Depuis une dizaine d’années, le nombre de travailleurs détachés n’a cessé de croître en France et plus largement en Europe. Le détachement des travailleurs dans le cadre de la libre prestation de services, loin d’être marginal, est devenu très courant dans le BTP, l’agriculture, l’hôtellerie-restauration et dans des conditions particulières d’intérim.
Dans ce contexte, le Gouvernement a saisi le CESE pour qu’il se prononce sur l’état de la législation relative aux travailleurs détachés. Le Conseil s’est particulièrement intéressé aux moyens de contrôle à mettre en œuvre, en tenant compte notamment des dispositifs instaurés dans d’autres Etats membres et en s’interrogeant sur le rôle qui doit revenir aux partenaires sociaux dans une régulation efficace du détachement de travailleurs.
Dans son avis « Les travailleurs détachés », rapporté par MM. Jean GROSSET (Groupe UNSA) et Bernard CIEUTAT (Personnalité associée) au nom de la section du travail et de l'emploi présidée par Françoise GENG, le CESE formule un ensemble de propositions de réformes au niveau européen et national. Le CESE a été soumis au vote de l’assemblée planière du CESE et adopté à l’unanimité des 175 votants.
Sans remettre en cause le principe de la liberté de prestation de services, le CESE constate que l’exercice insuffisamment contrôlé de cette liberté a conduit à un affaiblissement de la protection des travailleurs – résidents comme détachés-, à une concurrence déloyale entre les entreprises et à une insuffisante coopération entre les Etats membres.
PERSPECTIVES DE REFORME DU DETACHEMENT DES TRAVAILLEURS AU NIVEAU EUROPEEN
La question posée au CESE par le Gouvernement s’inscrit dans une actualité européenne renouvelée, alors que sept ministres du travail et de l’emploi de l’UE ont pris position en juin 2015 pour une révision de la directive relative aux travailleurs détachés de 1996. Ainsi, le CESE considère cette orientation comme prioritaire et préconise que la règle d’égalité de traitement entre travailleurs résidents et détachés soit dorénavant appliquée en matière de rémunération suivant le principe « à travail égal salaire égal sur un même lieu de travail ». Il demande notamment que la future directive prenne pleinement en considération l’objectif d’harmonisation sociale dans le progrès assigné à l’UE par le TFUE.
Pour lutter plus efficacement contre les situations de travail illégal associés à la prestation de services internationale qui découlent de la complexité des opérations de détachement, le CESE encourage une clarification des règles juridiques du détachement et recommande le renforcement des coopérations administratives entre les Etats membres, notamment par :
- l’exploitation de bases de données nationales partagées au niveau européen ;
- l’adoption d’une carte européenne des travailleurs détachés.
Le CESE encourage les secteurs professionnels à se doter des instruments nécessaires à la mise en place d’un cadre de concurrence loyale et non faussée.
ACTIONS A METTRE EN ŒUVRE DANS LE CADRE NATIONAL
- Responsabiliser et informer les maîtres d’ouvrage, les donneurs d’ordre et les prestataires
Afin de prévenir une exploitation abusive des travailleurs détachés, le CESE préconise une réforme de la réglementation sur les offres anormalement basses dans le Code des marchés publics.
Concernant la durée maximale du détachement, le CESE suggère qu’elle soit déterminée pour chaque secteur d’activité dans le cadre du dialogue social européen
- Mieux protéger les conditions de vie et de travail des travailleurs détachés et lutter plus efficacement contre les infractions
Le dépassement de la durée légale du travail et les conditions d’hébergement particulièrement indignes sont des infractions courantes en lien avec le détachement des travailleurs. Le CESE recommande une action coordonnée des services de l’Etat pour assurer un contrôle effectif des conditions de travail et de logement des travailleurs détachés. Il préconise, en outre, de sanctionner le défaut de déclaration pour les donneurs d’ordres des accidents du travail.
Pour le CESE, l’établissement d’un système de déclarations en ligne des détachements, sur le modèle du dispositif belge Limosa, répondrait à une double nécessité :
- constituer un guichet unique pour les employeurs prestataires de services et les donneurs d’ordre ;
- permettre le recoupement des informations individuelles sur les travailleurs détachés et les employeurs dans les pays d’accueil et d’envoi.
En outre, le CESE appelle à renforcer les moyens d’actions et de coordination des administrations en charge du contrôle, « unanimement considérés comme insuffisants », avec notamment en portant les effectifs des Unités régionales spécialisées (URACTI) à au moins 200 agents.
- Renforcer le rôle et les moyens des partenaires sociaux en faveur de l’information et de la protection des travailleurs détachés
En France, les organisations syndicales se sont souvent heurtées à des difficultés importantes dans leurs actions de soutien aux travailleurs détachés (ex : refus de l’accès aux lieux de travail voire aux lieux de vie). Pour le CESE, il convient donc de renforcer les fondements juridiques d’une intervention régulatrice des partenaires sociaux. Le Conseil préconise ainsi :
- d’inscrire dans les conventions collectives la règle de rémunération applicable aux travailleurs détachés ;
- d’instituer des bureaux syndicaux chargés de l’information et de la défense des droits des travailleurs détachés.
Pour conclure, le CESE considère la révision des règles du détachement des travailleurs comme un dossier emblématique d’un renouveau du projet européen, lequel doit renouer avec un objectif d’harmonisation des niveaux de vie et de protection sociale sur le territoire de l’Union.