Depuis une dizaine d’années, les problèmes de souffrance au travail sont en constante augmentation dans les entreprises. Quels en sont les causes et les effets ? Quel est le rôle et la responsabilité des managers ? Où trouver de l’aide ? Marie Pezé, psychanalyste et expert judiciaire, à l’origine de la première consultation « Souffrance au travail » à l’hôpital, a répondu à nos questions.
QU’ENTEND-ON EXACTEMENT PAR « SOUFFRANCE AU TRAVAIL » ?
Marie Pezé : On pense souvent que la souffrance au travail est une notion avant tout subjective, de l’ordre du ressenti personnel. C’est faux ! Le concept recouvre de vrais symptômes et de vraies maladies, que le corps médical appelle les « pathologies de surcharge ». Surcharge psychique : il s’agit, par exemple, du burn-out, de la dépression, du stress post-traumatique, des tentatives de suicide. Surcharge comportementale, en cas de violence entre collègues, contre l’encadrement ou l’outil de travail… (Arrêt de travail pour dépression : découvrez la durée moyenne.)
Surcharge physique ou somatique, lorsque c’est le corps qui parle et parfois s’écroule (pathologies cardiovasculaires, troubles musculo-squelettiques…).
Bien sûr, ces exemples ne sont qu’indicatifs. En réalité, la liste est interminable.
D’OÙ VIENT CETTE SOUFFRANCE ? QUI EST RESPONSABLE ?
Marie Pezé : J’entends dire assez régulièrement que les personnes touchées sont des personnes plus « fragiles » que les autres, ou qui rencontrent des problèmes personnels. Là encore, ce n’est pas vrai. La souffrance au travail est, comme son nom l’indique, liée au travail et plus précisément à la pression physique et psychique. Le travail se fait désormais à flux tendu, sans pause, et les salariés doivent assurer plusieurs tâches en même temps. C’est épuisant pour l’organisme mais aussi sur le plan cognitif. Outre l’organisation du travail, nous avons également identifié un certain nombre de techniques de management pathogènes. Par exemple : le mépris vis-à-vis des salariés, la perte des savoirs sociaux (ne serait-ce que dire bonjour !), l’isolement d’un membre de l’équipe, le contrôle de ses conversations, la vérification de ses affaires… Aujourd’hui, les managers ont tendance à adhérer avec un peu trop d’enthousiasme à des stéréotypes sur le salarié français, soit disant paresseux et résistant au changement. Mais en règle générale, les Français sont investis dans leur travail. On sait bien que leurs missions vont bien au-delà de leur fiche de poste. Et n’oublions pas qu’ils sont troisième en productivité horaire au rang mondial.
Devant la loi, les managers sont désormais responsables de ces managements pathogènes qui entraînent des maladies professionnelles, voire des suicides. Ils peuvent être condamnés et se retrouver en grandes difficultés ! Les entreprises, représentées par les managers, doivent en effet protéger la santé et la sécurité des salariés. Et depuis peu, elles ont une obligation de résultats et pas seulement de moyens. Il ne leur suffit pas d’essayer, elles doivent y arriver.
JUSTEMENT, QUE PEUT-ON FAIRE « POUR Y ARRIVER » ? ET COMMENT DOIT-ON (RÉ)AGIR FACE À UN SALARIÉ EN SOUFFRANCE ?
Marie Pezé : Il est important que chacun s’interroge sur ses pratiques de management et plus globalement sur l’organisation du travail. Mais pour être pleinement efficace, la remise en question doit être collective. Tous les acteurs de l’entreprise – direction des ressources humaines, managers, service de santé au travail, Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT)… mais aussi salariés ! – doivent travailler main dans la main. Un questionnaire peut, par exemple, être diffusé auprès des collaborateurs afin de repérer les pratiques qui pèsent sur leur santé et leur sécurité. Il reste néanmoins très difficile de donner quelques astuces isolées pour prévenir ou repérer les signes de souffrance car seule une bonne méthodologie, globale, peut en venir à bout. D’un point de vue légal, les entreprises ont l’obligation de lister les dangers et les solutions mises en œuvre pour les éviter dans un document unique. Mais très souvent, elles ne savent pas bien le remplir. Aujourd’hui, elles peuvent pourtant faire appel à des experts sécurité.
Dernière chose sur laquelle je voudrais attirer l’attention : la situation même des managers. Couramment, les directions leur demandent à la fois de mettre la pression et de repérer les situations fragiles. Ils se retrouvent alors dans une situation assez délicate… et ont tendance à adopter une posture héroïque : « je dois y arriver et tenir à tout prix », jusqu’au jour où eux aussi s’écroulent. Ils doivent faire attention à eux et ne pas céder à la tentation de reporter sur leurs équipes le « trop-plein ». Leur santé et leur responsabilité sont en jeu.
Pour en savoir plus sur les techniques de management pathogènes, les sanctions prévues par la loi, les méthodes de prévention efficaces ou encore la liste des consultations spécialisées, rendez-vous sur le site Souffrance et travail : Lien
Propos recueillis par Nolwenn Neveu