise cédante. Aucune formalité particulière n’est nécessaire.
Toutefois, ces textes continuent de produire leurs effets de manière provisoire (art.L2261-14) :
- Jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui leur est substitué
- Ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du préavis prévu à l’article L.2261-9 (3 mois sauf stipulation contraire).
Négociation de nouveaux accords
Dès lors qu’une modification juridique mettant en cause l’application d’une CCN ou d’accords est envisagée, il est possible de négocier les accords suivants :
- Un accord de transition (art.L2261-14-2). Il est conclu entre l’employeur et les organisations syndicales de l’entreprise transférée. Sa durée maximale est de 3 ans. À son expiration, les accords applicables dans l’entreprise où les contrats de travail ont été transférés s’appliquent aux salariés transférés.
- Ou un accord de substitution (art.L2261-14-3). Son objectif est de remplacer les textes mis en cause dans l’entreprise cédante mais également de réviser ceux applicables dans l’entreprise cessionnaire.
À défaut de telles négociations anticipées, la loi prévoit l’obligation d’engager des négociations à la demande d’une des parties intéressées dans les 3 mois suivant la mise en cause soit pour adapter les nouvelles dispositions conventionnelles soit pour en élaborer de nouvelles (art.L2261-14 al5).
Pas de nouvel accord : quelles conséquences ?
Si aucun accord n’est négocié au cours du délai de survie mentionné précédemment (12 mois + 3 mois de préavis, soit une durée totale de 15 mois), les salariés transférés bénéficient d’une garantie de rémunération (art.L2261-14 al2).
Cette dernière ne peut pas être inférieure à la rémunération versée, en application de la convention ou de l’accord mis en cause, lors des 12 derniers mois.
Il est également possible pour le nouvel employeur de maintenir, par un engagement unilatéral, le statut collectif dont bénéficiaient les employés transférés dans leur entreprise d’origine.
Usages et engagements unilatéraux
Les salariés qui ont subi un transfert de contrats de travail peuvent continuer à bénéficier des usages, accords atypiques et engagements unilatéraux sauf :
- Si la nouvelle entreprise procède à leur dénonciation
- Ou si un accord ou convention portant sur le même objet entre en vigueur
La cour de cassation considère que la différence de traitement entre les salariés qui en résulte est justifiée (cass. soc. 11-1-2012 n° 10-14.614).
Céline Le Friant