En lutte contre les pratiques discriminatoires, les processus de recrutement cherchent à s’affranchir de tout a priori : du diktat de la Grande Ecole, de l’expérience ou du diplôme qui font foi, à l’obstacle de l’âge, du sexe ou du lieu de résidence. Et si, pour ne recruter que sur les compétences du candidat, on s’exonérait du CV ? Faudrait-il passer plus de temps – trop ? – avec chacun des candidats ? Peut-on se passer de toutes les informations d’un CV ? Comment mener un entretien sans ce document de base ?
Recruter sans CV : une méthode chronophage ?
Un coup d’œil sur le CV et le candidat est profilé. Le process est plutôt rapide. Sans compter que le CV est un premier « obstacle » pour les candidats les moins à l’aise dans cet exercice. Recruter sans CV, c’est aussi ouvrir la porte à davantage de candidatures, davantage de profils. Lorsqu’Auchan a lancé sa campagne de recrutement pour des postes de chef de rayon, selon la méthode « Recruter sans CV – Question de Compétences » de l’APEC, l’enseigne a reçu trois fois plus de candidatures qu’habituellement.
Avec ou sans CV, la première étape du recrutement est similaire : il s’agit de définir le poste à pourvoir. Dans le premier cas, cette analyse est traduite en une offre d’emploi ; dans le deuxième, en scénario de mise en situation. Ce qui demande, encore une fois, un temps de réflexion non négligeable. « La fonction est définie avec celui qui recrute, mais aussi ceux qui vivent le poste, explique Jean-Paul Roucau, directeur général adjoint de l’APEC. On aboutit souvent à 70 ou 80 questions »… qu’il faut ensuite trier. « Un exercice difficile », poursuit-il, et certainement chronophage. La méthode APEC prévoit une trentaine de questions – et 30 à 40 minutes, côté candidat, pour y répondre. Au chronomètre également, le temps d’analyse des réponses des candidats, dans le cas d’un questionnaire, ou de leurs réactions dans le cas de mises en scène (assessment center).
A première vue, recruter sans CV implique de passer plus de temps avec chacun des candidats. Pour le spécialiste de cette méthode, le processus n’est pourtant pas forcément plus long. Selon lui, il s’agit « d’un déplacement de l’investissement. On passe plus temps en amont pour la préparation du questionnaire et on en gagne en entretien d’évaluation », puisque le stade de la découverte est dépassé.
Aujourd’hui, deux méthodes s’imposent et s’opposent. Entre la mise en situation et le Speed Recruiting, que choisir ? Faut-il prendre son temps ou accélérer le processus ? Pour Jean-Paul Roucau, tout dépend de la situation de l’entreprise et du poste à pourvoir. « Le Speed Jobbing, adapté aux profils Grands Débutants ou Jeunes Diplômés, convient aux entreprises qui rencontrent des difficultés de sourcing candidats. Dans ce cas, il faut choisir la solution la moins discriminatoire et la plus innovante. En revanche, les entreprises qui ont besoin de transférer beaucoup de savoirs-faires sur un poste ont tout intérêt à déplacer l’investissement en amont ».
Repenser l’entretien
Pour s’exonérer du CV, il faudrait s’exonérer de ses informations et des représentations que l’on a sur un diplôme, une école, un employeur, la durée de l’expérience. « Le plus difficile pendant les entretiens est de ne pas re-fabriquer le CV », témoigne Jean-Paul Roucau, en connaissance de cause puisque l’APEC a testé la méthode « Question de Compétences » en interne. Le candidat est sélectionné ou écarté sur la seule typologie de ses réponses ou de ses réactions, « qui permettent de lire l’éventuelle maîtrise d’un savoir-faire à un instant T », complète l’expert du recrutement.
L’autocensure des candidats serait l’une des principales difficultés de la Grande Distribution pour leur poste de chefs de rayon. Selon le directeur général adjoint de l’APEC, « les potentiels candidats se font une représentation ultra-détaillée de cette fonction et s’autocensurent. En changeant l’intitulé, le candidat se lance dans le questionnaire et parvient au bout du processus alors qu’il n’aurait pas répondu à une offre de chef de rayon ».
Si l’objectif est d’attirer des profils plus divers, recruter sans CV signifierait alors recruter sans exiger un nombre d’années d’expérience ou un diplôme particulier. « Le CV enferme autant le candidat que le recruteur », considère le Jean-Paul Roucau. Au-delà de la démarche, c’est un état d’esprit qui nécessite de repenser l’entretien : « On ne va pas faire comme d’habitude, on va partir des infos recueillies et non du CV pour le préparer ». Cette étape doit permettre de s’émanciper des représentations pour ne se concentrer que sur les compétences. Plus qu’un process de recrutement, le principe de la mise en situation, sans CV, se révèle un outil de sensibilisation à la diversité en entreprise. Une démarche « à laquelle les managers opérationnels adhèrent volontiers car elle les amène sur un terrain familier, celui de l’exercice du métier. Ils n’ont plus à jouer à l’apprenti recruteur ».
Typhanie Bouju